Terry Pratchett - Les aéronautes

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Décidément, les humains sont incorrigibles. Où que s’installent les gnomes – le Grand Magasin, la carrière abandonnée… –, on vient les embêter. Pourtant, il reste un espoir : le grand Vaisseau qui les a conduits sur Terre est toujours là, au-dessus du ciel, après quinze cents ans.
L’espace, c’est froid, ça manque d’air et c’est loin, surtout quand on est tout petit. Par chance, il y a en Floride un machin qui peut conduire les gnomes à bon port. Un satellite, ça s’appelle. Il suffit donc d’aller là-bas et de grimper discrètement dans ledit satellite.
Oui, mais c’est où, la Floride ? On y va comment ?
Bah ! Quand on a volé un camion… pourquoi ne pas emprunter ce drôle de camion doté d’un nez pointu et de deux ailes ? Le Concorde ça s’appelle.
Bon, allez, c’est reparti mon riquiqui, attachez vos ceintures !

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— Bien, je suppose, répondit Masklinn.

— Vraiment ?

— Bon, je devrais plutôt dire j’espère.

— Ta Grimma a dû tout organiser, je suppose, fit Angalo en esquissant un vague sourire.

— Ce n’est pas ma Grimma, rétorqua aussitôt Masklinn.

— Ah bon ? Et c’est la Grimma de qui, alors ?

Masklinn hésita.

— De… personne. La sienne, je suppose, finit-il par déclarer avec un peu d’embarras.

— Oh ! Je croyais que tous les deux, vous alliez… commença Angalo.

— Non, on ne va pas. Quand je lui ai dit qu’on allait se marier, tout ce qu’elle a trouvé à répondre, c’est une histoire de grenouilles.

— Ça, c’est bien les femmes, intervint Gurder. Je l’avais dit que c’était une mauvaise idée de leur apprendre à lire. Ça leur échauffe la cervelle.

— Elle a dit que la chose la plus importante au monde, c’étaient de petites grenouilles qui vivent dans une fleur, continua Masklinn.

Il tentait de retrouver le fil de cette voix dans ses souvenirs. Il n’avait pas écouté très attentivement sur le coup. Il était trop en colère pour ça.

— On dirait qu’on arriverait même à faire bouillir de l’eau sur son crâne, jugea Angalo.

— Elle avait lu ça dans un livre, elle m’a expliqué.

— Exactement ce que je disais. Tu sais que je n’ai jamais été très d’accord pour que tout le monde apprenne à lire. Ça énerve les gens.

Masklinn contempla la pluie avec une mine lugubre.

— En y réfléchissant, ce n’étaient pas les grenouilles, précisément. C’était l’idée des grenouilles. Elle disait qu’il y a des collines où il fait chaud et où il pleut tout le temps, et dans les forêts que ça fait pousser, il existe de très très grands arbres et, au sommet des plus hautes branches, il y a de très très grandes fleurs qui s’appellent des… broméliacées, je crois. Et l’eau qui pleut dans les fleurs forme de petites mares, et il existe une espèce de grenouille qui pond ses œufs dans ces mares. Ça donne des têtards, qui deviennent de nouvelles grenouilles et elles passent toute leur vie au sommet des arbres, sans jamais savoir que le sol existe. Et une fois qu’on sait que le monde est plein de choses comme ça, on ne peut plus jamais vivre comme avant.

Il reprit sa respiration.

— Enfin, une histoire comme ça, quoi.

Gurder échangea un regard avec Angalo.

— J’ai rien compris, dit-il.

— C’est une métaphore , intervint le Truc.

Personne ne l’écoutait.

Masklinn se gratta l’oreille.

— Ça avait l’air de beaucoup compter pour elle, dit-il.

— C’est une métaphore , répéta le Truc.

— Oh ! les femmes… Il y a toujours quelque chose, avec elles, fit Angalo. La mienne me rebat sans arrêt les oreilles avec des histoires de robes.

— Je suis sûr qu’il nous aurait aidés, remarqua Gurder. Si on lui avait parlé. Il nous aurait sans doute donné un repas convenable, et, et…

— Nous aurait logés dans une boîte à chaussures, compléta Masklinn.

— Nous aurait logés dans une boîte à chaussures, répéta Gurder automatiquement. Non ! Enfin, je veux dire, peut-être. Pourquoi pas, après tout ? Connaître une véritable heure de sommeil, pour changer. Et ensuite, on…

— On aurait voyagé dans ses poches, acheva Masklinn.

