Elle emplit l’ignorant de la science énorme;
Ce que le cèdre voit, ce que devine l’orme,
Ce que le chêne sent,
Dieu, l’être, l’infini, l’éternité, l’abîme,
Dans l’ombre elle le mêle à la candeur sublime
D’un pâtre frémissant.
L’homme n’est qu’une lampe, elle en fait une étoile.
Et ce pâtre devient, sous son haillon de toile,
Un mage; et, par moments,
Aux fleurs, parfums du temple, aux arbres, noirs pilastres,
Apparaît couronné d’une tiare d’astres,
Vêtu de flamboiements!
Il ne se doute pas de cette grandeur sombre:
Assis près de son feu que la broussaille encombre,
Devant l’être béant,
Humble, il pense; et, chétif, sans orgueil, sans envie,
Il se courbe, et sent mieux, près du gouffre de vie,
Son gouffre de néant.
Quand il sort de son rêve, il revoit la nature.
Il parle à la nuée, errant à l’aventure,
Dans l’azur émigrant;
Il dit: «Que ton encens est chaste, ô clématite!»
Il dit au doux oiseau: «Que ton aile est petite,
«Mais que ton vol est grand!»
Le soir, quand il voit l’homme aller vers les villages,
Glaneuses, bûcherons qui traînent des feuillages,
Et les pauvres chevaux
Que le laboureur bat et fouette avec colère,
Sans songer que le vent va le rendre à son frère
Le marin sur les flots;
Quand il voit les forçats passer, portant leur charge,
Les soldats, les pêcheurs pris par la nuit, au large,
Et hâtant leur retour,
Il leur envoie à tous, du haut du mont nocturne,
La bénédiction qu’il a puisée à l’urne
De l’insondable amour!
Et, tandis qu’il est là, vivant sur sa colline,
Content, se prosternant dans tout ce qui s’incline,
Doux rêveur bienfaisant,
Emplissant le vallon, le champ, le toit de mousse,
Et l’herbe et le rocher de la majesté douce
De son cœur innocent,
S’il passe par hasard, près de sa paix féconde,
Un de ces grands esprits en butte aux flots du monde
Révolté devant eux,
Qui craignent à la fois, sur ces vagues funèbres,
La terre de granit et le ciel de ténèbres,
L’homme ingrat, Dieu douteux;
Peut-être, à son insu, que ce pasteur paisible,
Et dont l’obscurité rend la lueur visible,
Homme heureux sans effort,
Entrevu par cette âme en proie au choc de l’onde,
Va lui jeter soudain quelque clarté profonde
Qui lui montre le port!
Ainsi ce feu peut-être, aux flancs du rocher sombre,
Là-bas est aperçu par quelque nef qui sombre
Entre le ciel et l’eau;
Humble, il la guide au loin de son reflet rougeâtre,
Et du même rayon dont il réchauffe un pâtre,
Il sauve un grand vaisseau!
Et je repris, montrant à l’enfant adorée
L’obscur feu du pasteur et l’étoile sacrée:
De ces deux feux, perçant le soir qui s’assombrit,
L’un révèle un soleil, l’autre annonce un esprit.
C’est l’infini que notre œil sonde;
Mesurons tout à Dieu, qui seul crée et conçoit!
C’est l’astre qui le prouve et l’esprit qui le voit;
Une âme est plus grande qu’un monde.
Enfant, ce feu de pâtre à cette âme mêlé,
Et cet astre, splendeur du plafond constellé
Que l’éclair et la foudre gardent,
Ces deux phares du gouffre où l’être flotte et fuit,
Ces deux clartés du deuil, ces deux yeux de la nuit,
Dans l’immensité se regardent.
Ils se connaissent; l’astre envoie au feu des bois
Toute l’énormité de l’abîme à la fois,
Les baisers de l’azur superbe,
Et l’éblouissement des visions d’Endor;
Et le doux feu de pâtre envoie à l’astre d’or
Le frémissement du brin d’herbe.
Le feu de pâtre dit: – La mère pleure, hélas!
L’enfant a froid, le père a faim, l’aïeul est las;
Tout est noir; la montée est rude;
Le pas tremble, éclairé par un tremblant flambeau;
L’homme au berceau chancelle et trébuche au tombeau.
L’étoile répond: – Certitude!
De chacun d’eux s’envole un rayon fraternel,
L’un plein d’humanité, l’autre rempli de ciel;
Dieu les prend, et joint leur lumière,
Et sa main, sous qui l’âme, aigle de flamme, éclôt,
Fait du rayon d’en bas et du rayon d’en haut
Les deux ailes de la prière.
Ingouville, août 1839.
FIN DU TOME PREMIER.
TOME II AUJOURD’HUI 1843-1856
LIVRE QUATRIÈME PAUCA MEÆ
Pure Innocence! Vertu sainte!
Ô les deux sommets d’ici-bas!
Où croissent, sans ombre et sans crainte,
Les deux palmes des deux combats!
Palme du combat Ignorance!
Palme du combat Vérité!
L’âme, à travers sa transparence,
Voit trembler leur double clarté.
Innocence! Vertu! sublimes
Même pour l’œil mort du méchant!
On voit dans l’azur ces deux cimes,
L’une au levant, l’autre au couchant.
Elles guident la nef qui sombre;
L’une est phare, et l’autre est flambeau;
L’une a le berceau dans son ombre,
L’autre en son ombre a le tombeau.
C’est sous la terre infortunée
Que commence, obscure à nos yeux,
La ligne de la destinée;
Elles l’achèvent dans les cieux.
Elles montrent, malgré les voiles
Et l’ombre du fatal milieu,
Nos âmes touchant les étoiles
Et la candeur mêlée au bleu.
Elles éclairent les problèmes;
Elles disent le lendemain;
Elles sont les blancheurs suprêmes
De tout le sombre gouffre humain.
L’archange effleure de son aile
Ce faîte où Jéhovah s’assied;
Et sur cette neige éternelle
On voit l’empreinte d’un seul pied.
Cette trace qui nous enseigne,
Ce pied blanc, ce pied fait de jour,
Ce pied rose, hélas! car il saigne,
Ce pied nu, c’est le tien, amour!
Janvier 1843.
Aime celui qui t’aime, et sois heureuse en lui.
– Adieu! – sois son trésor, ô toi qui fus le nôtre!
Va, mon enfant béni, d’une famille à l’autre.
Emporte le bonheur et laisse-nous l’ennui!
Ici, l’on te retient; là-bas, on te désire.
Fille, épouse, ange, enfant, fais ton double devoir.
Donne-nous un regret, donne-leur un espoir,
Sors avec une larme! entre avec un sourire!
Dans l’église, 15 février 1843.
4 septembre 1843
…
Il est temps que je me repose;
Je suis terrassé par le sort.
Ne me parlez pas d’autre chose
Que des ténèbres où l’on dort!
Que veut-on que je recommence?
Je ne demande désormais
À la création immense
Qu’un peu de silence et de paix!
Pourquoi m’appelez-vous encore?
J’ai fait ma tâche et mon devoir.
Qui travaillait avant l’aurore,
Peut s’en aller avant le soir.
À vingt ans, deuil et solitude!
Mes yeux, baissés vers le gazon,
Perdirent la douce habitude
De voir ma mère à la maison.
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