Et, par instants encor, – tout va-t-il se dissoudre? –
Parmi ces mondes, fauve, accourant à grand bruit,
Une comète aux crins de flamme, aux yeux de foudre,
Surgit, et les regarde, et, blême, approche et luit;
Puis s’évade en hurlant, pâle et surnaturelle,
Traînant sa chevelure éparse derrière elle,
Comme une Canidie affreuse qui s’enfuit.
Quelques-uns de ces globes meurent;
Dans le semoun et le mistral
Leurs mers sanglotent, leurs flots pleurent;
Leur flanc crache un brasier central.
Sphères par la neige engourdies,
Ils ont d’étranges maladies,
Pestes, déluges, incendies,
Tremblements profonds et fréquents;
Leur propre abîme les consume;
Leur haleine flamboie et fume;
On entend de loin dans leur brume
La toux lugubre des volcans.
Ils sont! ils vont! ceux-ci brillants, ceux-là difformes,
Tous portant des vivants et des créations!
Ils jettent dans l’azur des cônes d’ombre énormes,
Ténèbres qui des cieux traversent les rayons,
Où le regard, ainsi que des flambeaux farouches
L’un après l’autre éteints par d’invisibles bouches,
Voit plonger tour à tour les constellations!
Quel Zorobabel formidable,
Quel Dédale vertigineux,
Cieux! a bâti dans l’insondable
Tout ce noir chaos lumineux?
Soleils, astres aux larges queues,
Gouffres! ô millions de lieues!
Sombres architectures bleues!
Quel bras a fait, créé, produit
Ces tours d’or que nuls yeux ne comptent,
Ces firmaments qui se confrontent,
Ces Babels d’étoiles qui montent
Dans ces Babylones de nuit?
Qui, dans l’ombre vivante et l’aube sépulcrale,
Qui, dans l’horreur fatale et dans l’amour profond,
A tordu ta splendide et sinistre spirale,
Ciel, où les univers se font et se défont?
Un double précipice à la fois les réclame.
«Immensité!» dit l’être. «Éternité!» dit l’âme.
À jamais! le sans fin roule dans le sans fond.
L’Inconnu, celui dont maint sage
Dans la brume obscure a douté,
L’immobile et muet visage,
Le voile de l’éternité,
A, pour montrer son ombre au crime,
Sa flamme au juste magnanime,
Jeté pêle-mêle à l’abîme
Tous ses masques, noirs ou vermeils;
Dans les éthers inaccessibles,
Ils flottent, cachés ou visibles;
Et ce sont ces masques terribles
Que nous appelons les soleils!
Et les peuples ont vu passer dans les ténèbres
Ces spectres de la nuit que nul ne pénétra;
Et flamines, santons, brahmanes, mages, guèbres,
Ont crié: Jupiter! Allah! Vishnou! Mithra!
Un jour, dans les lieux bas, sur les hauteurs suprêmes,
Tous ces masques hagards s’effaceront d’eux-mêmes;
Alors, la face immense et calme apparaîtra!
Enfant! l’autre de ces deux mondes,
C’est le cœur d’un homme! – parfois,
Comme une perle au fond des ondes,
Dieu cache une âme au fond des bois.
Dieu cache un homme sous les chênes;
Et le sacre en d’austères lieux
Avec le silence des plaines,
L’ombre des monts, l’azur des cieux!
Ô ma fille! avec son mystère
Le soir envahit pas à pas
L’esprit d’un prêtre involontaire,
Près de ce feu qui luit là-bas!
Cet homme, dans quelque ruine,
Avec la ronce et le lézard,
Vit sous la brume et la bruine,
Fruit tombé de l’arbre hasard!
Il est devenu presque fauve;
Son bâton est son seul appui.
En le voyant, l’homme se sauve;
La bête seule vient à lui.
Il est l’être crépusculaire.
On a peur de l’apercevoir;
Pâtre tant que le jour l’éclaire,
Fantôme dès que vient le soir.
La faneuse dans la clairière
Le voit quand il fait, par moment,
Comme une ombre hors de sa bière,
Un pas hors de l’isolement.
Son vêtement dans ces décombres,
C’est un sac de cendre et de deuil,
Linceul troué par les clous sombres
De la misère, ce cercueil.
Le pommier lui jette ses pommes;
Il vit dans l’ombre enseveli;
C’est un pauvre homme loin des hommes,
C’est un habitant de l’oubli;
C’est un indigent sous la bure,
Un vieux front de la pauvreté,
Un haillon dans une masure,
Un esprit dans l’immensité!
Dans la nature transparente,
C’est l’œil des regards ingénus,
Un penseur à l’âme ignorante,
Un grave marcheur aux pieds nus!
Oui, c’est un cœur, une prunelle,
C’est un souffrant, c’est un songeur,
Sur qui la lueur éternelle
Fait trembler sa vague rougeur.
Il est là, l’âme aux cieux ravie,
Et, près d’un branchage enflammé,
Pense, lui-même par la vie
Tison à demi consumé.
Il est calme en cette ombre épaisse;
Il aura bien toujours un peu
D’herbe pour que son bétail paisse,
De bois pour attiser son feu.
Nos luttes, nos chocs, nos désastres,
Il les ignore; il ne veut rien
Que, la nuit, le regard des astres,
Le jour, le regard de son chien.
Son troupeau gît sur l’herbe unie;
Il est là, lui, pasteur, ami,
Seul éveillé, comme un génie
À côté d’un peuple endormi.
Ses brebis, d’un rien remuées,
Ouvrant l’œil près du feu qui luit,
Aperçoivent sous les nuées
Sa forme droite dans la nuit;
Et, bouc qui bêle, agneau qui danse,
Dorment dans les bois hasardeux
Sous ce grand spectre Providence
Qu’ils sentent debout auprès d’eux.
Le pâtre songe, solitaire,
Pauvre et nu, mangeant son pain bis;
Il ne connaît rien de la terre
Que ce que broute la brebis.
Pourtant, il sait que l’homme souffre;
Mais il sonde l’éther profond.
Toute solitude est un gouffre,
Toute solitude est un mont.
Dès qu’il est debout sur ce faîte,
Le ciel reprend cet étranger;
La Judée avait le prophète,
La Chaldée avait le berger.
Ils tâtaient le ciel l’un et l’autre;
Et, plus tard, sous le feu divin,
Du prophète naquit l’apôtre,
Du pâtre naquit le devin.
La foule raillait leur démence;
Et l’homme dut, aux jours passés,
À ces ignorants la science,
La sagesse à ces insensés.
La nuit voyait, témoin austère,
Se rencontrer sur les hauteurs,
Face à face dans le mystère,
Les prophètes et les pasteurs.
– Où marchez-vous, tremblants prophètes?
– Où courez-vous, pâtres troublés?
Ainsi parlaient ces sombres têtes,
Et l’ombre leur criait: Allez!
Aujourd’hui, l’on ne sait plus même
Qui monta le plus de degrés
Des Zoroastres au front blême
Ou des Abrahams effarés.
Et, quand nos yeux, qui les admirent,
Veulent mesurer leur chemin,
Et savoir quels sont ceux qui mirent
Le plus de jour dans l’œil humain,
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