Les mêmes personnes que la semaine dernière étaient là, sauf Wim. J’espérais qu’il arriverait plus tard, mais il ne s’est pas montré.
Brian animait la rencontre. Il voulait surtout parler de l’incroyable diversité d’inspiration de Silverberg. C’est vrai, mais voyons les choses en face, c’est souvent bâclé. C’est toujours amusant, mais on ne peut pas mettre sérieusement sur le même plan Stepsons of Terra et L’Oreille interne . Hugh, qui n’avait jamais rien lu de Silverberg, avait essayé pour l’occasion Les Temps parallèles et Voyage vers Alpha du Centaure . « Vous n’arrêtez pas de dire “il faut lire ceci, il faut lire cela”, mais tout ce que je peux lire c’est ce qu’il y a sur le présentoir de la librairie, a-t-il dit. Et vu le choix qu’on y trouve, je ne pense pas que je vais prendre la peine d’en chercher d’autres. »
En fait, j’aime bien Les Temps parallèles . Il faut dire que j’ai un faible pour les voyages dans le temps. Un des premiers livres de SF que j’ai lus était une histoire de voyage temporel, La Patrouille du temps , de Poul Anderson. (Il y aurait beaucoup à dire sur le classement par ordre alphabétique.) Mais malgré cela, je voyais ce qu’il voulait dire. Tout le monde s’est accordé pour dire que Silverberg était inégal, et la discussion était engagée pour savoir quelles étaient ses meilleures œuvres, quand Keith a mentionné Les Monades urbaines et nous avons parlé longuement de surpopulation, de ce livre, de Tous à Zanzibar et de Soleil vert , si c’était un vrai problème ou non, ainsi que de savoir si la vision de Brunner, selon laquelle c’était quelque chose d’horrible, était plus plausible que celle de Silverberg, qui pensait que les gens s’y adapteraient. Ç’a été épique ! Brian n’arrivait pas à nous ramener au sujet comme Harriet l’avait fait la semaine précédente, et le plus drôle c’est qu’Harriet était une des plus enclines à s’écarter du sujet et à prendre la tangente.
J’ai essayé de ne pas trop parler, mais je n’y suis sans doute pas arrivée.
« Nous revoyons-nous la semaine prochaine ? a demandé Greg. Ou attendons-nous après Noël ?
— Il faudrait maintenir la réunion, pourquoi pas sur un thème de Noël ? a suggéré Harriet.
— De la SF sur le thème de Noël ? a demandé Greg. Qu’y a-t-il ?
— Il y a Les Portes du Temps , a dit Hugh. C’est de la fantasy et c’est un livre pour enfants, mais ça tourne autour de Noël.
— D’accord, tu veux diriger la discussion là-dessus ? » a demandé Greg.
Tout le monde s’est tourné vers Hugh, et je me suis rendu compte à ce moment qu’ils le prenaient très au sérieux, malgré ses quinze ans. Ils ne le laissaient pas seulement assister à leurs réunions, ils le pensaient capable d’en animer une. Ils font de même avec moi, ils ne me regardent pas comme un singe savant, ils écoutent ce que je dis.
« Je ne suis pas sûr qu’il y ait de quoi discuter toute une soirée, a dit Hugh. Mais il y a d’autres livres dans la série.
— Si nous épuisons le sujet trop vite, nous pourrons toujours ajourner pour aller au pub, a dit Harriet.
— Je trouve que c’est une bonne idée, a dit Greg. Nous n’avons pas parlé de fantasy pour enfants depuis le cycle de Narnia.
— Je suppose qu’il y a un Père Noël dedans, ai-je dit, et tout le monde a protesté.
— Il y a bien pire, a dit Keith.
— Tolkien détestait ce genre d’ouvrages, a dit quelqu’un d’autre, un petit homme brun. Il disait qu’il n’y avait pas de cohésion interne. Le Père Noël, Bacchus, les pensionnats et tout mélangé comme dans un Christmas pudding avec des raisins secs et des fruits confits, et parfois une pièce de 6 pence pour vous casser une dent. »
Je me suis jointe à l’éclat de rire général, puis ç’a été l’heure de partir.
