George Martin - Le Trône de fer

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Il était une fois, perdu dans un lointain passé, le royaume des Sept Couronnes…
En ces temps nimbés de brume, où la belle saison pouvait durer des années, la mauvaise toute une vie d’homme, se multiplièrent un jour des présages alarmants. Au nord du Mur colossal qui protégeait le royaume, se massèrent soudain des forces obscures ; au sud, l’ordre établi chancela, la luxure et l’inceste, le meurtre et la corruption, la lâcheté et le mensonge enserrèrent inexorablement le trône convoité.
Pour préserver de l’ignominie les siens et la dynastie menacés se dresse alors, armé de sa seule droiture, le duc Stark de Winterfell, aussi rude que son septentrion natal. Mais en dépit du pouvoir immense que vient de lui conférer le roi, a-t-il quelque chance d’endiguer la tourmente qui se lève ?
Dans la lignée des ROIS MAUDITS et d’EXCALIBUR, LE TRÔNE DE FER plonge le lecteur, sans lui laisser reprendre souffle, dans un univers de délices et de feu. L’épique et le chevaleresque côtoient sans cesse le vil et le démoniaque. La bravoure et la loyauté se heurtent à la duplicité et à la fourberie. Mais dans ce tourbillon d’aventures cruelles, ce sont finalement l’amour, la tendresse, l’indestructible force de l’amitié qui rayonnent au-dessus des ténèbres.

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La pluie redoublait, picotant les yeux, tambourinant au sol. De véritables torrents d’eau noire dévalaient la colline quand Jory cria : « Messire ! » d’une voix qu’enrouait l’angoisse. Au même instant, la rue fut pleine de soldats.

En un clin d’œil, Ned embrassa les cottes de mailles et le cuir, les gantelets et les jambières, les heaumes d’acier faîtés de lions d’or, les manteaux détrempés qui pendaient dans les dos. Il n’eut pas le temps de compter, mais ils étaient une bonne dizaine en ligne, à pied, bloquant la rue, rapières et piques à pointe de fer au poing. Au cri de Wyl : « Derrière ! » il fit volter son cheval et en aperçut d’autres, encore plus nombreux, qui coupaient leur retraite. L’épée de Jory sortit en chantant du fourreau. « Place, ou vous êtes morts !

— Les loups hurlent… » dit le chef des autres. Ned voyait la pluie lui ruisseler sur la figure. « Si maigre bande, pourtant ! »

A tout petits pas, Littlefinger se porta de l’avant. « Que signifie ? Cet homme est la Main du Roi !

— Etait la Main du Roi. » La boue gantait les sabots de l’étalon bai rouge. La ligne s’ouvrit devant lui. Sur le pectoral de plates d’or, le lion Lannister rugissait de défi. « Ce qu’il est à présent, j’ignore, pour ne rien celer.

— C’est de la folie, Lannister, protesta Littlefinger. Laissez-nous passer. Nous sommes attendus, au château. Vous rendez-vous compte de votre attitude ?

— Il sait ce qu’il fait », dit Ned, calmement.

Jaime Lannister sourit. « Parfaitement. Je suis à la recherche de mon frère. Vous vous souvenez de mon frère, n’est-ce pas, lord Stark ? Il était des nôtres, à Winterfell. Blond, des yeux vairons, la langue bien pendue. Plutôt petit.

— Je me le rappelle fort bien.

— Il semblerait qu’on lui ait cherché noise, sur la route. Mon père en est extrêmement fâché. Vous n’auriez pas, par hasard, une vague idée quant à l’identité de ceux qui voudraient du mal à mon frère ?

— Il a été capturé sur mes ordres, afin de répondre de ses crimes. »

Littlefinger grommela, consterné : « Messires… »

Ser Jaime dégaina sa rapière et poussa l’étalon. « Montrez voir votre acier, lord Eddard. Je vous abattrai comme Aerys, si vous m’y forcez, mais j’aimerais autant vous voir mourir l’épée à la main. » Puis, toisant Littlefinger d’un long regard de mépris glacé : « Si j’étais vous, lord Baelish, je prendrais au plus vite congé, de peur que du sang ne tache mes précieux atours. »

Littlefinger n’avait que faire de l’invite. « Je ramène le guet », promit-il à Ned. Les gens de Lannister s’écartèrent pour le laisser passer, se reformèrent derrière lui tandis que, piquant des deux, il s’évanouissait au premier coin de rue.

