— Oh, comme c’est délicieux! disait Saint-Fond tout en labourant mon cul; je ne sais ce que je donnerais pour la sodomiser en cet état.
— Rien n’est plus aisé, dit Noirceuil, essaye-le, nous te la tiendrons.
La patiente, vigoureusement saisie par les jeunes gens, présente, malgré ses efforts, le cul désiré par Saint-Fond; le scélérat s’y introduit.
— Oh, foutre! s’écrie-t-il, je n’y puis tenir.
D’Albert le remplace, Noirceuil ensuite; mais dès que sa malheureuse épouse le sent, ses efforts deviennent si terribles, qu’elle échappe à ceux qui la tiennent et se jette en fureur sur son bourreau; Noirceuil effrayé se sauve, le cercle se reforme.
— Laissons-la, laissons-la, dit Saint-Fond qui venait de rentrer dans mon cul; il ne faut pas approcher une bête venimeuse quand elle éprouve les crises de la mort.
Cependant Noirceuil, piqué, veut tirer vengeance de l’insulte; il machine de nouveaux supplices, lorsque Saint-Fond s’y oppose en assurant son ami que tout ce que l’on pourrait faire maintenant à la victime ne servirait qu’à troubler l’examen que l’on se proposait des effets du venin.
— Eh! messieurs, m’écriai-je, ce n’est pas tout cela qu’il faut à madame: elle n’a dans ce moment-ci besoin que d’un confesseur.
— Qu’elle aille au diable, la putain, dit Noirceuil que Lolotte suçait en ce moment; oui, oui, qu’elle aille à tous les diables!… Si j’ai jamais désiré un enfer, c’est dans l’espérance d’y savoir son âme, et de porter jusqu’à mon dernier soupir l’idée délicieuse que les plus vives douleurs ne sauraient avoir de fin pour elle.
Cette imprécation parut décider la dernière crise; Mme de Noirceuil rendit l’âme, et nos trois coquins déchargèrent en blasphémant comme des scélérats.
— Voilà une des meilleures actions que nous ayons faites de notre vie, dit Saint-Fond en pressant son vit pour en exprimer jusqu’à la dernière goutte de foutre; il y avait longtemps que je désirais la fin de cette ennuyeuse bégueule; j’en étais encore plus las que son mari.
— Ma foi, dit d’Albert, vous l’aviez pour le moins autant foutue que lui.
— Oh! beaucoup plus, dit mon amant.
— Quoi qu’il en soit, dit Saint-Fond à Noirceuil, ma fille est maintenant à vous: vous savez que je vous l’ai promise pour récompense de cette épreuve. Je suis enchanté de ce poison, il est bien malheureux que nous ne puissions pas jouir ainsi du spectacle de la mort de tous ceux que nous faisons périr de cette manière… Allons, mon ami, je vous le répète, ma fille est à vous; que le ciel bénisse une aventure où je gagne un gendre très aimable et la certitude de n’avoir point été trompé par la femme qui me fournit ces venins!
Ici Noirceuil eut l’air de faire une question bas à Saint-Fond, qui lui répondit affirmativement.
Et le ministre, m’adressant ensuite la parole:
— Juliette, me dit-il, vous viendrez me voir demain, je vous expliquerai ce que je n’ai fait qu’effleurer aujourd’hui. Noirceuil, en se remariant, ne peut plus vous avoir chez lui; mais les effets de mon crédit, les grâces que je vais répandre sur vous, l’argent dont je vais vous couvrir, vous dédommageront bien amplement du sort que vous faisait mon ami. Je suis très content de vous; votre imagination est brillante, votre flegme entier dans le crime, votre cul superbe, je vous crois féroce et libertine: voilà les vertus qu’il me faut.
— Monseigneur, répondis-je, j’accepte avec reconnaissance tout ce qu’il vous plaît de m’offrir, mais je ne puis vous dissimuler que j’aime Noirceuil; je ne m’en séparerais qu’avec peine.
— Nous ne cesserons point de nous voir, mon enfant, me répondit l’ami de Saint-Fond: gendre du ministre et son ami intime, nous passerons notre vie ensemble.
— Soit, répondis-je, à ces conditions j’accepte tout.
Les garçons et les filles, à qui l’on fit entrevoir une mort sûre dans le cas de la moindre indiscrétion, jurèrent un silence éternel; Mme de Noirceuil fut enterrée dans le jardin, et l’on se sépara.
