Et, pendant qu’il est là, triste, et que dans la classe
Un chuchotement vague endort son âme lasse,
Oh! des poëtes purs entr’ouverts sur vos bancs,
Qu’il sorte, dans le bruit confus des soirs tombants,
Qu’il sorte de Platon, qu’il sorte d’Euripide,
Et de Virgile, cygne errant du vers limpide,
Et d’Eschyle, lion du drame monstrueux,
Et d’Horace, et d’Homère à demi dans les cieux,
Qu’il sorte, pour sa tête aux saints travaux baissée,
Pour l’humble défricheur de la jeune pensée,
Qu’il sorte, pour ce front qui se penche et se fend
Sur ce sillon humain qu’on appelle l’enfant,
De tous ces livres pleins de hautes harmonies,
La bénédiction sereine des génies!
Juin 1843.
XVII. Chose vue un jour de printemps
Entendant des sanglots, je poussai cette porte.
Les quatre enfants pleuraient et la mère était morte.
Tout dans ce lieu lugubre effrayait le regard.
Sur le grabat gisait le cadavre hagard;
C’était déjà la tombe et déjà le fantôme.
Pas de feu; le plafond laissait passer le chaume.
Les quatre enfants songeaient comme quatre vieillards.
On voyait, comme une aube à travers des brouillards,
Aux lèvres de la morte un sinistre sourire;
Et l’aîné, qui n’avait que six ans, semblait dire:
«Regardez donc cette ombre où le sort nous a mis!»
Un crime en cette chambre avait été commis.
Ce crime, le voici: – Sous le ciel qui rayonne,
Une femme est candide, intelligente, bonne;
Dieu, qui la suit d’en haut d’un regard attendri,
La fit pour être heureuse. Humble, elle a pour mari
Un ouvrier; tous deux, sans aigreur, sans envie,
Tirent d’un pas égal le licou de la vie.
Le choléra lui prend son mari; la voilà
Veuve avec la misère et quatre enfants qu’elle a.
Alors, elle se met au labeur comme un homme.
Elle est active, propre, attentive, économe;
Pas de drap à son lit, pas d’âtre à son foyer;
Elle ne se plaint pas, sert qui veut l’employer,
Ravaude de vieux bas, fait des nattes de paille,
Tricote, file, coud, passe les nuits, travaille
Pour nourrir ses enfants; elle est honnête enfin.
Un jour, on va chez elle, elle est morte de faim.
Oui, les buissons étaient remplis de rouges-gorges,
Les lourds marteaux sonnaient dans la lueur des forges,
Les masques abondaient dans les bals, et partout
Les baisers soulevaient la dentelle du loup;
Tout vivait; les marchands comptaient de grosses sommes;
On entendait rouler les chars, rire les hommes;
Les wagons ébranlaient les plaines; le steamer
Secouait son panache au-dessus de la mer;
Et, dans cette rumeur de joie et de lumière,
Cette femme étant seule au fond de sa chaumière,
La faim, goule effarée aux hurlements plaintifs,
Maigre et féroce, était entrée à pas furtifs,
Sans bruit, et l’avait prise à la gorge, et tuée.
La faim, c’est le regard de la prostituée,
C’est le bâton ferré du bandit, c’est la main
Du pâle enfant volant un pain sur le chemin,
C’est la fièvre du pauvre oublié, c’est le râle
Du grabat naufragé dans l’ombre sépulcrale.
Ô Dieu! la sève abonde, et, dans ses flancs troublés,
La terre est pleine d’herbe et de fruits et de blés,
Dès que l’arbre a fini, le sillon recommence;
Et, pendant que tout vit, ô Dieu, dans ta clémence,
Que la mouche connaît la feuille du sureau,
Pendant que l’étang donne à boire au passereau,
Pendant que le tombeau nourrit les vautours chauves,
Pendant que la nature, en ses profondeurs fauves,
Fait manger le chacal, l’once et le basilic,
L’homme expire! – Oh! la faim, c’est le crime public;
C’est l’immense assassin qui sort de nos ténèbres.
