— Il dure toujours, Dieu merci ! Les seuls vaisseaux cetagandans à n’être pas repartis d’où ils étaient venus sont ceux qui ont subi des dommages : barreau de Necklin, système de contrôle ou encore pilotes blessés. Ou les trois. Nous les laissons en réparer deux et repartir avec un équipage réduit, les autres ne sont pas récupérables. J’estime que les voyages commerciaux contrôlés pourront recommencer dans six semaines.
Miles secoua la tête.
— Ainsi se termine la guerre des Cinq-Jours. Je n’ai jamais vu une seule fois un Cetagandan face à face. Tant d’efforts et de sang versé, et tout ça pour en revenir au statu quo !
— Pas exactement pour tout le monde. Un certain nombre d’officiers supérieurs cetagandans ont été rappelés dans leur capitale pour expliquer à leur empereur leur « expédition non autorisée ». On s’attend que ces excuses leur soient fatales.
Miles eut un rire sec.
— Pour expier leur échec, autrement dit. « Expédition non autorisée. » Y a-t-il quelqu’un qui croie ça ? Pourquoi même se donner cette peine ?
— Subtilité, mon garçon. À l’ennemi qui bat en retraite il faut laisser garder autant de dignité que possible. Mais rien d’autre, par contre.
— Je crois comprendre que tu as usé de subtilité avec les Polians. Je m’étais imaginé que ce serait Simon Illyan qui viendrait en personne nous ramener, pauvres enfants perdus, à la maison.
— Il en mourait d’envie, mais nous ne pouvions absolument pas nous absenter ensemble. La couverture avec laquelle nous avions masqué l’absence de Grégor menaçait de s’effondrer d’un instant à l’autre.
— Comment vous y êtes-vous pris, à propos ?
— Nous avons choisi un jeune officier qui ressemblait beaucoup à Grégor, lui avons dit qu’il y avait un complot pour l’assassiner et qu’il devait servir d’appât. Béni soit-il, il s’est porté volontaire aussitôt. Avec les hommes de sa Sécurité, à qui l’on avait raconté la même histoire, il a passé les quelques semaines suivantes à mener la belle vie à Vorkosigan Surleau, mangeant ce qu’il y avait de meilleur – sauf qu’il s’est payé une indigestion. Nous l’avons finalement envoyé faire du camping rustique, car les questions en provenance de la capitale devenaient pressantes. Les gens ne tarderont pas à comprendre, j’en suis sûr, si ce n’est déjà fait, mais maintenant que nous avons récupéré Grégor, nous pouvons donner n’importe quelle explication qui nous plaira. Qui lui plaira.
Le comte Vorkosigan fronça brièvement les sourcils d’une curieuse façon qui ne témoignait pas totalement le déplaisir.
— J’ai été surpris, bien qu’enchanté, dit Miles, que tu aies pu dépasser Pol si vite avec tes forces. Je redoutais que Pol ne t’y autorise qu’une fois les Cetagandans débarqués dans le Moyeu. À ce moment-là, ç’aurait été trop tard.
— Oui, eh bien ! voilà l’autre raison pour laquelle tu me vois ici à la place de Simon. En tant que Premier ministre et ancien régent, j’avais un excellent prétexte pour rendre une visite officielle à Pol. Nous sommes arrivés avec une liste vite établie des cinq principales concessions diplomatiques qu’ils nous demandaient depuis des années et nous l’avons proposée comme ordre du jour.
« Tout étant protocolaire, officiel et loyal, il était donc parfaitement raisonnable pour nous de combiner ma visite avec la croisière d’essai du Prince Serg. Nous étions en orbite au-dessus de Pol, et nous faisions la navette pour assister aux réceptions et réunions officielles (sa main massa inconsciemment son abdomen dans un geste destiné à prévenir la douleur), avec moi essayant encore frénétiquement d’obtenir par la persuasion l’autorisation de pénétrer dans le Moyeu sans tuer personne quand est tombée la nouvelle de l’attaque-surprise de Cetaganda contre Vervain. À ce stade, la permission de passer a été accordée illico. Et nous étions seulement à des jours, pas à des semaines, du lieu du combat. Amener les Aslunders à s’aligner avec les Polians a été plus coton. Grégor m’a étonné quand il a traité l’affaire. Les Vervani n’ont pas posé de problème, ils étaient hautement motivés alors pour trouver des alliés.