— Pas forcément. Pas forcément.

— Mais si. Parce qu’il est grand et que nous sommes tout petits.

— Lancement dans trois heures et cinquante-sept minutes, annonça le Truc.

Leur campement de fortune surplombait un fossé. L’hiver semblait être inconnu en Floride, et les berges étaient noyées de verdure.

Quelque chose qui ressemblait à une assiette plate avec une cuillère collée sur le devant passa lentement devant eux. La cuillère émergea un instant de l’eau, considéra les gnomes d’un air absent, avant de replonger.

— C’était quoi, ce truc, Truc ? s’enquit Masklinn.

— Une tortue à long cou.

— Oh !

La tortue s’éloigna paisiblement.

— Un coup de chance, fit remarquer Gurder.

— Quoi donc ? demanda Angalo.

— Qu’elle ait un aussi long cou et qu’en plus elle s’appelle tortue à long cou. T’imagines si elle avait un tout petit cou, avec un nom comme ça ?

— Lancement dans trois heures et cinquante-six minutes.

Masklinn se remit debout.

— Vous savez, dit Angalo, je regrette vraiment de ne pas avoir lu davantage de L’Espionne n’avait pas de culotte. Ça commençait à devenir drôlement bien.

— Allons-y, dit Masklinn. Voyons si nous pouvons trouver un chemin.

Angalo, qui était assis avec le menton dans les mains, lui jeta un regard bizarre.

— Quoi, maintenant ?

— On est allés trop loin pour abandonner, non ?

Ils se frayèrent un chemin à travers les herbes folles. Au bout d’un moment, un tronc d’arbre abattu leur permit de franchir le fossé.

— C’est beaucoup plus verdoyant qu’à la maison, vous ne trouvez pas ? fit Angalo.

Masklinn écarta un épais rideau de feuilles.

— Et plus chaud, aussi, compléta Gurder. Ils ont réparé le chauffage, ici [4] Depuis des générations, les gnomes savaient que la température était réglée par la climatisation et le chauffage ; comme beaucoup d’entre eux, Gurder n’avait jamais entièrement abandonné ses anciens concepts. .

— Personne ne répare le chauffage, Dehors. Ça se fait tout seul, répliqua Angalo.

— Si je deviens vieux, c’est dans un endroit comme ici que j’aimerais vivre, si je devais vivre Dehors, poursuivit Gurder en ignorant son intervention.

— C’est une réserve naturelle , expliqua le Truc.

Gurder parut étonné.

— Comme un garde-manger ? Une réserve de quoi ? Pour qui ?

— Un endroit où les animaux sauvages peuvent vivre en toute sécurité.

— On n’a pas le droit de les chasser, tu veux dire ?

— Exactement.

— Tu n’as pas le droit de chasser quoi que ce soit, Masklinn, annonça Gurder.

Masklinn répondit par un grognement indistinct.

Quelque chose le turlupinait. Il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus. C’était peut-être bien en rapport avec les animaux, finalement.

— À part les tortues à long cou, quels autres animaux vivent ici, Truc ?

Le Truc resta silencieux un moment, avant de répondre :

J’ai trouvé des allusions à des veaux marins et à des alligators.

Masklinn essaya de se représenter un veau marin. Ça ne devait pas être bien méchant. Il avait déjà rencontré des veaux et des vaches. C’étaient de gros animaux qui se déplaçaient lentement et ne mangeaient pas les gnomes, sauf par accident.

— Et un alligator, c’est quoi ?

Le Truc le lui dit.

— Quoi ? dit Masklinn.

— Comment ? dit Angalo.

— Hein ? glapit Gurder, en serrant sa chasuble contre ses jambes.

— Espèce d’andouille ! hurla Angalo.

— Moi ? s’emporta Masklinn. Comment je pouvais deviner ? C’est ma faute, peut-être ? C’est moi qui ai dû rater le panneau à l’aéroport qui annonçait : Bienvenue en Floride, patrie des grands lézards carnivores qui mesurent jusqu’à quatre mètres de long ?

Ils scrutèrent les herbes. Le monde chaud et humide, habité par des insectes et des tortues, s’était soudain changé en un masque cachant des terreurs abominables munies de longues dents.

On nous observe, songea Masklinn. Je le sens.

Les trois gnomes se tenaient dos à dos. Masklinn s’accroupit lentement et ramassa un gros caillou.

Les herbes remuèrent.

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