Je pensais que j’allais être un peu timide en tête à tête avec Greg, mais il n’en a rien été. Nous avons parlé de L’Oreille interne , dont nous n’avions pas eu l’occasion de discuter à fond à la réunion. Greg m’a dit qu’il était impressionné par la façon dont Silverberg avait pris un don généralement considéré comme un avantage pour en faire une malédiction.
Vendredi 14 décembre 1979
Examens, comme hier et avant-hier. Il m’a fallu trois jours pour finir de raconter la soirée de mardi.
J’ai retrouvé Janine comme convenu. Hugh était là aussi. Il a paru un peu emprunté au début. Il avait aussi l’air beaucoup plus humain sans son blazer violet. Je voudrais pouvoir porter mes propres vêtements le samedi. Ou tout le temps, à vrai dire. Porter un uniforme sept jours sur sept, c’est comme être en prison.
« J’espère que cela ne vous ennuie pas que je vienne avec vous », a-t-il dit, comme un personnage de roman, et aussi comme s’il s’était entraîné à dire ça. Janine et Hugh – et Pete, et Greg et les autres membres du club de lecture à part Harriet – ont l’accent local. L’accent du Shropshire n’est pas beau, mais il est plus agréable que l’accent snob que je dois subir tout le temps à l’école.
« Pas du tout, ai-je dit. Mais nous allons juste faire quelques courses. »
J’avais six livres à la bibliothèque, tous de lourds volumes à couverture cartonnée, ce qui est un peu handicapant pour faire les boutiques. Mais je ne pouvais pas les laisser pour les prendre plus tard, parce que bien sûr la bibliothèque ferme à midi. Je les ai mis dans mon sac en soupirant, puis Hugh a proposé de le porter. « Non », ai-je dit, ne refusant pas poliment du tout et m’accrochant à lui de toutes mes forces. « Je porte toujours ce sac, c’est le mien, je ne me sens pas bien sans lui », ai-je expliqué.
Janine m’a regardée bizarrement. « Et si Hugh portait les livres de la bibliothèque dans un sac en plastique ? a-t-elle demandé.
— Ça serait très bien. Je veux dire que ça serait très gentil de ta part, Hugh. »
Il a rougi. Il est blond vénitien et il a des taches de rousseur, ce qui fait que ça se voit quand il rougit. Janine et moi avons fait semblant de ne rien voir. J’ai transféré mes livres dans un sac en plastique que Janine a sorti de quelque part et Hugh l’a porté comme s’il était léger comme une plume et ne pesait pas une demi-tonne. Nous avons descendu la colline presque automatiquement vers la librairie, comme si c’était de ce côté que tous nos pieds voulaient se tourner. Je le leur ai dit.
« Bibliotropes, a dit Hugh. Comme les tournesols sont héliotropes, nous sommes naturellement attirés par la librairie. »
À la librairie, j’ai acheté La Poussière dans l’œil de Dieu pour Daniel. Je ne sais pas s’il l’a déjà ou non, mais de toute façon je veux le lire. Je voulais acheter Les Portes du Temps pour pouvoir le lire avant mardi, mais Janine a proposé de me prêter le sien. Nous sommes allés manger des gâteaux, mais je n’ai rien dit de personnel, cette fois, sans doute parce que Hugh était là. Nous avons parlé de la lecture de livres pour enfants quand on a passé l’âge, de ce que Lewis et Tolkien en avaient dit, de l’embarras de Hugh d’en avoir mentionné un au club de lecture et de son étonnement quand Greg avait pensé que c’était une bonne idée.
« C’est la première fois que tu animes une réunion ? ai-je demandé.
— Oui. Mais Pete l’a fait deux fois, Janine une fois et Wim plusieurs fois.
— Qu’as-tu présenté ? ai-je demandé à Janine.
— Les dragons de Pern. Tu sais qu’un troisième volume doit bientôt sortir ? Il s’appelle Le Dragon blanc . Je meurs d’impatience.
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