Elles ne parlaient que de l’école et s’attendaient que je donne des nouvelles des professeurs et des performances des différentes équipes. Elles avaient appartenu à Scott, toutes les trois, et elles se passionnaient pour ça beaucoup plus que moi. Je ne les comprends absolument pas. Elles sont adultes et elles ont leur propre maison – et c’est une très belle maison. Mais elles ne font rien. Elles ne lisent pas, elles ne travaillent pas, rien. Elles organisent des ventes de charité pour l’église. Gramma faisait ça, et elle enseignait aussi à plein-temps. Elles tiennent bien leur intérieur, mais ce n’est pas un travail à plein-temps pour trois personnes. Elles paient mon père pour s’occuper du domaine et de l’argent, donc elles ne font pas ça non plus. Elles sont riches, raisonnablement riches, je pense, mais elles ne vont nulle part et ne font rien, elles restent simplement assises à manger des scones infects en parlant avec enthousiasme de la fois où Scott a gagné la Coupe. Je ne sais même pas exactement quel âge elles ont, mais elles sont nées avant 1940, elles ont donc au moins quarante ans et elles se passionnent pour une stupide équipe dont elles faisaient partie à l’école. Elles ne font pas semblant, pour m’intéresser. Je peux voir la différence. Elles discutaient entre elles. Pourquoi restent-elles là ? Et pourquoi ne se sont-elles jamais mariées ? Elles détestent peut-être les enfants. Elles semblent certainement trouver que je suis une charge, mais ça ne compte pas ; si elles l’avaient voulu, elles auraient elles-mêmes pu avoir de gentils enfants de la bonne société et leur apprendre à ne pas faire de caprices.
Daniel a Route de la gloire et Waldo & Magic, Inc., selon lui deux histoires de fantasy de Heinlein. Il m’a aussi prêté L’Épée brisée de Poul Anderson. Je suis toujours en train de lire les histoires du Bar du coin des temps , qui sont étonnamment plaisantes, pas trop comme Telempath , mais elles me plaisent bien.
Demain l’église, puis déjeuner avec les tantes, et après retour à l’école, hélas.
Je me rappelle comme l’école semblait loin du labyrinthe, mais à la seconde où j’ai été de retour elle m’a envahi totalement comme si je ne m’en étais jamais éloignée.
C’est curieux comme ce qu’il y a à dire de mes vacances est insignifiant. Ça n’a duré qu’une semaine, mais il s’est passé tant de choses que, comparé à une semaine d’école, cela paraît avoir duré un an. Mais quand on a posé la question ce matin en cours de conversation française, je n’ai réussi qu’à dire : « J’ai visité mon grand-père dans Londres et j’ai visité mon autre grand-père dans pays de Galles . » Deux visites aux grands-pères, c’est tout, et le seul commentaire de Madame a été qu’il fallait dire à Londres et au pays de Galles, pas dans. Je me plonge dans l’école comme dans un bain chaud et elle se referme au-dessus de ma tête. Même si je pouvais leur parler d’Halloween, de Glorfindel et des morts, je ne le ferais pas.
Route de la gloire m’a beaucoup déçue. Je l’ai détesté. Au point que je l’ai laissé tomber et j’ai commencé à la place l’essai scientifique d’Asimov que m’a prêté Gill. J’aime bien Heinlein, mais il n’a manifestement rien compris à la fantasy. C’est carrément stupide. Et quand quelqu’un dit « Oh, Scar », personne ne va comprendre « Oscar », ça ne tient pas debout. L’histoire est presque aussi nulle que la couverture, et ce n’est pas peu dire, elle est si moche que Miss Carroll a haussé les sourcils en la voyant de son bureau, à l’autre bout de la salle. Il est amusant que Triton, qui parle de sexe et de sociologie, ait en couverture un astronef qui explose, alors que Route de la gloire , qui n’évoque qu’épisodiquement le sexe et n’est qu’un stupide récit d’aventures, arbore une femme à moitié nue sur la couverture.
Il va y avoir une sorte de concours de poésie. Tout le monde a l’air de penser que c’est joué d’avance, que je vais gagner.