Une circonstance imprévue retarda le mariage de Noirceuil, ainsi que les projets du ministre. Il ne me fut pas possible non plus de le voir le lendemain: le roi, singulièrement content de Saint-Fond, venait de lui donner une marque sûre de confiance en le chargeant d’un voyage secret pour lequel il fut obligé de partir sur-le-champ, et au retour duquel il eut le cordon bleu avec cent mille écus de pension.
— Oh! me dis-je en apprenant ces faveurs, comme il est vrai que le sort récompense le crime, et qu’il serait imbécile, celui qui, éclairé par de tels exemples, ne parcourrait pas ardemment toute l’étendue de cette carrière!
Cependant, d’après les lettres que Noirceuil reçut du ministre, j’eus l’ordre de me monter une maison splendide. Ayant reçu l’argent nécessaire à l’exécution de ce projet, je louai tout de suite un magnifique hôtel, rue du Faubourg-St-Honoré; j’achetai quatre chevaux, deux voitures charmantes; je pris trois laquais d’une taille haute, majestueuse, et d’une figure enchanteresse, un cuisinier, deux aides, une femme de charge, une lectrice, trois femmes de chambre, un coiffeur, deux filles en sous-ordre et deux cochers; des meubles délicieux ornèrent ma maison; et le ministre étant de retour, je fus me présenter aussitôt chez lui. Je venais d’atteindre ma dix-septième année, et je puis dire qu’il était à Paris bien peu de femmes plus jolies que moi; j’étais mise comme la déesse même des amours; il était impossible de réunir plus d’art à plus de luxe; cent mille francs n’eussent pas payé les parures dont j’avais orné mes attraits, et je portais cent mille écus de bijoux ou de diamants. Toutes les portes s’ouvrirent à mon aspect; le ministre m’attendait seul. Je débutai par les félicitations les plus sincères des grâces qu’il venait d’obtenir, et lui demandai la permission de baiser les marques de sa nouvelle dignité; il y consentit, pourvu que je ne remplisse ce soin qu’à genoux: pénétrée de sa morgue et loin de la heurter, je fis ce qu’il désirait. C’est par des bassesses que le courtisan achète le droit d’être insolent avec les autres.
— Vous me voyez, me dit-il, madame, au milieu de ma gloire; le roi m’a comblé, et j’ose dire que j’ai mérité ses dons; jamais mon crédit ne fut plus assuré, jamais ma fortune plus considérable. Si je fais refluer sur vous une partie de ces grâces, il est inutile de vous dire à quelles conditions. Après ce que nous avons fait ensemble, je crois pouvoir être sûr de vous; ma plus entière confiance vous est acquise; mais, avant que je n’entre dans aucun détail, jetez les yeux, madame, sur ces deux clefs: celle-ci est celle des trésors qui vont vous couvrir, si je suis bien servi par vous; celle-là est celle de la Bastille: une éternelle prison vous y est préparée, si vous manquez d’obéissance ou de discrétion.
— Entre de telles menaces et un pareil espoir, vous n’imaginez pas, sans doute, que je balance, dis-je à Saint-Fond; confiez-vous donc à votre plus soumise esclave, et soyez parfaitement sûr d’elle.
— Deux soins bien importants vont être remis dans vos mains, madame; asseyez-vous et écoutez-moi.
Et comme j’allais prendre un fauteuil par inadvertance, Saint-Fond me fit signe de ne me placer que sur une chaise. Je me confondis en excuses, et voici comment il me parla:
— Le poste que j’occupe, et dans lequel je veux me soutenir longtemps, m’oblige à sacrifier un nombre infini de victimes. Voici une cassette composée de différente poisons; vous les emploierez d’après les ordres que vous recevrez de moi; à ceux qui me desservent seront réservés les plus cruels; les prompts, pour ceux dont l’existence me nuit au point que je n’aie pas un moment à perdre pour les enlever de ce monde; ces derniers, que vous voyez sous l’étiquette de poisons lents, seront pour ceux dont, par de puissantes raisons de politique, je dois prolonger l’existence afin d’éloigner de moi les soupçons. Toutes ces expéditions, suivant l’existence des cas, se feront tantôt chez vous, tantôt chez moi, quelquefois en province ou dans les pays étrangers.
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