— Tu aimes ça ? » ai-je demandé à Hugh.
Il a eu l’air mal à l’aise. « Plus ou moins. Il y a des choses qui m’ont gêné, dans La Quête du dragon , en particulier. J’aime bien la planète et les dragons.
— Ce sont des livres qui plaisent davantage aux filles, peut-être, ai-je dit.
— Non, Pete les adore », a répliqué Janine. Elle a remué son thé qui ne semblait pourtant pas en avoir besoin.
« Vous devriez vous remettre ensemble, a conseillé Hugh. C’est idiot que vous ayez rompu à cause de ce que Wim peut avoir fait, ou pas.
— Il l’a fait, a dit Janine.
— Tu n’as pas tous les éléments, a fait remarquer Hugh. Wim refuse d’en parler, nous n’avons donc que la version de Ruthie, et encore pas directement, mais déformée par ce qu’elle est censée avoir dit à Andréa. On ne peut pas se baser là-dessus. Toi et Pete…»
Janine avait l’air très en colère, je me suis donc empressée de couper la parole à Hugh : « Quels livres a choisis Pete ? Quand il a animé le groupe, je veux dire ?
— Agent de l’empire Terrien , et Larry Niven, a répondu Janine.
— Et Wim a présenté Dick et Delany », a ajouté Hugh.
Delany ! Ils avaient déjà parlé de Delany sans moi, et bien sûr il fallait que ç’ait été Wim.
« Je crois que c’est mieux quand nous n’avons qu’un livre, ou une série de livres. De cette façon on peut les lire avant la réunion et ne pas se trouver dans la même situation que Hugh mardi dernier », a dit Janine.
Hugh a secoué la tête. « Je suis entièrement d’accord, ça rend les choses plus faciles et ça évite de se disperser, mais il y a quelque chose d’agréable à discuter de l’ensemble des œuvres d’un auteur. Quoique ça marche mieux avec certains. »
Chez Boots, j’ai acheté une trousse avec savon et shampoing et un gant de toilette tout doux pour Deirdre, le tout jaune pâle et noué par un ruban. Je ne savais pas si elle avait prévu de m’offrir quelque chose, mais elle avait passé un mauvais moment avec les examens et c’était un cadeau utile. J’ai regardé les chocolats Black Magic chez Woolworths et décidé plutôt de prendre des boîtes de Continental chez Thorntons pour Greg et Miss Carroll. Ils sont bien meilleurs. J’ai acheté un sachet de caramels pour Sam, au cas où j’irais le voir. Si je n’y vais pas, je ne les enverrai pas, je les donnerai à Grampar en même temps que l’éléphant.
Nous sommes ensuite allés chez Janine. Elle habitait une petite maison ordinaire, moderne, entourée de gravier, avec une pelouse et un petit arbre au milieu. La seule chose inhabituelle, dehors, c’était la fée appuyée contre l’arbre. Elle ressemblait à un chien, avec des ailes. Elle m’a regardée presque insolemment, puis a disparu. Les autres n’ont pas eu l’air de la voir.
À l’intérieur, le salon était en fouillis, et semblait plein des sœurs de Janine, bien qu’elles ne soient que trois. Elles jouaient avec des Barbie et occupaient tout le sofa et les deux fauteuils. Le buffet et le manteau de la cheminée étaient couverts de bibelots. Sa mère était dans la cuisine, qui était aussi encombrée et en désordre. « Je vais avec Mori et Hugh dans ma chambre, d’accord ? a dit Janine.
— Très bien », a répondu sa mère, quittant à peine des yeux son repassage. Elle avait des cheveux roux, raides et ternes, très différents du buisson luxuriant de Janine. Les sœurs aussi étaient rouquines.
Nous sommes montés à l’étage. Il y avait sur la porte de Janine un écriteau qui disait : « Privé – Défense d’entrer – Oui : Vous ! » Elle nous l’a tenue ouverte, comme pour démentir l’interdiction. Sa chambre était en complet contraste avec le reste de la maison. Toutes les autres pièces étaient tapissées de papier à fleurs ; la sienne était peinte en vert pâle. Il n’y avait ni bibelots ni jouets, juste un lit avec un chien en peluche décoloré qui avait perdu ses yeux, et une étagère avec tous ses livres classés strictement par ordre alphabétique. Il y avait une chaise droite peinte en vert plus foncé que les murs, de la même couleur que les plinthes. La fenêtre était munie d’un volet d’une couleur similaire. Il y avait une énorme machine à écrire noire en équilibre précaire sur une toute petite table de chevet.