Les montagnes me manquent. Elles ne me manquaient pas avant, sauf quand je me désespérais de la platitude du paysage autour de l’école. Mais maintenant que je suis retournée chez moi et que je les ai eues quelque temps tout autour de moi, elles me manquent sérieusement, plus que ma famille, plus que de pouvoir fermer la porte des toilettes. Ce n’est d’ailleurs pas vraiment plat, par ici, plutôt vallonné, et je peux voir au loin les montagnes du pays de Galles du Nord quand le temps est dégagé. Mais la présence des collines autour de moi me manque.
Feux d’artifice et feu de joie hier soir à l’école. J’ai vu quelques fées du feu se grouper. Personne d’autre ne les a vues. On ne peut les voir que quand on y croit déjà, ce qui explique pourquoi les enfants sont plus susceptibles d’y arriver. Les gens comme moi ne cessent pas de les voir. Il serait idiot de ma part d’arrêter de croire en elles. Mais beaucoup d’enfants le font quand ils grandissent, même s’ils les ont vues jusque-là.
Je ne suis plus une enfant, mais je ne suis pas non plus adulte. Je dois dire que je n’en peux plus d’attendre.
Mais mon cousin Geraint, qui a quatre ans de plus que moi, a vu les fées quand il jouait avec nous dans la combe. Il avait onze ou douze ans, et nous sept ou huit. Nous lui avons dit qu’il devait fermer les yeux et qu’en les rouvrant il les verrait, et il l’a fait. Il a été stupéfait. Il ne pouvait pas leur parler, parce qu’il ne parle qu’anglais, mais nous avons traduit ce qu’il disait, et ce qu’elles disaient. Nous devions avoir huit ans, parce que je me souviens avoir traduit librement ce qu’elles disaient dans le plus pur style Tolkien, et nous n’avons pas lu Le Seigneur des Anneaux avant d’avoir huit ans. À l’époque, nous cherchions toujours quelqu’un pour jouer avec nous, de préférence un garçon, parce qu’il y en a toujours un dans le groupe d’enfants qui passe dans un autre monde. Nous pensions que les fées nous emmèneraient sur Narnia ou sur Elidor. Geraint semblait être un bon candidat. Il voyait les fées et il était subjugué par elles. Il les aimait bien et elles l’aimaient. Mais il habitait à Burgess Hill, près de Brighton, il ne faisait que passer l’été à Aberdare, et l’été suivant il ne les a plus vues, il disait qu’il était trop vieux pour jouer et il se rappelait ce qui s’était passé comme d’un jeu où nous aurions fait semblant d’être des fées. Tout ce qu’il voulait, c’était jouer au football. Nous nous sommes sauvées et l’avons laissé dans le jardin à taper lugubrement dans son stupide ballon, mais il n’a pas raconté aux adultes que nous l’avions abandonné. Au dîner, il a dit qu’il avait passé une très bonne journée à jouer. Pauvre Geraint.
J’ai reçu une autre lettre de ma mère ce matin, que je n’ai pas ouverte, mais aussi une de Sam. Il demande si le Platon m’a plu, et si j’en ai trouvé d’autres – il écrit exactement comme il parle. Je lui répondrai dimanche. Il n’y a rien de Platon à la bibliothèque de l’école. J’ai demandé à Miss Carroll et elle a dit qu’ils n’enseignent pas le grec, il n’y a donc pas de demande. Je risque d’avoir un problème avec le prêt entre bibliothèques, car je ne connais pas les traducteurs, ni même tous les titres. Mais je peux commander ceux qui sont cités dans Le Banquet , bien sûr.
C’est dans les Penguin qu’on trouve les meilleures bibliographies, ils citent même les œuvres qu’ils n’ont pas publiées. J’ai tout un tas de choses à commander samedi, parce qu’il y a une longue liste de Silverberg dans Les Temps parallèles . Je vais aussi commander Beyond the Tomorrow Mountains . Sylvia Engdalh a écrit un roman absolument génial intitulé Héritage of the Star, qui est sorti chez Puffin, autrement dit Penguin. C’est l’histoire de gens qui vivent dans un environnement de superstition mais aussi d’un peu de technologie qu’ils appellent magie, et ils subissent l’oppression des Sages et des Techniciens et quiconque pense différemment est qualifié d’« hérétique ». En fait, ce sont des colons sur une autre planète, mais ils ne le savent pas. Dans l’histoire, on raconte qu’on leur a promis que quand ils pourront savoir quand tout sera réglé, ils iront « par-delà les Montagnes du Lendemain », et c’est le titre de la suite, mais je l’ai jamais vue nulle part, malgré toutes mes recherches.
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