J’ignore d’où vient exactement ce geste de cosaque. Je croirais volontiers qu’il est né spontanément dans les caves crayeuses de Champagne au cours des célèbres pillages qui ont accompagné les diverses invasions de cette partie de la France. 1815 ? 1870 ? 1914 ?… On a le choix.
En tout cas le champagne doit être frais. Et si par hasard vous n’aviez pas un sabre sous la main lors de votre prochaine célébration, sachez qu’un fort couteau de cuisine fera parfaitement l’affaire !
À tire-larigot
Notre société de consommation ne saurait se priver, au moins pour quelque temps encore, d’une telle expression. Elle s’appliquait autrefois uniquement à la boisson. Comme dans Rabelais : « Et pour l’apaiser lui donnèrent à boire à tire-larigot. »
Son origine est obscure et controversée (voir à ce sujet l’histoire de la cloche de Rouen ainsi que l’article de Furetière, p. 15). Parmi les choses certaines on sait que « à tire » dans l’ancienne langue signifiait « sans arrêt, d’un seul coup » : « Vingt et quatre ans trestout a tire. » (Chr. de Troyes.) « Boire à tire » pourrait donc être, à la rigueur : vider une succession de gobelets… Mais larigot ?
Le mot désigne une sorte de flûte rustique, ou flageolet, dont le sens demeure dans le registre des orgues : le jeu de larigot. Il apparaît dans le refrain d’une chanson de Christine de Pisan en 1403 :
Larigot va, larigot
Mari, tu n’aimes mie.
Ronsard l’emploie dans des vers célèbres au sujet de Margot
Qui fait sauter ses bœufs au son du larigot.
Certains ont pensé qu’un tire-larigot était le flûtiste lui-même et que boire comme lui n’était pas une mince affaire, d’autant que les joueurs de flûte ont depuis l’Antiquité une solide réputation de soiffards, comme c’est le cas pour tous ceux qui usent beaucoup de salive. Cette acception pourrait trouver appui dans l’alternative « en tire-larigot » : « Il humait du pyot [vin] en tire-larigot » (XV e), que l’on peut rapprocher de « flûter », ou « flûter pour le bourgeois » qui veut dire aussi : boire comme un trou.
Ce qui est sûr en tout cas c’est que ce petit instrument a aussi donné lieu à des tas de sous-entendus paillards, comme d’ailleurs la flûte en général, et de nos jours la clarinette ; par exemple dans les XV Joies « quant vient la nuit, le gallant s’en vient », et qu’il se couche auprès de la « pauvre famme seule », eh bien… « Ils accordent leur chalumeaulx et entreprennent de leur donner de bon temps. » C’est le « sens un peu trop libre » dont parle Furetière à propos du vers de Saint-Amant : « Danser le double branle au son du larigot. »
Il n’y a pas que Saint-Amant. C’est de ce point de vue grivois qu’il faut lire ces vers du XV e siècle du Varlet à louer à tout faire, lequel, entre autres choses, sait bien faire « la bête à deux dos / Quant [il] trouve compagne à point » :
Puis je sonne la cornemuse
Avec le petit larigot,
Afin de réveiller Margot
Quand elle est par trop endormie.
Au cas où il faudrait mettre les points sur les « i », je signale que la « cornemuse » a un sac, elle aussi, une poche ; et que « réveiller Margot » veut dire réveiller ses sens, la faire s’agiter, car il était trouvé regrettable à l’époque qu’une femme ne participe pas activement à l’acte sexuel et laisse le bonhomme se fatiguer tout seul — « par trop endormie » — ce n’étaient pas de bonnes manières.