Dieu! pourquoi l’orphelin, dans ses langes funèbres,
Dit-il: «J’ai faim!» L’enfant, n’est-ce pas un oiseau?
Pourquoi le nid a-t-il ce qui manque au berceau?
Avril 1840.
La querelle irritée, amère, à l’œil ardent,
Vipère dont la haine empoisonne la dent,
Siffle et trouble le toit d’une pauvre demeure.
Les mots heurtent les mots. L’enfant s’effraie et pleure.
La femme et le mari laissent l’enfant crier.
– D’où viens-tu? – Qu’as-tu fait? – Oh! mauvais ouvrier!
Il vit dans la débauche et mourra sur la paille.
– Femme vaine et sans cœur qui jamais ne travaille!
– Tu sors du cabaret? – Quelque amant est venu?
– L’enfant pleure, l’enfant a faim, l’enfant est nu.
Pas de pain. – Elle a peur de salir ses mains blanches!
– Où cours-tu tous les jours? – Et toi, tous les dimanches?
– Va boire! – Va danser! – Il n’a ni feu ni lieu!
– Ta fille seulement ne sait pas prier Dieu!
– Et ta mère, bandit, c’est toi qui l’as tuée!
– Paix! – Silence, assassin! – Tais-toi, prostituée!
Un beau soleil couchant, empourprant le taudis,
Embrasait la fenêtre et le plafond, tandis
Que ce couple hideux, que rend deux fois infâme
La misère du cœur et la laideur de l’âme,
Étalait son ulcère et ses difformités
Sans honte, et sans pudeur montrait ses nudités.
Et leur vitre, où pendait un vieux haillon de toile,
Était, grâce au soleil, une éclatante étoile
Qui, dans ce même instant, vive et pure lueur,
Éblouissait au loin quelque passant rêveur!
Septembre 1841.
XIX. Baraques de la foire
Lion! j’étais pensif, ô bête prisonnière,
Devant la majesté de ta grave crinière;
Du plafond de ta cage elle faisait un dais.
Nous songions tous les deux, et tu me regardais.
Ton regard était beau, lion. Nous autres hommes,
Le peu que nous faisons et le rien que nous sommes,
Emplit notre pensée, et dans nos regards vains
Brillent nos plans chétifs que nous croyons divins,
Nos vœux, nos passions que notre orgueil encense,
Et notre petitesse, ivre de sa puissance;
Et, bouffis d’ignorance ou gonflés de venin,
Notre prunelle éclate et dit: Je suis ce nain!
Nous avons dans nos yeux notre moi misérable.
Mais la bête qui vit sous le chêne et l’érable,
Qui paît le thym, ou fuit dans les halliers profonds,
Qui dans les champs, où nous, hommes, nous étouffons,
Respire, solitaire, avec l’astre et la rose,
L’être sauvage, obscur et tranquille qui cause
Avec la roche énorme et les petites fleurs,
Qui, parmi les vallons et les sources en pleurs,
Plonge son mufle roux aux herbes non foulées,
La brute qui rugit sous les nuits constellées,
Qui rêve et dont les pas fauves et familiers
De l’antre formidable ébranlent les piliers,
Et qui se sent à peine en ces profondeurs sombres,
A sous son fier sourcil les monts, les vastes ombres,
Les étoiles, les prés, le lac serein, les cieux,
Et le mystère obscur des bois silencieux,
Et porte en son œil calme, où l’infini commence,
Le regard éternel de la nature immense.
Juin 1842.
Quand une lueur pâle à l’orient se lève,
Quand la porte du jour, vague et pareille au rêve,
Commence à s’entr’ouvrir et blanchit l’horizon,
Comme l’espoir blanchit le seuil d’une prison,
Se réveiller, c’est bien, et travailler, c’est juste.
Quand le matin à Dieu chante son hymne auguste,
Le travail, saint tribut dû par l’homme mortel,
Est la strophe sacrée au pied du sombre autel;
Le soc murmure un psaume; et c’est un chant sublime
Qui, dès l’aurore, au fond des forêts, sur l’abîme,
Au bruit de la cognée, au choc des avirons,
Sort des durs matelots et des noirs bûcherons.
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