George Martin - Le Trône de fer

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Il était une fois, perdu dans un lointain passé, le royaume des Sept Couronnes…
En ces temps nimbés de brume, où la belle saison pouvait durer des années, la mauvaise toute une vie d’homme, se multiplièrent un jour des présages alarmants. Au nord du Mur colossal qui protégeait le royaume, se massèrent soudain des forces obscures ; au sud, l’ordre établi chancela, la luxure et l’inceste, le meurtre et la corruption, la lâcheté et le mensonge enserrèrent inexorablement le trône convoité.
Pour préserver de l’ignominie les siens et la dynastie menacés se dresse alors, armé de sa seule droiture, le duc Stark de Winterfell, aussi rude que son septentrion natal. Mais en dépit du pouvoir immense que vient de lui conférer le roi, a-t-il quelque chance d’endiguer la tourmente qui se lève ?
Dans la lignée des ROIS MAUDITS et d’EXCALIBUR, LE TRÔNE DE FER plonge le lecteur, sans lui laisser reprendre souffle, dans un univers de délices et de feu. L’épique et le chevaleresque côtoient sans cesse le vil et le démoniaque. La bravoure et la loyauté se heurtent à la duplicité et à la fourberie. Mais dans ce tourbillon d’aventures cruelles, ce sont finalement l’amour, la tendresse, l’indestructible force de l’amitié qui rayonnent au-dessus des ténèbres.

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Une fois en selle, l’ascension reprit à la clarté des astres. Cette deuxième étape parut plus traîtresse à Catelyn. Le sentier était plus abrupt encore, les marches plus usées et, de-ci de-là, jonchées de pierraille et de morceaux de roc. A cinq ou six reprises, Mya dut même démonter pour déblayer la voie. « A ces hauteurs-là, dit-elle, on n’a pas envie de voir son mulet se casser la jambe. » Catelyn ne fut pas tentée de la démentir. L’altitude était devenue plus sensible. Les arbres se clairsemaient, et le vent soufflait avec plus d’énergie, d’aigres bourrasques qui vous saccadaient les vêtements et vous balayaient les cheveux dans les yeux. De loin en loin, les marches se repliaient sur elles-mêmes, et l’on discernait Pierre, en dessous, puis, beaucoup beaucoup plus bas, pas plus brillantes que des chandelles, les torches des Portes-de-la-Lune.

Plus petit que Pierre, Neige ne comportait qu’une seule tour fortifiée, un baraquement de bois et des écuries dissimulées derrière un muret de pierres sèches. Il n’en était pas moins niché sur la paroi de la Lance-du-Géant de manière à commander entièrement la portion de l’escalier qui le reliait au fort inférieur. Tout assaillant des Eyrié parti de Pierre devrait conquérir chaque pouce de terrain sous l’avalanche de roches et de flèches des défenseurs de Neige. Le commandant de la place, un jeune chevalier à l’air anxieux et à la figure grêlée, leur offrit du fromage et du pain, tout en leur proposant l’aubaine de se réchauffer au coin de son feu, mais Mya déclina l’invite. « Nous ferions mieux de continuer, madame, dit-elle. S’il vous agrée. » Catelyn acquiesça d’un signe.

On leur donna de nouveaux mulets. Le sien était blanc. Mya sourit en le voyant. « C’est un bon, ce Blanchot, madame. Sûr, même sur la glace, mais soyez prudente, il décoche des coups de pied quand on lui déplaît. »

Apparemment, Catelyn lui plut, il ne rua pas, grâce aux dieux. Et, comme il n’y avait pas de glace non plus, elle redoubla de bénédictions. « Ma mère raconte qu’ici commençait la neige, voilà des centaines d’années, reprit Mya. C’était toujours blanc, au-dessus, et la glace ne fondait jamais. » Elle haussa les épaules. « Moi, je ne me rappelle pas avoir jamais vu de neige aussi bas, mais autrefois, dans l’ancien temps, peut-être… ? »

Si jeune, songea Catelyn en fouillant dans ses propres souvenirs, ai-je jamais été comme elle ? La petite avait vécu la moitié de sa vie en été, et elle ne connaissait que cela. L’hiver vient, petite, eut-elle envie de la prévenir. Les mots étaient sur ses lèvres, il s’en fallut de rien qu’elle les proférât. Peut-être était-elle en passe de devenir une Stark, à la fin.

Au-dessus de Neige, le vent se fit une créature vivante, il hurlait autour d’elles comme un loup dans le désert puis tombait à néant comme pour les induire en vanité. A cette hauteur, les étoiles semblaient plus brillantes, et si proches qu’il lui suffisait de tendre la main pour les capturer, la lune cornue paraissait colossale sur le noir lumineux du ciel. Tout en grimpant, Catelyn s’aperçut qu’il valait mieux lever que baisser les yeux. Des siècles de gel, de dégel, le va-et-vient d’innombrables mulets avaient rompu, fissuré les marches et, même dans le noir, la profondeur du gouffre lui remontait le cœur dans la gorge. Comme elles atteignaient une espèce de col lancé entre deux aiguilles rocheuses, Mya mit pied à terre. « Il est préférable de mener les bêtes par la bride, expliqua-t-elle. Dans ce coin, le vent risque d’être un peu trop vilain, madame. »

