— Suivez-moi, répondit Saint-Fond.
Nous passâmes chez un commis.
— Monsieur, lui dit le ministre, examinez bien cette jeune femme; je vous ordonne de lui signer et délivrer toutes les lettres de cachet qu’elle vous demandera, n’importe pour quelle maison.
Et repassant dans un cabinet où nous étions
— Voilà, poursuivit le ministre, un point accordé; la lettre que je vous ai donnée remplit l’autre. Tranchez, coupez, déchirez, je vous livre la France entière; et quel que soit le crime que vous commettiez, son étendue, sa gravité, je vous réponds qu’il ne vous en arrivera jamais rien. Je vais plus loin, et vous accorde, ainsi que je l’ai dit, trente mille francs de gratification par chacun des crimes que vous commettrez pour votre compte.
Je renonce à vous dire, mes amis, ce que toutes ces promesses, toutes ces conventions me firent éprouver. Oh, ciel! me dis-je, avec le dérèglement d’imagination que j’ai reçu de la nature, me voilà donc, d’un côté, assez riche pour satisfaire à toutes mes fantaisies, de l’autre, assez de fortune pour être certaine de l’impunité de toutes. Non, il n’est point de jouissances intérieures pareilles à celles-là; aucune lubricité ne fait éprouver à l’âme un chatouillement plus excessif.
— Il faut sceller le marché, madame, me dit alors le ministre. Voici d’abord le pot-de-vin, continua-t-il, en me faisant présent d’une cassette où il y avait cinq mille louis en or, et pour le double de pierreries ou de magnifiques bijoux; n’oubliez pas de faire emporter cela avec la boîte des poisons.
M’attirant alors dans un cabinet secret, où le faste le plus opulent se joignait au goût le plus recherché:
— Ici, me dit Saint-Fond, vous ne serez plus qu’une putain; hors de là, l’une des plus grandes dames de France.
— Partout, partout votre esclave, monseigneur; partout votre admiratrice et l’âme de vos plus délicats plaisirs.
Je me déshabillai. Saint-Fond, ivre de plaisir d’avoir enfin une excellente complice, fit des horreurs. Je vous ai dit ses goûts, il les raffina tous: s’il m’élevait en sortant de chez lui, il me rabaissait cruellement dans son intérieur; c’était bien, en volupté, l’homme le plus sale… le plus despote… le plus cruel. Il me fit adorer son vit, son cul; il chia, je dus faire un dieu de son étron même; mais, par manie bien extraordinaire, il me fit souiller ce dont il tirait ses plus puissants motifs d’orgueil: il exigea que je chiasse sur son Saint-Esprit et me torcha le cul avec son cordon bleu.
A la surprise que je lui témoignai de cette action:
— Juliette, me répondit-il, je veux te montrer par là que tous ces chiffons, qui sont faits pour éblouir les sots, n’en imposent point au philosophe.
— Et vous venez de me les faire baiser?
— Cela est vrai; mais de même que ces joujoux motivent mon orgueil, de même j’en mets étonnamment à les profaner: voilà de ces bizarreries de tête qui ne sont connues que de libertins comme moi.
Saint-Fond bandait extraordinairement; je déchargeai dans ses bras: avec une imagination comme la mienne, il ne s’agit pas de ce qui répugne, il n’est question que de ce qui est irrégulier, et tout est bon quand il est excessif. Je devinai le désir extrême qu’il avait de me faire manger sa merde: je le prévins; je lui demandai la permission de le faire, il était aux nues; il dévora la mienne, en y joignant l’épisode de me gamahucher le cul à chaque bouchée. Il me montra le portrait de sa fille: à peine avait-elle quatorze ans, et ressemblait à l’Amour même. Je le priai de la réunir à nous.
— Elle n’est pas ici, me dit-il; je ne vous aurais pas laissée former ce désir, si elle y eût été.
— Vous en avez donc joui, lui dis-je, avant que de la donner à Noirceuil?
— Assurément, me répondit-il; j’en serais bien fâché d’avoir laissé prendre à d’autres d’aussi délicieuses prémices.
— Et vous ne l’aimez donc plus?
— Je n’aime rien, moi, Juliette: nous n’aimons rien, nous autres libertins. Cette enfant m’a fait beaucoup bander; elle ne m’excite plus à présent, parce que j’en ai trop fait avec elle; je la donne à Noirceuil, qu’elle échauffe beaucoup; tout cela est affaire de convenance.
