Oui, Gillbret avait bien choisi, se dit-elle. Le garde était aussi grand que Biron de Widemos, bien qu’il eût les épaules moins larges. En fait, Biron n’avait pas que des défauts. Malgré son jeune âge, qui expliquait qu’il fût aussi peu raisonnable, il était au moins grand et musclé, ce qui pouvait avoir ses avantages. Elle avait été stupide de lui parler aussi vertement. Il n’était pas mal, à y bien réfléchir. Pas mal du tout.
Elle se dirigea vers le cabinet de toilette.
En entendant toucher à la porte Biron se raidit et retint sa respiration.
Artémisia regarda les fouets qu’il tenait, prêt à s’en servir.
— C’est moi, ne faites pas de bêtises !
Il poussa un soupir de soulagement et replaça les armes dans ses poches ; ce n’était pas très confortable, mais il n’avait ni ceinturon ni étuis.
— Venez, lui dit Artémisia. Et n’élevez pas la voix.
Elle portait toujours son peignoir coupé dans un tissu extrêmement souple que Biron voyait pour la première fois, et bordé d’une fourrure légère et argentée. Il adhérait au corps par une légère attraction électrostatique inhérente au tissu, rendant inutiles boutons, agrafes ou champs magnétiques. Ce vêtement cachait d’ailleurs à peine les formes d’Artémisia.
Biron sentit le sang monter à ses oreilles, sensation qu’il ne trouva nullement désagréable.
Artémisia attendit un instant, puis décrivit un petit cercle avec son index :
— Si cela ne vous ennuie pas ?
Biron leva les yeux sur son visage.
— Comment ? Oh ! désolé.
Il lui tourna le dos, très raide, attentif au doux froissement des tissus, pendant qu’elle se changeait. Il ne se demanda pas pourquoi elle n’était pas allée dans le cabinet de toilette ou, mieux encore, pourquoi elle ne s’était pas changée avant d’aller l’y chercher. La psychologie féminine a des profondeurs qui, faute d’expérience du moins, défient l’analyse.
Biron pensa soudain à autre chose :
— Nous pouvons partir, alors ?
Elle secoua la tête.
— Pas tout de suite. D’abord, il vous faut d’autres vêtements. Mettez-vous sur le côté de la porte et je vais faire entrer le garde.
— Quel garde ?
Elle eut un sourire malicieux.
— Ils en ont laissé un devant la porte, sur le conseil d’oncle Gil.
La porte s’entrouvrit sans bruit.
— Garde ! murmura Artémisia. Venez, vite !
Un simple soldat ne pouvait qu’obéir à un ordre de la fille du directeur. Il entra sans hésitation, avec un respectueux :
— A votre service, Votre…
Puis ses genoux plièrent sous le poids qui s’abattit sur ses épaules, tandis qu’un avant-bras musclé serrait son larynx comme dans un étau, l’empêchant d’émettre le moindre son.
Artémisia se hâta de refermer la porte et regarda avec répulsion ce qui se passait. La douce décadence régnant au palais des Hinriades ne l’avait guère préparée à voir un visage congestionné et une bouche s’ouvrant vainement pour respirer. Elle finit par se détourner.
Serrant les dents sous l’effort, Biron resserra sa prise. Une longue minute durant, l’homme essaya inutilement d’éloigner le bras qui l’asphyxiait, tandis que ses pieds frappaient le vide.
Puis les bras du garde retombèrent et ses jambes se détendirent, tandis que les mouvements convulsifs de sa poitrine cessaient presque entièrement. Biron le posa précautionneusement par terre, où il resta inerte et mou, comme un sac vide.
— Il est mort ? demanda Artémisia dans un murmure horrifié.
— Je ne pense pas, il aurait fallu insister trois ou quatre minutes de plus. Mais il restera évanoui un bon moment. Avez-vous de quoi l’attacher ?
Elle secoua la tête.
— Vous avez bien une paire de bas en cellite ? Ce serait idéal. (Il avait déjà débarrassé le garde de ses armes et de son uniforme.) Et j’aimerais me laver, aussi. C’est même indispensable.