Les hommes de Ned avaient tiré l’épée, mais ils étaient trois contre une trentaine. Toutes les fenêtres et les portes du voisinage guignaient, mais personne n’interviendrait. Eux quatre étaient montés, l’adversaire, exception faite de ser Jaime, à pied. Une charge avait quelque chance de réussir, mais Eddard Stark crut devoir opter pour une tactique plus sûre, ou moins aventureuse. « Tuez-moi, prévint-il le Régicide, et Catelyn fera exécuter Tyrion. »

De la pointe de l’épée dorée qui s’était gorgée du sang du dernier roi-dragon, Lannister lui titilla la poitrine. « Vraiment? La noble Catelyn Tully de Vivesaigues, assassiner un otage ? Ma foi…, non. » Il soupira. « Mais les femmes et leur sens de l’honneur…, je ne veux pas jouer la vie de mon frère en misant là-dessus. » Il rengaina l’épée dorée. « Allez donc vous précipiter aux pieds de Robert pour lui conter quelle trouille je vous ai flanquée. Je doute qu’il en ait cure. » Il repoussa en arrière ses cheveux trempés, fît volter son cheval et, une fois derrière la ligne de ses bretteurs, jeta par-dessus l’épaule à leur capitaine : « Tregar ? veillez qu’il n’arrive aucun mal à lord Stark.

— Bien, messire.

— Toutefois…, comme nous ne saurions lui concéder ici d’impunité totale , hé bien… – à travers la pluie et la nuit se discerna l’éclatante blancheur d’un sourire –, tuez-lui ses hommes.

— Non ! » hurla Ned, agrippant son épée. Jaime dévalait déjà la rue au petit galop quand il entendit Wyl crier. Les deux mâchoires de l’étau se refermaient. Ned se rua sur l’une d’elles en taillant de droite et de gauche des spectres à manteau rouge qui se dérobaient devant lui. Jory Cassel piqua des deux, chargea. Un sabot ferré d’acier frappa l’un des Lannister en pleine figure avec un craquement sinistre, un second garde se vit envoyer bouler en tournoyant et, un instant, Jory se retrouva libre. Wyl se débattait en jurant tandis qu’on le jetait à bas de sa monture moribonde, les épées fustigeaient la pluie. Au galop, Ned se précipita à sa rescousse et abattit son arme avec une telle violence sur le heaume de Tregar que l’impact le fit grincer des dents. Tregar s’affaissa sur les genoux, son cimier léonin fendu par le milieu, la face inondée de sang. Heward tailladait les mains qui s’étaient saisies de sa bride quand un coup de pique lui creva le ventre. Et, soudain, Jory fut de retour dans la mêlée, la lame toute dégoutante de pluie rougie. « Non ! cria Ned, file ! » mais, au même instant, son cheval bronchait sous lui et s’abattait pesamment dans la boue. Une douleur atroce l’aveugla quelque temps, le goût du sang lui emplit la bouche.

Il les vit cependant trancher les jarrets de la monture de Jory, le traîner à terre, il vit leurs épées se lever, s’abattre, et la meute l’enserrer comme pour la curée. Quand son propre cheval fut parvenu à se relever, il tenta lui-même de se dresser, retomba aussitôt, les dents serrées sur un hurlement. Il eut juste le temps d’apercevoir l’os brisé poindre de son mollet puis ne vit plus rien. La pluie persistait à tomber, tomber, tomber.

Quand il reprit connaissance, lord Eddard Stark gisait seul parmi les cadavres. Son cheval se rapprocha mais, effaré par l’âcre odeur du sang, finit par s’enfuir au triple galop. Les mâchoires bloquées sur les mille morts que lui causait sa jambe, Ned entreprit de se traîner à travers la boue, et cela lui prit des années. Des faces attentives se montraient aux fenêtres éclairées, des gens commençaient à surgir des ruelles et des seuils, mais nul ne venait à l’aide.

Littlefinger et le guet le découvrirent là, dans la rue, berçant dans ses bras Jory Cassel inanimé.

Les manteaux d’or finirent par dénicher une litière, mais le retour au château fut un cauchemar d’agonie, et il s’évanouit plus d’une fois. Sa mémoire enregistra seulement l’apparition floue du Donjon Rouge, droit devant, dans la lueur grisâtre d’une aube sale. La pluie avait assombri le rose pâle des murs massifs, la pierre avait la couleur du sang.

A présent, le Grand Mestre Pycelle s’inclinait sur lui dans la brume, tenant une coupe et susurrant : « Buvez, messire. Là. Du lait de pavot, pour vous empêcher de souffrir. » Il eut encore conscience qu’il avalait, que Pycelle ordonnait à quelqu’un de chauffer le vin jusqu’à ébullition puis d’aller lui chercher une serviette de soie propre et, là-dessus, il sombra définitivement.

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