— Vous ne venez pas avec nous ? demanda Hortense. Je vous l’ai dit : Combert est prêt à vous accueillir.
— Non. J’ai encore à faire ici… Ce château est à moi, à présent. Je vais enfin pouvoir en faire ce que je veux !… Allons, dépêchez-vous ! Et surtout, écartez-vous le plus vite que vous pourrez…
Au sortir du boyau qui débouchait en effet sur la rivière, on n’eut pas de peine à retrouver François Devès qui attendait là avec des chevaux. François installa Godivelle et l’enfant sur l’un d’eux, Jean et Hortense se mirent en selle sur le second et la petite troupe s’enfonça sous les sapins qui bordaient le cours d’eau écumeux. On entendait, de l’autre côté du château, les cris et les appels de Chapioux qui conjurait le marquis de lui ouvrir la porte.
— Que s’est-il passé ? demanda François…
— Je te dirai plus tard, répondit Jean. Le marquis n’est sûrement pas mort et il faut faire le plus de chemin possible avant qu’il ne lance ses dogues à nos trousses. A Combert nous ne craindrons plus rien…
La violente détonation lui coupa la parole. En même temps, le ciel s’embrasa comme pour l’un de ces rouges couchers de soleil qui annoncent le vent. Un même élan jeta les fugitifs sur un tertre rocheux d’où l’on découvrait le château et ils restèrent là, figés de stupeur, incapables d’en croire leurs yeux : Lauzargues flambait. Une énorme gerbe de flammes et d’étincelles jaillissait du cœur du vieux donjon… Et ils comprirent alors pourquoi Eugène Garland leur avait recommandé de s’éloigner rapidement : pour assouvir sa vengeance, le vieux chimiste venait de faire sauter ce château dont il se proclamait follement l’héritier. Et le maître de Lauzargues venait de trouver son enfer.
D’un même mouvement, Hortense et Godivelle se signèrent mais seule, la vieille femme laissa couler des larmes.
Vers la fin de la nuit, Hortense sortit de sa maison et s’avança sur la terrasse. Elle n’avait pas envie de dormir. En dépit de tout ce qu’elle venait de vivre elle ne voulait pas laisser le sommeil la priver de ces premiers instants de délivrance. Derrière elle, la maison était paisible. Jean, sa blessure pansée en attendant que le D rBrémont vînt l’examiner, dormait dans l’une des chambres d’amis. Godivelle s’était installée avec Étienne dans l’ancienne chambre d’Hortense. François était retourné chez lui où Jeannette l’attendait. Tout était bien, tout était en place…
Le ciel qui bleuissait montrait à présent des étoiles brillantes. C’était un ciel froid qui annonçait l’hiver et, du jardin montait déjà l’odeur des feuilles mortes. Soudain, quelque part dans le lointain, éclata le hurlement d’un loup. Mais il n’avait plus le pouvoir de faire frissonner Hortense. C’était pour elle au contraire le signe de l’alliance à jamais scellée entre elle et la vieille terre d’Auvergne.
Le vent se levait, si frais que la jeune femme resserra autour de ses épaules son châle de laine blanche. Mais elle ne rentra pas. Elle attendait que se lève son premier jour de vrai bonheur…
Saint-Mandé, 15 août 1985
[1] Place de la Concorde.
[2] Pont de la Concorde.
[3] L'empire turc s'étendait autrefois jusqu'à la mer Caspienne.
[4] Lire ou relire Jean de la Nuit (Librairie Plon).
[5] Le Panthéon était encore l'église Sainte-Geneviève. C'est Louis-Philippe qui, quelques mois plus tard, en fit ce qu'il est aujourd'hui.
[6] Gardes qui se tenaient aux côtés mêmes du Roi.
[7] Elle se situait sur les arrières actuels de la mairie de Saint-Mandé.
[8] Voiture de voyage permettant de s'étendre.
[9] Fine étoffe de coton.
[10] Reconstruit en 1855, et en plus vaste, le pont a conservé ce nom.
[11] Long bâton creux qui fait office de soufflet.