Tremblant comme le daim qu’une feuille effarouche,
Il grandit. Pour l’enfant, grandir, c’est chanceler.
Il se mit à marcher, il se mit à parler,
Il eut trois ans; doux âge, où déjà la parole,
Comme le jeune oiseau, bat de l’aile et s’envole.
Et la mère disait: «Mon fils!» et reprenait:
«Voyez comme il est grand! il apprend; il connaît
Ses lettres. C’est un diable! Il veut que je l’habille
En homme; il ne veut plus de ses robes de fille;
C’est déjà très méchant, ces petits hommes-là!
C’est égal, il lit bien; il ira loin; il a
De l’esprit; je lui fais épeler l’Évangile.» –
Et ses yeux adoraient cette tête fragile,
Et, femme heureuse, et mère au regard triomphant,
Elle sentait son cœur battre dans son enfant.
Un jour, – nous avons tous de ces dates funèbres! –
Le croup, monstre hideux, épervier des ténèbres,
Sur la blanche maison brusquement s’abattit,
Horrible, et, se ruant sur le pauvre petit,
Le saisit à la gorge; ô noire maladie!
De l’air par qui l’on vit sinistre perfidie!
Qui n’a vu se débattre, hélas! ces doux enfants
Qu’étreint le croup féroce en ses doigts étouffants!
Ils luttent; l’ombre emplit lentement leurs yeux d’ange,
Et de leur bouche froide il sort un râle étrange,
Et si mystérieux, qu’il semble qu’on entend,
Dans leur poitrine, où meurt le souffle haletant,
L’affreux coq du tombeau chanter son aube obscure.
Tel qu’un fruit qui du givre a senti la piqûre,
L’enfant mourut. La mort entra comme un voleur
Et le prit. – Une mère; un père, la douleur,
Le noir cercueil, le front qui se heurte aux murailles,
Les lugubres sanglots qui sortent des entrailles,
Oh! la parole expire où commence le cri;
Silence aux mots humains!
La mère au cœur meurtri,
Pendant qu’à ses côtés pleurait le père sombre,
Resta trois mois sinistre, immobile dans l’ombre,
L’œil fixe, murmurant on ne sait quoi d’obscur,
Et regardant toujours le même angle du mur.
Elle ne mangeait pas; sa vie était sa fièvre;
Elle ne répondait à personne; sa lèvre
Tremblait; on l’entendait, avec un morne effroi,
Qui disait à voix basse à quelqu’un: – Rends-le-moi! –
Et le médecin dit au père: – Il faut distraire
Ce cœur triste, et donner à l’enfant mort un frère. –
Le temps passa; les jours, les semaines, les mois.
Elle se sentit mère une seconde fois.
Devant le berceau froid de son ange éphémère,
Se rappelant l’accent dont il disait: – Ma mère, –
Elle songeait, muette, assise sur son lit.
Le jour où, tout à coup, dans son flanc tressaillit
L’être inconnu promis à notre aube mortelle,
Elle pâlit. – Quel est cet étranger? dit-elle.
Puis elle cria, sombre et tombant à genoux:
– Non, non, je ne veux pas! non! tu serais jaloux!
Ô mon doux endormi, toi que la terre glace,
Tu dirais: «On m’oublie; un autre a pris ma place;
«Ma mère l’aime, et rit; elle le trouve beau,
«Elle l’embrasse, et, moi, je suis dans mon tombeau!»
Non, non! –
Ainsi pleurait cette douleur profonde.
Le jour vint; elle mit un autre enfant au monde,
Et le père joyeux cria: – C’est un garçon.
Mais le père était seul joyeux dans la maison;
La mère restait morne, et la pâle accouchée,
Sur l’ancien souvenir tout entière penchée,
Rêvait; on lui porta l’enfant sur un coussin;
Elle se laissa faire et lui donna le sein;
Et tout à coup, pendant que, farouche, accablée,
Pensant au fils nouveau moins qu’à l’âme envolée,
Hélas! et songeant moins aux langes qu’au linceul,
Elle disait: – Cet ange en son sépulcre est seul!