La fine douche détergente le régénéra, tout en le laissant peut-être un peu trop parfumé. Au grand air, l’odeur se dissiperait vite, du moins l’espérait-il. En tout cas il était propre, et cela n’avait pris que quelques secondes dans le violent courant d’air chaud chargé de gouttelettes, dont il était sorti non seulement propre, mais également sec, ce qui évitait toute perte de temps. On n’avait pas de douche comme ça à Widemos, ni sur Terre, d’ailleurs.
L’uniforme était un peu étroit, et Biron se trouvait affreux avec ce chapeau conique sur la tête. Il se regarda dans la glace avec une grimace de mécontentement.
— De quoi ai-je l’air ? lui demanda-t-il.
— D’un vrai soldat !
— Il faudrait que vous preniez un des fouets. Je ne peux pas en porter trois.
Elle le prit avec deux doigts et le laissa tomber dans son sac, qui restait lui aussi suspendu à sa large ceinture par un champ de force, ce qui lui permettait d’avoir les mains libres.
— Allons-y, dit-elle, partons. Ne dites pas un mot si nous rencontrons quelqu’un. Votre accent risquerait de vous trahir, et de plus, vous ne devez parler en ma présence que si l’on vous adresse la parole. N’oubliez pas que vous n’êtes qu’un simple soldat !
Le garde commençait à s’agiter un peu, mais ils ne s’en soucièrent pas. Ses poignets et ses chevilles étaient attachés derrière son dos avec des bas dont la résistance était au moins celle de l’acier. Il était, de plus, bâillonné.
— Par ici, murmura Artémisia lorsqu’ils furent dehors.
A la première intersection, ils entendirent un bruit de pas derrière eux, et une main légère vint se poser sur l’épaule de Biron. Ce dernier se retourna d’un bond, empoigna le bras de l’intrus et porta la main à son fouet.
— He là ! doucement !
C’était la voix de Gillbret. Biron le lâcha et Gillbret se frotta le bras.
— Je vous guettais, mais ce n’est pas une raison pour me briser les os. Voyons que je vous admire, Farrill. Vous avez l’air un peu engoncé là-dedans, mais ce n’est pas mal… pas mal du tout. Personne n’aurait l’idée d’y regarder à deux fois. Voilà bien l’avantage de l’uniforme. On ne douterait jamais qu’il renferme autre chose qu’un soldat.
— Oncle Gil, vous parlez trop, intervint Artémisia. Où sont passés les gardes ?
— On ne veut jamais me laisser parler, murmura-t-il sur un ton plaintif. Ils sont montés à la tour. Ils sont convaincus que notre ami n’est pas aux étages inférieurs, et se sont contentés de laisser quelques hommes aux principales issues et au bas des rampes. Le système d’alarme est également branché, mais nous sortirons sans encombre.
— Ils doivent se demander où vous êtes ? demanda Biron.
— Oh non ! Le capitaine est bien trop content d’être débarrassé de moi, je vous assure !
Leurs murmures se dissipaient rapidement sous les hautes voûtes. Il y avait en effet un garde en bas de la rampe, et deux autres devant la grande porte sculptée donnant accès au parc.
— Alors, l’avez-vous trouvé ? demanda Gillbret d’une voix forte.
— Non, monseigneur, répondit le plus proche en le saluant respectueusement.
— Gardez l’œil bien ouvert ! leur recommanda-t-il, et il sortit avec ses compagnons, tandis qu’un des gardes s’empressait de neutraliser le signal d’alarme.
La nuit était claire et étoilée, sauf sur l’horizon, où la tache d’encre déchiquetée de la Nébuleuse cachait le firmament. Laissant la sombre masse du Palais Central derrière eux, ils avancèrent vers le terrain d’atterrissage, situé à moins d’un kilomètre.
Ils marchaient en silence depuis cinq minutes lorsque Gillbret s’arrêta soudain.
— Il y a quelque chose qui cloche, dit-il.
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