— Mais quand Noirceuil en sera las?
— Eh bien! tu connais le sort des femmes; je lui aiderai, vraisemblablement; tout cela est bon, tout cela est bien fort; c’est ce que j’aime…
Et il bandait extraordinairement.
— Monseigneur, lui dis-je, il me semble que si j’étais en place, il y aurait de certains moments où j’aimerais beaucoup à abuser de mon autorité.
— En bandant, n’est-ce pas
— Oui.
— Je le pense.
— Oh! monseigneur, sacrifions quelques innocents, cette idée me tourne la tête.
Je le branlais, l’un de mes doigts chatouillait le trou de son cul.
— Tenez, me dit-il en sortant un papier de son portefeuille, je n’ai qu’à signer cela, et je fais mourir demain une très jolie personne que sa famille vient de faire enfermer par mon organe, uniquement parce qu’elle aime les femmes. Je l’ai vue, elle est charmante; je m’en suis amusé l’autre jour: depuis ce moment-là j’ai si peur qu’elle ne parle, que je n’ai pas existé un instant sans le désir de m’en débarrasser.
— Elle jasera, monseigneur, elle jasera, soyez-en bien sûr; votre sûreté dépend de la mort de cette fille… Signez au plus tôt, je vous en conjure.
Et prenant le papier, je l’appuyai sur mes fesses, en le suppliant de le signer là. Il le fit.
— Je veux porter l’ordre moi-même, lui dis-je.
— J’y consens, me répondit Saint-Fond… Allons, Juliette, il faut que je décharge: ne vous alarmez pas du personnage qui devient nécessaire au dénoûment de cette crise.
Et comme il sonna, un jeune homme assez joli parut dans l’instant.
— Mettez-vous à genoux, Juliette; il faut que cet homme vous donne trois coups de canne sur les épaules, dont la marque reste quelques jours; qu’ensuite il vous tienne pendant que je vous enculerai.
Et le jeune homme, se déculottant lui-même, fit aussitôt baiser son derrière au ministre, qui le lécha complaisamment. J’obéissais pendant ce temps-là, et j’étais à genoux; le jeune homme se sert de sa canne et m’applique trois coups si serrés sur les épaules que j’en fus marquée quinze jours. Saint-Fond, bien en face de moi, m’observait, pendant cette crise, avec une curiosité lubrique; il vint examiner les meurtrissures; il se plaignit de leur faiblesse, et ordonna au jeune homme de me tenir; il m’encule tout en baisant les fesses de celui qui facilitait son opération.
— Ah! foutre! s’écria-t-il en déchargeant, ah! sacredieu, la putain est marquée!
L’homme se retira. Ce ne fut que longtemps après qu’un événement, dont nous parlerons, jeta quelque jour sur celui-ci. Le ministre me raccompagna, et, reprenant avec moi, dès que nous fûmes bon de ce cabinet, l’air de considération qu’il avait eu avant que d’y entrer:
— Faites emporter ces cassettes, madame, me dit-il, et souvenez-vous que notre arrangement commence dans trois semaines. Allons, Juliette, libertinage, crime, discrétion, et vous serez heureuse. Adieu.
Mon premier soin fut d’examiner l’ordre dont j’étais porteuse. Dieu! quel fut mon étonnement quand je vis qu’on enjoignait à la supérieure du couvent de force dont il s’agissait, d’empoisonner secrètement, qui?… Saint-Elme, cette charmante novice de Panthemont que j’avais adorée pendant mon séjour dans ce couvent. Une autre que moi eût déchiré ce monument de scélératesse; mais j’avais fait trop de chemin dans la carrière du crime pour reculer: rien ne m’arrête, je n’ai pas même le mérite de balancer. Je remets l’ordre à la supérieure de Sainte-Pélagie, où Saint-Elme gémissait depuis trois mois; je demande à voir la coupable, je la questionne, elle m’avoue que le ministre a mis sa liberté au prix de sa complaisance, et qu’elle a fait avec lui tout ce que l’on peut faire. Aucune des saletés où se livrait ce monstre de luxure n’avait été épargnée: bouche, cul… con, l’infâme avait tout souillé, et ce qui la consolait de ces sacrifices était l’espoir de sa liberté.
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