Une fois de plus, Maurice sentit un petit frisson sur sa nuque. Ça marche dans les histoires, songea-t-il. Oh là là. « Et comment ça se fait que tu t’y connaisses autant en rossignols ? demanda-t-il.
— Je te l’ai dit, on m’enfermait dans ma chambre pour me punir », répondit Malicia en agitant son épingle.
Maurice avait vu des voleurs au travail. Les individus qui entrent dans des bâtiments par effraction n’aiment pas voir des chiens, mais ils se fichent des chats. Les chats ne cherchent jamais à leur arracher la gorge. Et ce qu’utilisent le plus souvent les voleurs, il le savait, c’étaient de petits outils tarabiscotés dont ils se servaient avec grand soin et grande précision. Ils ne se servaient pas de ridic…
Clic !
« Bien, fit Malicia d’une voix satisfaite.
— Un coup de chance, c’est tout », dit Maurice alors que le cadenas pendait, ouvert. Il leva les yeux sur Keith. « Toi aussi, tu penses que c’est un coup de chance, hein, petit ?
— Comment je saurais ? fit Keith. Je n’ai encore jamais vu faire ça.
— J’étais sûre que ça marcherait, dit Malicia. Ç’a marché dans le conte de fées La Septième Femme de Barbe-verte , quand elle s’est échappée de sa chambre des horreurs et l’a poignardé dans l’œil avec un hareng congelé.
— C’est un conte de fées, ça ? s’étonna Keith.
— Oui, répondit fièrement Malicia. Tiré des Contes de Crime.
— Vous avez de sales fées par ici », dit Maurice en secouant la tête.
Malicia poussa la porte. « Oh non, gémit-elle. Je ne m’attendais pas à ça…»
Quelque part entre les pattes de Maurice et à peu près à une rue de là, le seul rat local que les Changés avaient trouvé en vie se faisait tout petit devant Pistou. On avait rappelé les équipes. La journée s’annonçait mauvaise.
Des pièges qui ne tuaient pas, songeait Noir-mat. On en voyait parfois. Parfois les hommes voulaient prendre les rats vivants.
Noir-mat se méfiait des hommes qui voulaient prendre les rats vivants. Les pièges honnêtes qui tuaient net… ben, c’était de la saleté, mais on arrivait le plus souvent à les éviter et au moins ils avaient un côté propre. Les pièges qui laissaient en vie, c’était comme du poison. Ils trichaient.
Pistou observait le nouvel arrivant. C’était curieux, mais le rat dont l’esprit divergeait le plus de celui de ses semblables était aussi le plus apte à parler aux quiquis , sauf que « parler » n’était pas le verbe adéquat. Personne, pas même Pur-Porc, n’avait l’odorat aussi développé que Pistou.
Le nouveau rat ne posait assurément pas de problèmes. Il faut dire qu’il était entouré de grands rats bien nourris et coriaces, aussi clamait-il par le langage du corps « chef » aussi fort qu’il le pouvait. Les Changés lui avaient en outre donné à manger, et il s’empiffrait plutôt qu’autre chose.
« Elle était dans une boîte, expliqua Noir-mat qui dessinait par terre à l’aide d’un bâton. Il y en a des tas par ici.
— Je me suis fait prendre comme ça une fois, dit Pur-Porc. Puis une femme est venue et m’en a fait tomber par-dessus le mur du jardin. Je n’ai pas compris à quoi ça rimait.
— Je crois que certains humains font ça par gentillesse, intervint Pêches. Ils se débarrassent des rats de la maison sans les tuer.
— Ça ne l’a pas avancée à grand-chose, de toute façon, reprit Pur-Porc d’un air satisfait. Je suis revenu la nuit suivante et j’ai pissé sur le fromage.
— Je ne crois pas qu’il soit question de gentillesse dans le cas présent, dit Noir-mat. Il y avait un autre rat avec elle dans la boîte. Du moins, ajouta-t-il, une partie d’un autre rat. Je crois qu’elle l’a mangé pour rester en vie.
— Très sensé, approuva Pur-Porc en hochant la tête.