– Ô doux miracle! ô mère au bonheur revenue! –
Elle entendit, avec une voix bien connue,
Le nouveau-né parler dans l’ombre entre ses bras,
Et tout bas murmurer: – C’est moi. Ne le dis pas.
Août 1843.
Arbres de la forêt, vous connaissez mon âme!
Au gré des envieux la foule loue et blâme;
Vous me connaissez, vous! – vous m’avez vu souvent,
Seul dans vos profondeurs, regardant et rêvant.
Vous le savez, la pierre où court un scarabée,
Une humble goutte d’eau de fleur en fleur tombée,
Un nuage, un oiseau, m’occupent tout un jour.
La contemplation m’emplit le cœur d’amour.
Vous m’avez vu cent fois, dans la vallée obscure,
Avec ces mots que dit l’esprit à la nature,
Questionner tout bas vos rameaux palpitants,
Et du même regard poursuivre en même temps,
Pensif, le front baissé, l’œil dans l’herbe profonde,
L’étude d’un atome et l’étude du monde.
Attentif à vos bruits qui parlent tous un peu,
Arbres, vous m’avez vu fuir l’homme et chercher Dieu!
Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches,
Nids dont le vent au loin sème les plumes blanches,
Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux,
Vous savez que je suis calme et pur comme vous.
Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s’élance,
Et je suis plein d’oubli comme vous de silence!
La haine sur mon nom répand en vain son fiel;
Toujours, – je vous atteste, ô bois aimés du ciel! –
J’ai chassé loin de moi toute pensée amère,
Et mon cœur est encor tel que le fit ma mère!
Arbres de ces grands bois qui frissonnez toujours,
Je vous aime, et vous, lierre au seuil des antres sourds,
Ravins où l’on entend filtrer les sources vives,
Buissons que les oiseaux pillent, joyeux convives!
Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois,
Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois,
Dans votre solitude où je rentre en moi-même,
Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime!
Aussi, taillis sacrés où Dieu même apparaît,
Arbres religieux, chênes, mousses, forêt,
Forêt! c’est dans votre ombre et dans votre mystère,
C’est sous votre branchage auguste et solitaire,
Que je veux abriter mon sépulcre ignoré,
Et que je veux dormir quand je m’endormirai.
Juin 1843.
L’enfant, voyant l’aïeule à filer occupée,
Veut faire une quenouille à sa grande poupée.
L’aïeule s’assoupit un peu; c’est le moment.
L’enfant vient par derrière et tire doucement
Un brin de la quenouille où le fuseau tournoie,
Puis s’enfuit triomphante, emportant avec joie
La belle laine d’or que le safran jaunit,
Autant qu’en pourrait prendre un oiseau pour son nid.
Cauteretz, août 1843.
Le soleil, dans les monts où sa clarté s’étale,
Ajuste à son arc d’or sa flèche horizontale;
Les hauts taillis sont pleins de biches et de faons;
Là rit dans les rochers, veinés comme des marbres,
Une chaumière heureuse; en haut, un bouquet d’arbres;
Au-dessous, un bouquet d’enfants.
C’est l’instant de songer aux choses redoutables.
On entend les buveurs danser autour des tables;
– Tandis que, gais, joyeux, heurtant les escabeaux,
Ils mêlent aux refrains leurs amours peu farouches,
Les lettres des chansons qui sortent de leurs bouches
Vont écrire autour d’eux leurs noms sur leurs tombeaux.
– Mourir! demandons-nous, à toute heure, en nous-même:
– Comment passerons-nous le passage suprême? –
Finir avec grandeur est un illustre effort.
Le moment est lugubre et l’âme est accablée;
Quel pas que la sortie! – Oh! l’affreuse vallée
Que l’embuscade de la mort!
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