Chez celui-ci, pour tâcher d’obtenir de M meSéraphin quelques indices sur la famille de Fleur-de-Marie.
À la maison de la rue du Temple, récemment habitée par Germain, afin de tenter de découvrir la retraite de ce jeune homme par l’intermédiaire de M lleRigolette; tâche assez difficile, cette grisette sachant peut-être que le fils du Maître d’école avait le plus grand intérêt à laisser complètement ignorer sa nouvelle demeure.
En louant dans la maison de la rue du Temple la chambre naguère occupée par Germain, Rodolphe facilitait ainsi ses recherches et se mettait à même d’observer de près les différentes classes de gens qui occupaient cette demeure.
Le jour même de l’entretien du baron de Graün et de Murph, Rodolphe se rendit, vers les trois heures, à la rue du Temple, par une triste journée d’hiver.
Située au centre d’un quartier marchand et populeux, cette maison n’offrait rien de particulier dans son aspect; elle se composait d’un rez-de-chaussée occupé par un rogomiste, et de quatre étages surmontés de mansardes.
Une allée sombre, étroite, conduisait à une petite cour ou plutôt à une espèce de puits carré de cinq ou six pieds de large, complètement privé d’air, de lumière, réceptacle infect de toutes les immondices de la maison, qui y pleuvaient des étages supérieurs, car des lucarnes sans vitres s’ouvraient au-dessus du plomb de chaque palier.
Au pied d’un escalier humide et noir, une lueur rougeâtre annonçait la loge du portier; loge enfumée par la combustion d’une lampe, nécessaire même en plein midi pour éclairer cet antre obscur où nous suivrons Rodolphe, à peu près vêtu en commis marchand non endimanché.
Il portait un paletot de couleur douteuse, un chapeau quelque peu déformé, une cravate rouge, un parapluie et d’immenses socques articulés. Pour compléter l’illusion de son rôle, Rodolphe tenait sous le bras un grand rouleau d’étoffes soigneusement enveloppé.
Il rentra chez le portier pour lui demander à visiter la chambre alors vacante.
Un quinquet, placé derrière un globe de verre rempli d’eau qui lui sert de réflecteur, éclaire la loge. Au fond, on aperçoit un lit recouvert d’une courtepointe arlequin, formée d’une multitude de morceaux d’étoffes de toute espèce et de toute couleur; à gauche, une commode de noyer, dont le marbre supporte pour ornement:
Un petit saint Jean de cire, avec son mouton blanc et sa perruque blonde, le tout placé sous une cage de verre étoilée, dont les fêlures sont ingénieusement consolidées par des bandes de papier bleu;
Deux flambeaux de vieux plaqué rougi par le temps, et portant, au lieu de bougies, des oranges pailletées, sans doute récemment offertes à la portière comme cadeau du jour de l’an;
Deux boîtes, l’une en paille de couleurs variées, l’autre recouverte de petits coquillages; ces deux objets d’art sentent leur maison de détention ou leur bagne d’une lieue [85]. (Espérons, pour la moralité du portier de la rue du Temple, que ce présent n’est pas un hommage de l’auteur.)
Enfin, entre les deux boîtes, et sous un globe de pendule, on admire une petite paire de bottes à cœur, en maroquin rouge, véritables bottes de poupée, mais soigneusement et savamment travaillées, ouvrées et piquées.
Ce chef-d’œuvre, comme disaient les anciens artisans, joint à une abominable odeur de cire rance et à de fantastiques arabesques dessinées le long des murs avec une innombrable quantité de vieilles chaussures, annonce suffisamment que le portier de cette maison a travaillé dans le neuf avant de descendre jusqu’à la restauration des vieilles chaussures.
Lorsque Rodolphe s’aventura dans ce bouge, M. Pipelet, le portier, momentanément absent, était représenté par M mePipelet. Celle-ci, placée près d’un poêle de fonte situé au milieu de la loge, semblait écouter gravement chanter sa marmite (c’est l’expression consacrée).
