— D’accord, voilà ce que je propose, dit Maurice à la boule frissonnante entre ses griffes. Tu n’as qu’à dire quelque chose. N’importe quoi. « Laisse-moi partir », peut-être, ou même « au secours ! ». Couiii , ça ne colle pas. C’est un bruit, rien d’autre. Demande et je te laisse filer. Personne ne dira que je ne suis pas d’une grande moralité de ce côté-là.
— Couiii ! brailla la souris.
— Très bien », conclut Maurice qui la tua net. Il la ramena dans l’angle où Keith, maintenant assis dans la paille, terminait un casse-croûte au bœuf salé.
« Elle ne parlait pas, s’empressa d’expliquer Maurice.
— Je ne t’ai rien demandé, fit Keith.
— Enfin quoi, je lui ai donné sa chance. Tu m’as entendu, pas vrai ? Elle n’avait qu’à dire qu’elle ne voulait pas se faire boulotter.
— D’accord.
— C’est facile pour toi. Je veux dire, tu n’as pas besoin de parler aux casse-croûte, poursuivit Maurice comme si quelque chose continuait de le travailler.
— Je ne saurais pas quoi leur dire.
— Et je voudrais te faire remarquer que je n’ai pas joué non plus avec elle. Un grand coup de patte et terminé, elle n’a pas eu le temps d’écrire un mot d’adieu, sauf qu’elle n’aurait évidemment pas pu l’écrire, étant totalement dépourvue d’intelligence.
— Je te crois, dit Keith.
— Elle n’a rien senti », insista Maurice.
Un cri leur parvint de quelque part dans une rue voisine, puis un fracas de vaisselle cassée. Ce n’étaient pas les premiers qu’ils entendaient depuis une demi-heure.
« On dirait que les gars sont toujours au travail, dit Maurice en portant la souris crevée derrière un tas de foin. Rien de tel pour déclencher les hauts cris que Sardines en train de danser sur la table. »
Les portes de l’écurie s’ouvrirent. Un homme entra, harnacha deux chevaux et les fit sortir. Peu après, on entendit une voiture quitter la cour.
Quelques secondes plus tard, trois coups sonores retentirent en dessous. Qui se répétèrent. Et se répétèrent encore.
Finalement, la voix de Malicia demanda : « Vous êtes là-haut ou pas, tous les deux ? »
Keith rampa hors du foin et baissa les yeux. « Oui, répondit-il.
— Vous ne m’avez pas entendue frapper selon le code ? lança Malicia en levant sur lui un regard excédé.
— Ça n’avait pas l’air d’un code, dit Maurice, la bouche pleine.
— C’est la voix de Maurice, ça ? demanda Malicia d’un air méfiant.
— Oui, répondit Keith. Faut l’excuser, il est en train de manger quelqu’un. »
Maurice avala sa bouchée à la va-vite. « Ce n’est pas quelqu’un ! souffla-t-il. Pour être quelqu’un, faut que ça parle ! Sinon, c’est juste un repas !
— Si, c’était un code ! lança Malicia d’un ton sec. Je connais ces choses-là ! Et vous devez répondre vous aussi par un code !
— Mais si c’est seulement quelqu’un qui frappe à la porte comme ça, pour rigoler, et qu’on lui répond, il va se demander ce qu’il y a là-haut, non ? dit Maurice. Un très, très gros insecte ? »
Malicia, contrairement à son habitude, resta un moment silencieuse. « Très juste, très juste, reconnut-elle enfin. Je sais, je vais crier « C’est moi, Malicia ! » et ensuite frapper le code, de cette façon vous saurez que c’est moi et vous pourrez frapper le code à votre tour. D’accord ?
— Pourquoi on ne dirait pas tout bonnement « Salut, on est en haut » ? » lança Keith d’un air innocent.
Malicia soupira. « Vous n’avez donc aucun sens du drame ? Écoutez, mon père est parti au Rathaus rencontrer les autres membres du conseil. Il a dit que la vaisselle, c’était la goutte d’eau !
— La vaisselle ? fit Maurice. Tu lui as parlé de Sardines ?
