Car le sujet n’est pas clos. Loin de là. Le soir du 6 février 2017, les soutiens d’Emmanuel Macron sont réunis au théâtre Bobino. L’événement est censé consister en un question-réponse entre les neuf cents « marcheurs » présents et quatre délégués du mouvement. Quand, soudain, le candidat, qui n’est pas prévu au programme, fait son entrée. Son but : rassurer l’auditoire sur la « rumeur désobligeante » qui n’a cessé d’enfler en ce début d’année. Depuis quelques jours, des e-mails la relayant ont été envoyés à plusieurs rédactions. Et les recherches associant les noms Emmanuel Macron et Mathieu Gallet ont explosé sur Google Trends, ce dont l’équipe d’En Marche !, en veille sur le sujet, est bien consciente. Sans compter que le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, a promis des révélations sur l’ex-ministre. Sur scène, celui qu’Atlantico a le jour même qualifié d’« Objet Sexuel Non Identifié » met donc le paquet. « Pour celles et ceux qui voudraient faire courir l’idée que je suis duplice, que j’ai des vies cachées, c’est désagréable pour Brigitte… Mais je vous rassure, comme elle partage tout de ma vie, du soir au matin, elle se demande simplement comment physiquement je peux faire, lance-t-il, sous le regard de sa femme en coulisses. Heureusement que je ne l’ai jamais rémunérée pour cela ! » Dans cette campagne paralysée par l’affaire Fillon, les Macron savent que la vie privée a intégré le débat public et ils sont bien décidés à évacuer le problème. « Donc si dans les dîners en ville, si dans les boucles de mails, on vous dit que j’ai une double vie avec Mathieu Gallet, c’est mon hologramme qui soudain m’a échappé. Mais ça ne peut pas être moi, je ne le connais pas », conclut-il, taclant par la même occasion la nouvelle ubiquité virtuelle de Jean-Luc Mélenchon. Le sketch divisera les amis du candidat. Mais la salle, hilare, applaudit à tout rompre, Brigitte Macron en tête. Et pour finir de rassurer son épouse, il s’offre un dernier démenti.
Troisième acte : en février, il donne aussi une interview au magazine gay Têtu , où il achève de mettre les points sur les i . « Il se trouve que je connais très mal Mathieu Gallet, je l’ai vu trois ou quatre fois et uniquement à titre professionnel lorsque j’ai fait des interviews à la radio. […] Si j’avais été homosexuel, je le dirais et je le vivrais. » Un empressement à saper tout « Gallet Gate » qui a surpris le rédacteur en chef du mensuel, Adrien Naselli, face au candidat ce jour-là. Il nous confie son étonnement. « Je voulais lui demander pourquoi il éprouvait un tel besoin de mettre fin à des rumeurs qui, de mon point de vue, étaient très parisiennes. Mais il m’a répondu de manière assez virulente qu’on la relayait aussi en province, en prenant pour exemple la coiffeuse de sa chargée de presse qui lui en avait parlé. Cela m’a semblé relever d’une paranoïa un peu étrange, mais il semblait sûr de son fait. Sa réponse était en tout cas très bien amenée, puisqu’il y a glissé des éléments sur la misogynie potentielle de ces rumeurs [11] Entretien avec l’auteur, le 11 août 2017.
. » Il est vrai que, dans Têtu , Emmanuel Macron s’insurge contre l’idée « qu’il n’est pas possible qu’un homme vivant avec une femme plus âgée soit autre chose qu’un homosexuel ou un gigolo cachés. Si j’avais eu vingt-quatre ans de plus, personne ne l’aurait pensé. »
Des attaques d’un autre âge
Une injustice qu’il n’oubliera d’ailleurs jamais de signaler. Que ce soit auprès de la presse française ou dans les colonnes du Spiegel allemand. Il faut dire qu’à l’international aussi, la rumeur a pris – en atteste l’étonnement du chanteur Boy George sur Twitter en apprenant que le candidat n’est pas gay ! Dans l’Hexagone comme à l’étranger, Emmanuel Macron devient alors le pourfendeur du machisme ambiant. « Cela montre le poids des représentations collectives, analysait-il dès novembre 2015 sur le plateau du “Supplément” de Canal+. Cela me choque quand c’est blessant pour mon épouse. Parce que ça la blesse, donc ça me blesse. »
La misogynie ? Il en fait l’élément clé de la rumeur. D’autant que Brigitte Macron a une certaine expérience en la matière, elle dont l’âge est très vite devenu un sujet de moquerie nationale. Sur les réseaux sociaux, bien sûr, où les plaisanteries fusent, mais pas seulement. Car la différence d’âge des Macron s’affirme aussi comme la lol story incontournable des médias traditionnels. En quelques mois, Brigitte devient « mûre comme une poire à tarte », des mots de Tanguy Pastureau sur RTL, « Grand-mère sait faire un bon café », chez Laurent Gerra sur la même station, « croqueuse de minet » dans une chronique de Libération par Luc Le Vaillant, épouse d’un « gérontophile » selon Éric Brunet dans Salut les Terriens , enceinte en couverture de Charlie Hebdo , grâce à un président qui « va faire des miracles »… Voire jeune mariée munie d’un déambulateur dans une vidéo d’animation du site taïwanais TomoNews. Aucune raillerie ne lui sera épargnée. Et maintenant que son année de naissance est bien connue – après avoir longtemps été une énigme pour certains journalistes, qui la rajeunissaient encore de cinq ans en septembre 2016 –, personne ne se privera plus d’en faire mention.