Catelyn émergea de l’ombre, roidie d’avance, et examina le terrain, devant : le passage scabreux avait près de trois pieds de large et une vingtaine seulement de long, mais il se trouvait entre deux précipices, et le vent mugissait. D’un pas léger, Mya se remit en marche, suivie de son mulet, placide comme pour traverser la plus vaste courtine. Arriva le tour de Catelyn. Mais à peine eut-elle esquissé le premier pas que la peur l’enserra dans son étau. Elle sentait le vide et les immenses abysses d’air noir bâiller tout autour. Elle s’immobilisa, tremblante et trop effarée pour bouger. Le vent lui criait des injures et martyrisait son manteau pour la jeter par-dessus bord. Elle recula son pied pour le plus timide des pas, mais le mulet la talonnait, qui lui coupait toute retraite. Je vais mourir ici , se dit-elle, pleinement consciente des sueurs froides qui lui suintaient tout le long du dos.

« Madame… ? » appela Mya de l’autre bord. Sa voix semblait à des milliers de lieues. « Ça va ? »

Catelyn Tully Stark ravala ce qui lui restait d’orgueil. « Je… Je ne peux pas, petite…, pas ça ! cria-t-elle.

— Mais si, vous pouvez, dit la bâtarde. Je sais, moi, que vous pouvez. Regardez comme c’est large… !

— Je… je ne veux pas regarder ! » Tout autour, le monde tourbillonnait, la montagne et le ciel et les mulets, tournait en se dandinant comme une toupie de marmot. Elle haletait, ferma les yeux dans l’espoir de raffermir sa respiration.

« Je reviens vous chercher, dit Mya. Ne bougez pas, madame. »

Bouger ? C’était la dernière chose qu’elle risquât de faire. Les rafales lui emplissaient la cervelle, et le claquement du cuir contre le rocher. Et puis, Mya fut là, qui lui prit gentiment la main. « Gardez les yeux fermés, si vous aimez mieux. Vous pouvez lâcher la bride, Blanchot saura se débrouiller tout seul. Donnez-moi un pas, maintenant. Voilà, bougez votre pied, glissez-le seulement de l’avant. Vous voyez. Un autre ? Facile. Vous pourriez traverser en courant. Encore un autre, allons. Oui… » Et ainsi, pied à pied, pas après pas, la bâtarde l’amena jusqu’au bord opposé, aveugle, éperdue, tandis que le mulet blanc les suivait, impavide.

Le fortin nommé Ciel n’était guère qu’un haut rempart de pierres sèches élevé en forme de croissant contre le flanc de la montagne, mais la splendeur même des tours infinies de Valyria n’eût pas davantage émerveillé Catelyn Stark. Là débutait la couronne de neige, la gelée givrait l’antique appareil des murs et, au-dessus, pendaient au moindre épaulement de longues aiguilles de glace.

L’est commençait à s’éclaircir quand Mya Stone, d’un houhou, réclama l’entrée. Au-delà des portes ne se trouvaient qu’une nouvelle série de rampes et un prodigieux chaos de blocs, de parpaings de toutes les tailles. Rien de si enfantin, sans doute, que de déclencher leur dégringolade… Juste en face d’elles béait, à même la roche, une vaste gueule. « Les écuries et les baraquements, dit la petite. Le reste du trajet s’effectue par les entrailles de la montagne. C’est un rien sombre, mais du moins s’y trouve-t-on à l’abri du vent. Les mulets ne vont pas au-delà. Parce qu’au-delà, bon, ça tient plutôt de la cheminée, de l’échelle plutôt que de l’escalier, mais pas si terrible que ça. Une heure encore, et nous serons arrivées. »

Catelyn leva les yeux. Juste au-dessus d’elle s’apercevaient, pâles dans l’aube naissante, les fondations des Eyrié. A quelque six cents pieds plus haut, pas davantage. Vu du bas, cela ressemblait à un petit rayon de miel blanc. Alors, elle se souvint qu’Oncle avait parlé de treuils et de couffins. « Les Lannister peuvent bien avoir leur fierté, dit-elle à sa compagne, les Tully naissent avec davantage de bon sens. J’ai déjà chevauché un jour et une nuit. Demande-leur d’abaisser un panier. J’achèverai la course avec les navets. »

Le soleil flamboyait fort au-dessus des montagnes quand elle atteignit enfin les Eyrié. Un homme à cheveux d’argent l’aida à s’extirper de sa corbeille. Courtaud dans son manteau bleu ciel, ser Vardis Egen, capitaine de la garde personnelle de Jon Arryn, arborait lune-et-faucon sur son pectoral de plates. « Lady Stark, dit-il, notre plaisir est à la hauteur de notre surprise. » A ses côtés se tenait, maigre et fébrile, mestre Colemon, avec trop peu de cheveux emmanchés sur un trop long cou. Il dodelina vivement son approbation. « Il n’est que trop vrai, madame, il n’est que trop vrai. J’ai fait avertir votre sœur. Elle avait ordonné qu’on la réveille dès votre arrivée.

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