Intrigué, Denby se mit à la recherche du Peuple Imparfait. Au début, celui-ci ne lui parut guère différent de n’importe quelle autre tribu, mais ensuite Denby remarqua que les anciens avaient un air étrangement européen et que certains d’entre eux parlaient anglais. Plusieurs de leurs coutumes leur étaient communes avec les tribus de Lakota, tandis que d’autres paraissaient fondées sur l’art militaire européen. Leur langue, bien que proche de celle des Lakota, contenaient beaucoup de termes anglais, hollandais et allemands.
Un certain Robert Heath (appelé aussi P’tit-homme-trop-bavard) expliqua à Denby qu’ils avaient tous déserté de différentes armées et régiments l’après-midi du 15 juin 1815 parce qu’une grande bataille devait être livrée le lendemain et qu’ils avaient tous le pressentiment qu’ils allaient mourir s’ils restaient. Denby savait-il si c’était Lord Wellington ou Napoléon Bonaparte qui était à présent roi de France ? Denby était incapable de répondre. « Eh bien, monsieur, reprit Heath avec philosophie, que ce soit l’un ou l’autre, il est probable que cela ne change pas la vie pour vos pareils et les miens. »
Le général Rebecq composa également une version hollandaise de sa ritournelle, laquelle fut reprise par ses soldats sur la route de Quatre-Bras. Ceux-ci l’apprirent à leurs camarades d’armes anglais, et ce chant devint par la suite une comptine sautillante pour enfants, en Angleterre comme aux Pays-Bas.
En 1810, Messrs George et Jonathan Barratt, propriétaires des Vauxhall Gardens, avaient offert à Strange et à Norrell une grosse somme d’argent pour donner des représentations de magie tous les soirs dans leurs jardins. La magie suggérée par les Barratt était exactement de cette nature : illusions de chimères magiques, personnages célèbres tirés de la Bible et de l’histoire, etc. Naturellement, Mr Norrell avait décliné leur offre.
La technique magique communément admise pour jeter la confusion dans les routes, paysages, pièces et autres espaces physiques revient à créer un labyrinthe à l’intérieur de ceux-ci. Strange n’apprit cette magie qu’en février 1817.
Toutefois, ce fut là indiscutablement l’action décisive de la campagne. À l’insu de Strange, le général français Erlon tentait d’atteindre le champ de bataille avec 20 000 hommes. Finalement, il passa ces heures cruciales à arpenter un paysage qui changeait de façon inexplicable toutes les deux ou trois minutes. Lui et ses hommes fussent-ils parvenus à Quatre-Bras, il est probable que les Français eussent gagné et qu’il n’y aurait jamais eu de Waterloo. Piqué au vif par les paroles abruptes du duc un peu plus tôt dans la journée, Strange ne parla à personne de ses expérimentations. Plus tard, il en informa John Segundus et Thomas Levy. Par conséquent, les historiens de Quatre-Bras furent dans l’embarras pour expliquer l’échec d’Erlon avant la publication de La Vie de Jonathan Stranp de John Segundus en 1820.
Water : « eau » ; loo : « cabinets » ; « toilettes » ! (N.d.T.) .
En réalité, Mr Pink n’était qu’un des civils que monsieur le duc enrôla de force comme aides de camp* officieux ce jour-là. Ces derniers comprenaient aussi un jeune monsieur suisse et un autre commis voyageur, de Londres cette fois-ci.
William de Lanchester était le sénéchal et le serviteur favori de John Uskglass, et par conséquent un des hommes les plus importants d’Angleterre.
Thomas Dundale, le premier serviteur humain de John Uskglass. (On le voit apparaître au chapitre VL.)
Le Dyke est un grand mur de sable et de pierres, à présent délabré, qui sépare le pays de Galles de l’Angleterre, œuvre d’Offa, un roi mercien du VIII esiècle, à qui l’expérience avait appris à se méfier de ses voisins gallois.
Shéhérazade, héroïne des Mille et Une Nuits (N.d.T.) .
Ann Radcliffe (1764-1823) a inventé le roman noir ( tale of terror ) : L’Italien, Le Sicilien, Les Mystères d’Udolphe… (N.d.T.)
Au moment du mariage de Strange et d’Arabella, Henry avait été recteur de Grâce Adieu, dans le Gloucestershire. Pendant qu’il était là-bas, il avait conçu le désir d’épouser une jeune demoiselle du village, Miss Parbringer. Cette demoiselle et ses amis, toutefois, n’avaient pas eu l’heur de plaire à Strange. Il se trouva alors que la cure de Great Hitherden était devenue vacante : Strange avait su convaincre Sir Walter Pôle de nommer Henry à sa tête, puisque c’était en son pouvoir. Henry avait été comblé. Great Hitherden était une paroisse beaucoup plus importante que Grâce Adieu, et il oublia vite l’indésirable demoiselle.
Les livres qui appartenaient à Strange étaient, bien sûr, des livres sur la magie, non des livres de magie. Ces derniers étaient tous en la possession de Mr Norrell.
La morale allait peut-être un peu plus loin. Dès le XII esiècle, il était admis que les prêtres et les magiciens étaient en un sens des rivaux. Les uns comme les autres croient l’univers habité par une large variété d’êtres surnaturels et soumis à des forces également surnaturelles. Les uns comme les autres croient que ces êtres peuvent être invoqués par des sortilèges et des prières, et se laisser ainsi persuader d’aider ou de faire obstacle à l’humanité. À maints égards, les deux cosmologies sont remarquablement similaires ; les prêtres et les magiciens tirent toutefois des conclusions très différentes de cette croyance.
Les magiciens sont surtout intéressés par l’utilité de ces êtres surnaturels ; ils désirent savoir dans quelles circonstances et par quels moyens les anges, les démons et les fées peuvent être amenés à apporter leur aide dans les pratiques de magie. Pour leurs besoins, il est presque hors de propos que la première catégorie d’êtres soit divinement bonne, la seconde infernalement méchante et la troisième moralement suspecte. De leur côté, les prêtres ne s’intéressent guère à d’autres aspects.
Dans l’Angleterre médiévale, des tentatives pour réconcilier les deux cosmologies étaient condamnées à échouer. L’Église était prompte à identifier toute une batterie de différentes hérésies dont un magicien sans défiance pouvait être coupable. L’hérésie méraudienne a déjà été citée au chapitre 18.
Alexandre de Whitby (1230(?)–1302) enseignait que l’univers est pareil à une tapisserie, dont seules des parties nous sont visibles simultanément. À notre mort, nous verrons l’ensemble, et les relations que les différentes parties entretiennent les unes avec les autres seront alors claires pour nous. Alexandre fut contraint de publier une rétractation de sa thèse et les prêtres se tinrent désormais à l’affût de l’hérésie whitbyienne. Même le plus humble des magiciens ou magiciennes de village était forcé de déployer la ruse d’un politicien, si il ou elle voulait échapper aux accusations d’hérésie.
Cela ne signifie pas que tous les magiciens évitaient de confondre religion et magie. De nombreux « sortilèges » parvenus jusqu’à nous exhortent tel saint ou tel personnage sacré à aider le magicien. Chose curieuse, la source de la confusion était souvent les fées au service des magiciens. La plupart des fées étaient baptisées de force dès qu’elles pénétraient en Angleterre, et elles se mirent vite à incorporer des allusions aux saints et aux apôtres à leur magie.
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