Car la première dame réfute le titre de « Michelle Obama à la française ». Si son mari copie-colle de nombreux points de la communication de l’ex-leader des États-Unis, elle n’est pas dans ce cas. Elle ne se cantonnera surtout pas à une cause – comme l’avait été l’obésité infantile pour l’Américaine. Sa fonction n’étant pas fixée par un statut officiel, Brigitte Macron dispose finalement de tout le champ d’action que lui laisse le président. « Emmanuel m’a toujours dit : “C’est toi qui détermineras ton rôle dans le respect des règles [9] Alix Bouilhaguet, op. cit.
” », se rassurait-elle avant même l’élection. Or son rôle, elle le veut multiple. Dès ses premières semaines à l’Élysée, elle manifeste cette volonté de diversification par ses rencontres. Son premier déplacement ? Ce sera à l’institut Gustave-Roussy, à Villejuif, pour s’informer sur la scolarisation des enfants hospitalisés. Mi-juillet, elle reçoit également à l’Élysée Marc Lavoine et Abdel Aïssou, fondateurs de l’association Le Collectif. Elle a entendu parler de Mon Cartable connecté, leur programme permettant de relier un enfant durablement hospitalisé à sa classe. « Nous sommes restés plus de deux heures, à présenter le Cartable de façon très pragmatique, raconte Abdel Aïssou. Nous avions été frappés par sa simplicité et la qualité de son écoute. Très attachés à notre indépendance, nous avions accepté cette rencontre car la première dame est moins connotée politiquement que ne pourrait l’être un ministre ou le président. On n’était pas dans une logique de calculs ni dans l’immédiateté de la politique [10] Entretien avec l’auteur, le 26 septembre 2017.
. » Brigitte Macron revendique elle-même ce rythme particulier. « Ma fonction m’amène à être sur un temps différent, loin de l’actualité [11] Joëlle Chevé, op. cit.
», assure-t-elle. Une volonté qui explique peut-être – en parallèle de la peur de tout bad buzz – son absence des réseaux sociaux.
Mais cette résolution de se tenir loin des aléas de l’information ne résiste pas forcément à l’épreuve des faits. Le 16 octobre, le monde entier est agité par l’affaire Weinstein. Le président français a annoncé avoir engagé les démarches pour retirer la Légion d’honneur au producteur américain, accusé de violences sexuelles par des dizaines de femmes, et le grand public s’est emparé de la question. Sur Twitter et Facebook, chacune « balance son porc ». Participant dans une école parisienne à une dictée organisée par ELA (l’association européenne contre les leucodystrophies), la première dame est interpellée sur le sujet. « Je suis très heureuse que les femmes parlent. Peut-être que ce sera un mal pour un bien », répond-elle aux journalistes présents. Un discours qu’elle réitère, le soir même. « Elles sont très courageuses de le faire, et je pousse vraiment à rompre le silence. Quelque chose est en train de se passer, vraiment », juge-t-elle devant les caméras, à la sortie du Théâtre-Antoine. Elle vient alors d’assister à la pièce Les Chatouilles ou la Danse de la colère , escortée de la garde des Sceaux Nicole Belloubet, du secrétaire d’État Benjamin Griveaux et de Marlène Schiappa. Leur présence n’a rien d’anecdotique, sachant que le spectacle évoque la pédophilie et qu’il est ce soir-là suivi d’un débat sur les violences sexistes et sexuelles. Brigitte Macron ne prendra toutefois pas part à la discussion, se contentant d’écouter la secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes.
Une façon de ne pas mordre sur le territoire de Marlène Schiappa ? Celle-ci balaie cette question. « Pour moi, ce que fait Brigitte Macron est primordial. Elle est vraiment engagée, nous donne des recommandations. Et elle mesure très bien l’air du temps, nous explique-t-elle. Non seulement, on n’est pas en concurrence, mais c’est moi qui sollicite son implication et lui demande que l’on travaille ensemble. Elle a une aura et son engagement soutient les causes que l’on veut mettre en lumière [12] Entretien avec l’auteur, le 15 septembre 2017.
