Lois McMaster Bujold
Miles Vorkosigan
Pour ma mère
Et avec mes remerciements à Charles Marshall
pour ses conseils de spécialiste en génie arctique,
et à William Megaard pour ses commentaires
sur la guerre et les « jeux de guerre »
— Je suis affecté à la flotte spatiale ! s’exclama dans un cri de joie l’enseigne qui se trouvait le quatrième avant Miles dans la file d’attente. (Radieux, il parcourut à la hâte son ordre de mission, le feuillet de plastique tremblant légèrement entre ses mains.) Je suis nommé officier subalterne préposé à l’armement sur le croiseur impérial Commodore Vorhalas. Je dois me présenter immédiatement à l’astroport de la base de Tanery pour mon transfert orbital.
On le poussa doucement, et il s’écarta d’un petit saut qui n’avait rien de militaire, pour laisser la place au suivant.
— Enseigne Plause.
Le sergent entre deux âges assis derrière le bureau réussissait à arborer une mine à la fois blasée et supérieure tandis qu’il brandissait posément, entre pouce et index, une nouvelle enveloppe. Depuis combien de temps occupait-il ce poste à l’Ecole militaire impériale ? se demanda Miles. Combien de centaines – de milliers – de jeunes officiers étaient passés sous ses yeux indifférents à ce moment suprême de leur carrière ? Avaient-ils commencé à se ressembler tous au bout de quelques années ? Les mêmes uniformes verts impeccables. Les mêmes rectangles brillants de plastique bleu qui raidissaient les cols d’une promotion flambant neuve. La même expression avide, les hardis diplômés de la première école d’élite des armées impériales, avec des visions de destin militaire dansant dans leur esprit : Nous ne marchons pas au-devant de l’avenir, nous y courons au pas de charge.
Plause sortit de la file, posa le pouce sur le sceau à empreinte digitale et dézippa la glissière fermant l’enveloppe.
— Eh bien ? demanda Ivan Vorpatril, qui précédait immédiatement Miles. Ne nous laisse pas sur le gril.
— Ecole des langues, répliqua Plause qui lisait toujours.
Plause connaissait déjà à la perfection les quatre langues parlées à Barrayar.
— Comme étudiant ou comme professeur ? questionna Miles.
— Etudiant.
— Ha ! Ha ! Alors, il s’agit de langues galactiques. Les services de renseignements t’enrôleront ensuite. Tu es assuré de quitter la planète, dit Miles.
— Pas évident, rétorqua Plause, bien qu’une lueur d’espoir illuminât ses yeux. On peut me coller dans un box de béton pour programmer des ordinateurs-traducteurs jusqu’à ce que j’en perde la vue.
Miles jugea plus charitable de ne pas mentionner qu’aux services de renseignements on finissait toujours par travailler pour Simon Illyan, le chef de la Sécurité impériale, l’homme qui avait une mémoire d’éléphant. Peut-être qu’à son niveau Plause n’aurait pas affaire à l’acerbe Illyan.
— Enseigne Lobachik.
Parmi tous les hommes qu’avait côtoyés Miles, Lobachik détenait le deuxième prix pour ce qui avait trait au zèle ; Miles ne s’étonna donc pas quand Lobachik dézippa son enveloppe et lut d’une voix étranglée :
— Séclmp. Cours de perfectionnement concernant la Sécurité et le Contre-Assassinat.
— Ah, l’Ecole de la garde du palais ! dit avec intérêt Ivan qui regardait par-dessus l’épaule de Lobachik.
— C’est un véritable honneur, commenta Miles. D’habitude, Illyan recrute ses étudiants parmi les hommes qui comptent vingt ans de carrière et des brochettes de médailles.
— Probable que l’empereur Grégor a demandé à Illyan un gars plus proche de son âge pour égayer le paysage, suggéra Ivan. Ces fossiles rébarbatifs dont Illyan l’entoure me flanqueraient le cafard. Ne laisse pas voir que tu as le sens de l’humour, Lobachik, c’est un motif d’exclusion automatique.
