Monsieur le duc était un tireur habile. Les deux balles de son revolver avaient porté.
Le lendemain, l’hôtel de Chaves était une maison déserte. À l’extérieur, au contraire, soit dans le faubourg Saint-Honoré, doit dans l’avenue Gabrielle, tous les badauds du quartier semblaient s’être donné rendez-vous.
Il y avait, Dieu merci, matière à chroniques et à bavardages. Le corps de monsieur le duc avait été retrouvé percé d’un coup d’épée au milieu de sa chambre à coucher. Le lit était défait, quoiqu’on n’y eut point couché, les meubles étaient dérangés, et un revolver tombé à terre avait tiré deux de ses coups.
Les Noirs et les autres domestiques interrogés avaient répondu que certains bruits s’étaient fait entendre dans la nuit, mais qu’à l’hôtel de Chaves, quand monsieur le duc rentrait ivre vers le matin, on était habitué à entendre toutes sortes de bruits.
Ce n’était pas tout, cependant. Le caissier et le sous-caissier de la Compagnie brésilienne s’étaient éveillés fort tard au milieu d’un véritable ravage. La caisse était forcée, et il y manquait une somme considérable.
Ce n’était pas tout encore. Dans le pavillon en retour sur le jardin, une pauvre jeune femme, madame la marquise de Rosenthal, attaquée sans doute par les malfaiteurs, avait passé la nuit garrottée et bâillonnée.
Enfin, sous les bosquets des Champs-Elysées, en face du jardin de l’hôtel, une large trace de sang restait, malgré la pluie, et indiquait un ou plusieurs meurtres. Mais, ici, on avait cherché en vain le corps du délit.
Les badauds se racontaient les uns aux autres ces divers détails tragiques et passaient, en somme, une agréable journée.
La justice informait.
Dans l’appartement du jeune comte Hector de Sabran, assez bien remis du coup de canne plombée qui l’avait terrassé la veille, sous les arbres du quai d’Orsay, nous eussions rencontré tous les personnages de notre drame, rassemblés autour du lit de Justin de Vibray.
Le chirurgien venait d’extraire la seconde balle et répondait désormais de l’existence du blessé.
C’était Médor qui avait servi d’aide pendant l’opération.
Toute la matinée on avait craint que Justin ne survécût point à l’extraction des balles; aussi, à tout événement avait-il voulu mettre d’avance la main de mademoiselle Justine de Vibray, sa fille, dans celle d’Hector de Sabran.
Maintenant il dormait paisiblement, tandis que Lily et Justine, les yeux mouillés de larmes heureuses, penchaient leurs sourires au-dessus de son sommeil.
Échalot et madame Canada regardaient cela, et la célèbre Amandine, parlant au nom de la communauté, disait avec fierté mais la larme à l’œil:
– On sait se tenir à sa place. Nous n’appartenons pas à la même catégorie dans les castes de la société moderne, par conséquence on fera en sorte de ne point se rendre à charge à des personnes qui n’oseraient pas nous dire: fichez-nous le camp, par suite des sentiments de leurs cœurs généreux.
– Mais néanmoins, ajouta Échalot dont la pauvre voix tremblait, on sollicite la permission d’assister dans un coin au mariage d’abord et puis au baptême… en plus, de venir tous les ans voir un peu comment se porte notre ancienne fille.
Post-scriptum. Quant à monsieur le marquis Saladin de Rosenthal, nous verrons quelque jour peut-être comment il employa l’argent de la Compagnie brésilienne, et sur quel noble théâtre il eut l’honneur de s’étrangler en avalant son dernier sabre.
[1]Voir Les Habits Noirs, premier tome de la série.
[2]Voir Les Habits Noirs, premier tome de la série.
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