— J’ai entendu dire que Grégor jouit maintenant d’une grande popularité sur Vervain.
— Pendant que nous sommes ici à parler, il est fêté dans la capitale, je pense. (Le comte Vorkosigan jeta un coup d’œil à son chrono.) Les Vervani sont fous de lui. Le laisser naviguer en première ligne dans la salle de tactique du Prince Serg était peut-être une meilleure idée que je ne le pensais. D’un point de vue purement diplomatique.
Le comte Vorkosigan eut l’air plutôt rêveur.
— J’ai été… stupéfait que tu l’autorises à sauter avec toi dans la zone de feu. Je n’avais pas tablé là-dessus.
— Ma foi, tout bien réfléchi, la salle de tactique de la flotte du Prince Serg devait être les quelques mètres carrés les mieux défendus de l’espace territorial de Vervain. Cela, cela…
Miles regarda avec fascination son père tenter d’émettre les mots : ne présentait aucun danger et ne pas y parvenir. La lumière se fit.
— Ce n’était pas ton idée, n’est-ce pas ? Grégor a donné l’ordre de l’admettre à bord !
— Il avait plusieurs bons arguments pour soutenir sa position, répliqua le comte Vorkosigan. Le point de vue propagande paraît en tout cas porter ses fruits.
— Je pensais que tu serais trop… prudent pour l’autoriser à courir ce risque.
Le comte Vorkosigan examina ses mains carrées.
— L’idée ne me plaisait pas, non. Mais j’avais naguère prêté serment de servir un empereur. Le moment le plus mortellement dangereux pour un tuteur, c’est quand la tentation de devenir un montreur de marionnettes paraît la solution la plus rationnelle. J’ai toujours su que ce moment devait… non. Je savais que si jamais ce moment se présentait, j’aurais complètement failli à mon serment. (Il marqua une pause.) N’empêche que cela provoque un choc dans le système. Ce renoncement.
— Grégor est allé contre ta volonté ? Oh, avoir été une mouche sur le mur de cette salle-là !
— Même avec toi pour m’entraîner pendant toutes ces années, ajouta le comte Vorkosigan d’un ton méditatif.
— Ah !… comment va ton ulcère ?
Le comte Vorkosigan fit la grimace.
— Ne m’en parle pas ! (Son visage s’éclaira légèrement.) Mieux, ces trois derniers jours. Il se pourrait même que je réclame de quoi manger pour déjeuner, au lieu de cette lamentable bouillie médicale.
Miles s’éclaircit la gorge.
— Comment va le capitaine Ungari ?
Le comte Vorkosigan eut une petite contraction de la lèvre.
— Il n’est pas excessivement content de toi.
— Je… je ne peux pas m’excuser. J’ai commis une quantité d’erreurs, mais désobéir à son ordre d’attendre à la Station d’Aslund n’en était pas une.
— Apparemment pas. (Le comte Vorkosigan regarda d’un air sombre le mur d’en face.) Et pourtant, je suis plus que jamais convaincu que l’armée régulière n’est pas ce qui te convient. Autant essayer d’insérer une cheville ronde… non, pire que cela ! Autant vouloir introduire un tesseract dans un trou rond.
Un tesseract, l’analogue à quatre dimensions d’un cube…
Miles réprima un élan de panique.
— Je ne vais pas être congédié, si ?
Elena contempla ses ongles et dit :
— Si tu l’étais, tu pourrais avoir un emploi comme mercenaire. Exactement comme le général Metzov. J’ai cru comprendre que le commandant Cavilo recherchait quelques hommes de valeur.
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