Ces sarcasmes l’ont évidemment blessée. Aux premiers journalistes qui lui ont consacré des portraits, en 2012, Emmanuel Macron avait d’ailleurs demandé de ne pas insister sur cet écart d’âge. « Ceux qui le soulignent n’ont rien compris à qui on était [12] Anne Fulda, op. cit.
», tranche Brigitte, expliquant n’avoir jamais vécu son couple dans la différence. Mais pendant la campagne, ses craintes se sont confirmées : l’épouse d’un politique est condamnée à « encaisser », comme elle le dit. Ses tenues sont aussi observées à la loupe, et largement raillées. Avec des commentaires qui, là encore, ne se cantonnent pas aux blogs féminins. Au lendemain de l’élection présidentielle, le très sérieux Financial Times la qualifie d’« Essex girl » (comprendre « bimbo » ). Quelques semaines plus tard, en juillet, L’Express signale en légende d’un article sur ses débuts élyséens que « la première dame n’a pas renoncé à ses slims moulants ». Quant à la patronne du Huffington Post , Anne Sinclair, elle lui accorde les faveurs d’un passage entier au cœur de sa Chronique d’une France blessée [13] Grasset, 2017.
. Un livre dans lequel, a priori , on ne s’attend pas à ce que la journaliste politique parle chiffons. Mais elle y retranscrit une conversation très légèrement surréaliste avec Manuel Valls. « N’ayant pas été à la cérémonie pour Michel Rocard aux Invalides, je veux me faire confirmer ce qu’on m’a rapporté : que Brigitte Macron – qui vient encore une fois de parler à Closer [14] C’est faux. Brigitte Macron n’a, pour l’instant, jamais parlé à Closer .
– est arrivée dans une tenue trop habillée, avec des stilettos qui, sur les pavés de la cour d’honneur où l’hommage de la République était solennel, avaient davantage un air de Fashion Week que de recueillement devant le leader de gauche disparu. » Celui qui est alors Premier ministre ne répondra pas à cette question cruciale… À la lecture de ces lignes, Emmanuel Macron aurait, lui, vociféré.
Mais, de son côté, Brigitte reste fidèle à sa stratégie du sourire à tout prix. S’appuyant sur cette tirade du Barbier de Séville lorsqu’on la presse sur le sujet : « La calomnie, Monsieur ? Vous ne savez guère ce que vous dédaignez ; j’ai vu les plus honnêtes gens près d’en être accablés [15] Beaumarchais, Le Barbier de Séville , II, 8.
. » Pas question d’être dans la réponse immédiate et vengeresse. La première dame – qui n’a pas de compte Facebook ou Twitter – préfère se retrancher derrière Beaumarchais. Il est certain que c’est plus chic. « Elle prend la vie avec philosophie et beaucoup d’humour, nous explique son amie du Touquet Juliette Bernard. Elle s’était préparée à tout cela. Alors elle n’est bien sûr pas insensible, mais elle s’y attendait et a pris les choses le plus dignement possible. Elle est armée pour cela [16] Entretien avec l’auteur, le 16 août 2017.
. » Pourtant, elle avoue avoir été secouée par la brutalité des attaques. « Mais j’ai fini par me dire : “Bon, tu les vis mal, mais tu te tais.” Après, ça passe [17] « Appelez-moi Brigitte », op. cit.
», expliquait-elle à Elle .
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