Les anciens aimaient beaucoup les doubles sens, les métaphores paillardes, les jeux de mots, les parodies. C’est un trait banal de l’ancienne littérature. Je me demande si le curieux refrain de Christine de Pisan n’est pas de cette eau-là… Qu’est-ce que ça veut dire au juste : « Larigot va, larigot / Mari, tu n’aimes mie ? » Et même pour la Margot de Ronsard : quels sont ces « bœufs » bizarres qui sautent aussi gaillardement ? Une « paire » de bœufs ou une paire de fesses ?…
Il y a peut-être dans la formation de « à tire » ou « en tire-larigot » — au XIV e siècle, avant que le mot soit attesté ? — des restes de gauloiserie qui nous échappent. Pourquoi avoir fait un sort, si tel est le cas, au joueur de cette petite flûte agreste qui n’est même pas un instrument de musique important, plutôt une sorte de sifflet, au point d’en faire une spécialité ? Pourquoi pas aussi un tire-aveine, un tire-pipeau ?… À cause de la gaieté du mot lui-même, sans doute. Mais peut-être aussi à cause d’un jeu de mots entre le musicien au gosier sec et le joueur de flûte en braguette ! On tire le larigot comme on tire l’épée ?… Ça donne encore plus soif ?…
Ma foi je n’en sais rien, et je lève mon verre à la santé de Sherlock Holmes !
Porter un toste
Boire à la santé du voisin est sans doute la plus ancienne forme de Sécurité sociale ! Selon Rabelais c’est le géant Gabara, ancêtre de Gargantua, qui fut le premier inventeur de la coutume. En réalité les Grecs présentaient déjà la coupe à leurs amis en disant : « Voici pour toi ! » — probablement par imitation et parodie des offrandes sacrées à leurs dieux. Les Romains épelaient galamment le nom de leur maîtresse en avalant d’un trait à chaque lettre un verre rempli à ras bord.
Ces professionnels de l’orgie récitaient aussi une curieuse formule : Bene vos, bene nos, bene te, bene me, bene nostrum etiam Stephanium, que cite Plaute et que je transcris non pas pour faire savant, mais parce qu’elle doit être à l’origine de notre « À la bonne vôtre » (Bene vos), et sans doute aussi par le canal des anciens collèges classiques et la rime aidant, du familier et néanmoins surprenant : « À la tienne Étienne, à la tienne mon vieux ! » (Stephanium ). Je ne serais pas surpris qu’elle ait aidé à fournir également par les mêmes beuveries interposées le fameux petit jeu mimé, dérision de la sainte messe : « Au frontibus, au nasibus, au mentibus, et à la bouche, et glou, et glou… » ad libitum, qui force les culs secs des fins de goguette !
Quant au toste, qu’il est bien inutile d’écrire « toast », il nous vient d’Angleterre après emprunt au français. Le mot désigne avant tout une rôtie de pain et il n’est que l’adaptation britannique de notre vieux mot tostée qui signifie la même chose : une tranche de pain grillée que l’on mangeait en buvant. « Fais servir ma dame de tostées à l’hypocras blanc », dit un texte du XV e siècle. Mais ce sont les Anglais qui ont transmis le plus longtemps cette habitude du Moyen Âge de « pain trempé dans du vin », au moins dans la bonne société car elle s’est aussi conservée ici et là dans les campagnes.
Toujours est-il qu’au XVII e siècle, quand les Britanniques portaient la santé à une dame, la chope qui passait de convive en convive contenait effectivement un morceau de pain grillé, devenu le symbole de la dame elle-même. L’auteur du vœu la mangeait en dernier ressort !… Le mot, sinon l’usage, fut importé par les visiteurs français au XVIII e siècle. Voltaire, après son séjour, explique : « Les Anglais, qui se sont piqués de renouveler plusieurs coutumes de l’Antiquité, boivent à l’honneur des dames : c’est ce qu’ils appellent toster ; et c’est parmi eux un grand sujet de dispute si une femme est tostable ou non, si elle est digne qu’on la toste. »
C’est toujours une grosse question !
LA CUISINE
La cuisine d’un restaurant a toujours un petit air magique avec ces commandes que l’on y transmet par le canal du passe-plat :
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