L’Hogarth français, Henri Monnier, a si admirablement stéréotypé la portière que nous nous contenterons de prier le lecteur, s’il veut se figurer M mePipelet, d’évoquer dans son souvenir la plus laide, la plus ridée, la plus bourgeonnée, la plus sordide, la plus dépenaillée, la plus hargneuse, la plus venimeuse des portières immortalisées par cet éminent artiste.
Le seul trait que nous nous permettrons d’ajouter à cet idéal, qui ne peut manquer d’être une merveilleuse réalité, sera une bizarre coiffure composée d’une perruque à la Titus; perruque originairement blonde, mais nuancée par le temps d’une foule de tons roux et jaunâtres, bruns et fauves, qui émaillaient pour ainsi dire une confusion inextricable de mèches dures, roides, hérissées, emmêlées. M mePipelet n’abandonnait jamais cet unique et éternel ornement de son crâne sexagénaire.
À la vue de Rodolphe, la portière prononça d’un ton rogue ces mots sacramentels:
– Où allez-vous?
– Madame, il y a, je crois, une chambre et un cabinet à louer dans cette maison? demanda Rodolphe en appuyant sur le mot madame, ce qui ne flatta pas médiocrement M mePipelet. Elle répondit moins aigrement:
– Il y a une chambre à louer au quatrième, mais on ne peut pas la voir… Alfred est sorti…
– Votre fils, sans doute, madame? Rentrera-t-il bientôt?
– Non, monsieur, ce n’est pas mon fils, c’est mon mari!… Pourquoi donc Pipelet ne s’appellerait-il pas Alfred?
– Il en a parfaitement le droit, madame; mais, si vous le permettez, j’attendrai un moment son retour. Je tiendrais à louer cette chambre, le quartier et la rue me conviennent; la maison me plaît, car elle me semble admirablement bien tenue. Pourtant, avant de visiter le logement que je désire occuper, je voudrais savoir si vous pouvez, madame, vous charger de mon ménage? J’ai l’habitude de ne jamais employer que les concierges, toutefois quand ils y consentent.
Cette proposition, exprimée en termes si flatteurs: concierge!… gagna complètement M mePipelet; elle répondit:
– Mais certainement, monsieur… Je ferai votre ménage… Je m’en honore, et pour six francs par mois vous serez servi comme un prince.
– Va pour les six francs. Madame… votre nom?
– Pomone-Fortunée-Anastasie Pipelet.
– Eh bien! Madame Pipelet, je consens aux six francs par mois pour vos gages. Et si la chambre me convient… quel est son prix?
– Avec le cabinet, cent cinquante francs, monsieur; pas un liard à rabattre… Le principal locataire est un chien… un chien qui tondrait sur un œuf.
– Et vous le nommez?
– M. Bras-Rouge.
Ce nom et les souvenirs qu’il éveillait firent tressaillir Rodolphe.
– Vous dites, madame Pipelet, que le principal locataire se nomme?…
– Eh bien… M. Bras-Rouge.
– Et il demeure?
– Rue aux Fèves; n° 13; il tient aussi un estaminet dans les fossés des Champs-Élysées.
Il n’y avait plus à en douter, c’était le même homme… Cette rencontre semblait étrange à Rodolphe.
– Si M. Bras-Rouge est le principal locataire, dit-il, quel est le propriétaire de la maison?
– M. Bourdon; mais je n’ai jamais eu affaire qu’à M. Bras-Rouge.
Voulant mettre la portière en confiance, Rodolphe reprit:
– Tenez, ma chère madame Pipelet, je suis un peu fatigué; le froid m’a gelé… rendez-moi le service d’aller chez le rogomiste qui demeure dans la maison, vous me rapporterez un flacon de cassis et deux verres… ou plutôt trois verres, puisque votre mari va rentrer.
Et il donna cent sous à cette femme.
– Ah çà! monsieur, vous voulez donc que du premier mot on vous adore? s’écria la portière dont le nez bourgeonné sembla s’illuminer de tous les feux d’une bachique convoitise.
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