« C’est toi qui l’as décorée toute seule ? ai-je demandé.
— Exactement », a répondu Janine en s’asseyant sur le lit. Hugh a pris la chaise et, au bout d’un moment, je me suis assise à côté d’elle sur le lit. « En fait, papa m’a donné un coup de main pour la peinture. Sinon, j’ai tout conçu moi-même. Je voulais quelque chose de différent.
— J’aimerais avoir une chambre comme ça », ai-je dit. C’était vrai, mais peut-être pas verte. Ce que j’aimerais vraiment, ce serait un bureau lambrissé comme celui de Daniel.
« C’est agréable de pouvoir fermer la porte et de ne pas être embêtée, a dit Janine.
— Je te crois.
— Tu loges dans un dortoir ? a-t-elle demandé.
— Oui, mais on n’a pas de festins nocturnes ni rien des autres réjouissances comme on en trouve dans les livres.
— Je partage une chambre avec mon frère, a dit Hugh.
— Qu’est-ce qu’il fait ?
— Il est dingue de Manchester United. Sa moitié de chambre est donc pleine de trucs de foot, et la mienne de livres. » Il avait l’air mal à l’aise en disant ça.
Janine s’est levée d’un bond et m’a trouvé Les Portes du Temps , et elle et Hugh se sont mis à se chamailler pour savoir si je devais lire toute la série ou si ça me dégoûterait de commencer par le premier parce qu’il était trop enfantin. Hugh semblait penser que je n’aurais pas le temps de lire cinq livres avant mardi soir.
« Je n’ai pas grand-chose à faire à part les leçons et la lecture, ai-je expliqué. À Arlinghurst, l’accent est mis sur le sport, mais je ne peux pas en faire, alors je passe tout mon temps à lire dans la bibliothèque. J’ai plusieurs heures libres par jour, normalement. Je n’ai pas eu le temps cette semaine, à cause des examens, mais ils sont maintenant passés, je vais donc retrouver un rythme normal.
— C’est plutôt idiot de la part de ta famille de t’envoyer à Arlinghurst dans ce cas, a fait remarquer Hugh.
— Oui, n’est-ce pas ?
— Au fait, qu’est-ce que tu as à la jambe ? » a-t-il demandé.
Normalement, je déteste cette question, mais à la façon dont il l’avait posée – incidemment et comme s’il était moyennement intéressé, de la même façon que Janine avait voulu savoir si je logeais dans un dortoir – ça ne m’a pas dérangée. « C’était un accident de voiture, ai-je dit. J’ai eu la hanche et le bassin broyés. Ça va mieux, maintenant. Ça ne fait pas mal tout le temps.
— Ça s’arrange ? » a-t-il demandé.
J’aurais dû dire non, ça ne s’arrange pas, ça ou bien que je l’espérais, mais des larmes brûlantes me sont venues aux yeux sans raison particulière et je me suis caché le visage dans un mouchoir. Janine s’est agitée et a changé de sujet, puis ç’a été l’heure pour moi de partir.
Hugh m’a accompagnée à l’arrêt de bus, portant mes livres de la bibliothèque. Moi, j’avais mes achats et aussi les livres de Susan Cooper que j’avais empruntés à Janine.
« À propos de Wim », a-t-il dit comme nous passions le coin du KwikSave.
Je l’ai regardé d’un air interrogateur. Ma jambe me faisait souffrir – le lit de Janine était trop bas pour m’asseoir confortablement et en me relevant je m’étais fait mal.
« Nous ne savons pas ce qui s’est passé. Wim n’en a jamais parlé, il a refusé tout net. Et je vois les gens le condamner et c’est une petite ville. Les réputations sont des choses bizarres. Il suffit d’accuser son chien d’avoir la rage pour le noyer. Il a laissé tomber l’école, tu sais ?
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