— On a trouvé autre chose, dit Noir-mat en continuant de dessiner des sillons par terre. Vous voyez ça, chef ? »
Il avait dessiné des lignes et des gribouillis dans la poussière.
« Hrumph. Je vois, mais je ne suis pas obligé de savoir ce que c’est », répondit Pur-Porc. Il se frotta le museau. « Je n’ai jamais eu besoin d’autre chose que ça. »
Noir-mat poussa un soupir patient. « Alors sentez, chef, que c’est une… une représentation de tous les tunnels qu’on a explorés aujourd’hui. C’est… la forme que j’ai en tête. On a exploré une grande partie du village. Il y a beaucoup de… (il jeta un coup d’œil à Pêches) de pièges gentils , la plupart vides. Il y a du poison partout. Qui date, dans la majorité des cas. Des tas de pièges qui ne tuent pas vides. Des tas de pièges qui tuent encore en place. Et aucun rat vivant. Pas un, en dehors de notre… nouvelle amie. On sait qu’il se passe quelque chose de très bizarre. J’ai flairé un peu dans le coin où je l’ai trouvée, et j’ai senti des rats. Beaucoup de rats. Vraiment beaucoup.
— Vivants ? demanda Pistou.
— Oui.
— Tous au même endroit ?
— C’est ce que j’ai senti. Je crois qu’une équipe devrait aller jeter un coup d’œil. »
Pistou se rapprocha de la rate et la flaira encore. La rate le renifla à son tour. Ils se touchèrent les pattes. Les Changés qui observaient la scène n’en revenaient pas. Pistou traitait la quiqui en égale.
« Beaucoup de choses, beaucoup de choses, murmura-t-il. Beaucoup de rats… des hommes… peur… beaucoup de peur… beaucoup de rats, entassés… à manger… rat… Vous avez dit qu’elle a mangé du rat ?
— C’est un monde où le rat est un loup pour le rat, dit Pur-Porc. Ç’a toujours été et ça sera toujours comme ça. »
Pistou plissa le museau. « Il y a autre chose… Quelque chose… de bizarre. Curieux… elle a vraiment peur.
— Elle était dans un piège, dit Pêches. Et ensuite elle nous a rencontrés.
— Autrement… pire que ça. Elle… elle a peur de nous parce qu’on est des rats étranges mais, d’après l’odeur, elle a l’air soulagée qu’on ne soit pas… ce qu’elle avait l’habitude…
— Des hommes ! cracha Noir-mat.
— Je… ne… crois… pas…
— D’autres rats ?
— Oui… non… je… ne… Difficile à dire…
— Des chiens ? Des chats ?
— Non. » Pistou recula. « Quelque chose de nouveau.
— Qu’est-ce qu’on va faire d’elle ? demanda Pêches.
— La laisser partir, j’imagine.
— On ne peut pas faire ça ! dit Noir-mat. On a déclenché tous les pièges qu’on a trouvés mais il reste du poison partout. Je n’enverrais même pas une souris dans tout ça. Elle n’a pas cherché à nous agresser, après tout.
— Et alors ? lança Pur-Porc. Est-ce que ça compte, un quiqui mort de plus ?
— Je sais ce que veut dire Noir-mat, fit Pêches. On ne peut pas l’envoyer à la mort comme ça. »
Grosses-Remises s’avança, entoura la jeune rate de la patte et la serra en un geste protecteur. Elle jeta un regard noir à Pur-Porc. Même si elle lui donnait parfois de petits coups de dent quand elle était contrariée, elle ne discutait pas avec lui. Elle était trop âgée pour ça. Mais son regard disait : Tous les mâles sont bêtes, espèce de vieil imbécile.
Il avait l’air perdu. « On a tué des quiquis , non ? fit-il d’un air triste. Pourquoi garder celle-là dans nos pattes ?
— On ne peut pas l’envoyer à la mort », répéta Pêches en observant la mine de Pistou. Les yeux roses du rat albinos se perdaient dans le vague.
« Tu veux qu’on la traîne avec nous, qu’elle mange nos vivres et flanque le bazar ? fit Pur-Porc. Elle ne parle pas, elle ne pense pas…
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