. » Sur le thème du handicap, Sophie Cluzel témoigne dans le même sens : « Elle veut rester discrète, juge-t-elle. Elle reçoit énormément de courrier sur ce sujet. C’est à elle que les Français écrivent. Elle s’implique beaucoup. Mais elle sait que, lorsqu’elle fait un déplacement, elle risque d’éclipser le cœur du sujet. Pour éviter cela, elle le fait loin des médias [13] Dans un article du Parisien , « Première dame, premier rôle », paru le 13 août 2017.
. » Sauf que cette clause de non-concurrence n’est pas forcément évidente pour tous. Et certains responsables d’associations expliquent avoir parfois du mal à déterminer quel est leur interlocuteur, entre la première dame et le ministre concerné par leur action. « C’est sûr que sans rôle prédéfini, on ne sait pas si l’on peut s’adresser à elle, admet Olivia Cattan. C’est un peu compliqué. On s’est tous mis à harceler Brigitte Macron, que l’on avait rencontrée avant les élections, pour apprendre que ce n’est pas elle qui gère tel ou tel dossier. Ces barrières-là, il est difficile de les accepter pour des associations [14] Entretien avec l’auteur, le 1 er septembre 2017.
. »
L’école du pouvoir
Pourtant, ses déjeuners avec différents ministres – Sophie Cluzel, Marlène Schiappa, Jean-Michel Blanquer et Françoise Nyssen –, quelques jours seulement après leur prise de fonction, semblaient indiquer un engagement politique plus qu’associatif. Renforçant pour certains l’image de cette « vice-présidente » que Valeurs actuelles mettait en couverture le 20 juillet 2017. « La première dame se fait plus discrète depuis qu’elle a pris possession de l’Élysée. Elle n’en est pas moins influente auprès du chef de l’État », affirmait l’hebdomadaire. « Au point d’être crainte des ministres et des conseillers qui redoutent sa liberté. » Le domaine dans lequel son intervention serait la plus grande ? L’éducation bien sûr. Pendant toute la campagne, l’ex-enseignante a distillé ses idées en la matière : le dédoublement des classes de CP et CE1 en zones défavorisées, l’envoi à mi-temps de profs expérimentés dans des lycées difficiles, la réintégration de La Fontaine dans les programmes… « Tout se fait à l’école », a-t-elle l’habitude de rappeler. Et offrir aux jeunes « autre chose que la cage d’escalier » est devenu dans ses rares interviews une vraie priorité du quinquennat. Est-elle l’éminence grise d’Emmanuel Macron sur le sujet ? On peut le penser en effet. Dans l’arrêté du 15 mai 2017 composant le cabinet présidentiel, sur les quarante-trois conseillers nommés, figurait d’ailleurs Thierry Coulhon à l’Enseignement supérieur, la Recherche et l’Innovation… mais personne à l’Éducation.
De son influence intellectuelle sur Emmanuel Macron à son implication dans la campagne, tout porte à croire en son rôle politique. Lorsque la journaliste Laurence Masurel lui adresse son livre, La France est ingouvernable , la première dame donne même du « nous » dans sa réponse. « Vous le savez, nous sommes prêts à relever tous les défis [15] D’après un article du Canard enchaîné , « “Nous, Brigitte Macron” », paru le 20 septembre 2017.
», aurait-elle écrit. Un engagement que ses proches mettent parfois en exergue tout naturellement. « Elle est simple, facile d’accès, tout l’opposé de ce que certaines femmes politiques sont [16] Entretien avec l’auteur, le 18 septembre 2017.
», juge Patrick Toulmet. Une « femme politique », le mot ne semble pas trop fort au soutien d’Emmanuel Macron. « Elle fait du bien à la classe politique, poursuit-il. C’est une femme de terrain et elle est très cash. Sur le sujet du handicap, elle a parfois pu corriger certaines personnes en disant “voilà ce que l’on compte faire, voilà ce que l’on fera”. Elle va faire bouger les lignes. »
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