Auquel cas, Lobachik n’avait pas à craindre de perdre son affectation, songea Miles.
— Est-ce que je rencontrerai vraiment l’empereur ? fit Lobachik, jetant un œil inquiet à Miles et à Ivan.
— Il faudra sans doute que tu le regardes avaler son petit déjeuner tous les jours, répliqua Ivan. Pauvre diable !
À qui pensait-il, à Lobachik ou à Grégor ? À Grégor, indiscutablement.
— Vous autres, les Vors, vous le connaissez… Comment est-il ?
Miles s’interposa avant que l’éclair de malice dans l’expression d’Ivan ne se matérialise en plaisanterie de mauvais goût.
— C’est un garçon très franc. Vous vous entendrez bien.
Lobachik s’éloigna, l’air un peu rassuré, en relisant sa feuille.
— Enseigne Vorpatril, psalmodia le sergent. Enseigne Vorkosigan.
Ivan prit possession de son pli et Miles du sien, puis tous deux quittèrent la file avec leurs camarades.
Ivan dézippa son enveloppe.
— Ah ! Q. G. impérial à Vorbarr Sultana ! Sachez, jeunes gens, que je vais être aide de camp du commodore Jollif. Opérations. (Il salua en s’inclinant et retourna la feuille.) Je commence demain.
— Oh ! Oh ! dit l’enseigne qui avait décroché une affectation dans la flotte spatiale et qui en sautillait encore de joie, Ivan va devenir secrétaire ! Méfie-toi si le général Lamitz t’invite à t’asseoir sur ses genoux. J’ai entendu dire qu’il…
Ivan lui décocha une bourrade amicale.
— Tu crèves de jalousie, c’est tout. Je vais vivre comme un civil. Travailler de 7 heures à 17 heures, avoir mon appartement en ville… Tu n’auras pas de femmes sur ton vaisseau, là-haut, permets-moi de te le faire remarquer.
Si la voix d’Ivan était égale et gaie, son expression ne réussissait pas à masquer entièrement sa déception. Ivan, lui aussi, voulait être affecté dans la navigation spatiale. Tous le voulaient.
Miles le voulait. Entrer dans la flotte. Finir par obtenir un commandement comme son père, son père, son, son… Un souhait, une prière, un rêve… Il hésita, maîtrise de soi, crainte, dernier reste d’espoir. Puis il appuya son pouce sur le sceau à empreinte digitale et dézippa l’enveloppe d’un geste méticuleux et mesuré. Un mince feuillet de plastique, une poignée de titres de circulation… Sa retenue ne dura que le bref instant nécessaire pour qu’il assimile le court paragraphe qu’il avait sous les yeux. L’incrédulité le paralysa ; il le relut depuis le début.
— Eh bien ! quelles nouvelles, cousin ?
Ivan jeta un coup d’œil par-dessus l’épaule de Miles.
— Ivan, dit Miles d’une voix étranglée, est-ce que j’ai une crise d’amnésie ou bien n’avons-nous vraiment jamais eu de cours de météorologie dans notre programme de sciences ?
— Math à cinq dimensions, xénobotanique… géologie et évaluation du terrain… Ah ! on a eu de la météo aéronautique en première année.
— Oui, mais…
— Alors, qu’est-ce qu’on t’a encore fait ? questionna Plause, prêt à présenter félicitations ou condoléances selon le cas.
— Je suis affecté comme officier en chef de la section de météorologie à la base Lazkowski. Elle est où, cette base ? Je n’en ai jamais entendu parler !
Le sergent assis au bureau leva la tête et afficha un sourire de mauvais augure.
— Moi si, enseigne. Elle est située dans l’île Kyril, près du cercle arctique. C’est une base d’entraînement d’hiver pour l’infanterie. Les bleus l’appellent le camp Permafrost parce que le sous-sol est gelé en permanence.
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