— J’ai dû raconter qu’un rat énorme m’avait fait peur et que j’avais voulu grimper sur le buffet pour lui échapper.
— Tu as menti ?
— J’ai seulement raconté une histoire, répondit sereinement Malicia. Et une bonne, d’ailleurs. Qui sonne bien plus vraie que la vérité. Un rat qui danse des claquettes ? N’importe comment, ça ne l’intéressait pas tellement parce qu’il y a eu des tas de plaintes aujourd’hui. Vos rats apprivoisés dérangent vraiment les gens. Je jubile.
— Ce ne sont pas nos rats, ils sont à eux-mêmes, rectifia Keith.
— Et ils travaillent toujours vite, dit fièrement Maurice. Ils font un boulot propre quand il faut… tout saloper.
— Dans un village qu’on visitait le mois dernier, le conseil municipal a passé une annonce pour trouver un joueur de flûte dès le lendemain matin, ajouta Keith. Un grand jour pour Sardines.
— Mon père a poussé les hauts cris et a aussi envoyé chercher Blonquette et Deslances, dit Malicia. Les chasseurs de rats ! Et vous savez ce que ça signifie, hein ? »
Maurice et Keith échangèrent un regard. « On va faire comme si on ne savait pas, répondit Maurice.
— Ça signifie qu’on peut s’introduire dans leur cabane et résoudre le mystère des queues en lacets de chaussure ! » Malicia posa sur Maurice un œil critique. « Évidemment, ce serait plus… dans le ton si on était quatre enfants et un chien, la bonne formule pour une aventure, mais on va faire avec ce qu’on a.
— Hé, on vole seulement aux gouvernements ! fit Maurice.
— Euh… seulement aux gouvernements qui ne sont pas pères de quelqu’un, manifestement, dit Keith.
— Et alors ? fit Malicia et jetant un drôle de regard à Keith.
— Ce n’est pas la même chose qu’être des criminels ! expliqua Maurice.
— Ah, mais si on a la preuve, on pourra la porter au conseil, et alors on ne sera plus des criminels parce qu’on sauvera la mise, dit Malicia dont la patience commençait à se lasser. Évidemment, le conseil et le guet peuvent parfaitement être de mèche avec les chasseurs, alors il ne faut faire confiance à personne. Franchement, vous n’avez donc jamais lu de livres ? La nuit va bientôt tomber, je vais revenir vous chercher et on pourra déclore la bénarde.
— Ah bon ? fit Keith.
— Oui. Avec une épingle à cheveux. Je sais que c’est possible parce que je l’ai lu des centaines de fois.
— C’est quel genre de bénarde ? demanda Maurice.
— Une grosse, répondit Malicia. C’est d’autant plus facile, évidemment. »
Elle pivota brusquement et sortit des écuries en courant.
« Maurice ? fit Keith.
— Oui ? répondit le chat.
— C’est quoi, une bénarde, et comment on fait pour la déclore ?
— Aucune idée. Une serrure peut-être ?
— Pourtant tu as dit…
— Oui, mais j’essayais seulement de la faire encore parler au cas où elle deviendrait violente. Elle ne va pas bien de la tête, si tu veux mon avis. Elle est comme ces gens, là… les acteurs. Tu sais. Qui jouent tout le temps. Qui ne vivent plus du tout dans le monde réel. Comme si toute l’existence n’était qu’une histoire grandeur nature. Pistou est un peu comme ça. Extrêmement dangereux, à mon avis.
— C’est un rat très gentil et très sérieux !
— Ah oui, mais l’ennui, tu vois, c’est qu’il croit tout le monde comme lui. Des mentalités pareilles, ce n’est pas bon, petit. Et notre copine, elle s’imagine que la vie se passe comme dans un conte de fées.
— Ben, ça ne fait de mal à personne, tout de même ?
— Ouais, mais, dans les contes de fées, quand quelqu’un meurt… ce n’est qu’un mot. »
Le 3 ede pisseurs lourds faisait la pause ; de toute façon il était à court de munitions. Personne ne se sentait l’envie de passer devant le piège pour atteindre le filet d’eau qui s’égouttait le long du mur. Et personne ne tenait à regarder ce qu’il y avait dans le piège.
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