Des animaux très doués, c’est vrai. Très très doués.
Les autres pones levèrent la tête et répondirent dans une gamme variée de coups de trompe et de trilles. Glurk fit signe aux autres de s’installer sur le dos d’Acrelangue.
— Les moizes auront entendu ce vacarme, dit Forficule.
— Aucune importance, répondit Glurk. Les pones ont décidé de rentrer chez elles.
— Tu veux dire qu’elles auraient pu partir d’ici n’importe quand si elles l’avaient voulu ? demanda Brocando en observant les gigantesques animaux quitter leurs boxes en files ordonnées.
— Elles s’y plaisaient bien quand c’étaient les Vortegornes qui dirigeaient. Elles aiment bien les trucs qui les intéressent. Mais les moizes les intéressent plus. Elles les aiment pas. Je crois qu’elles nous trouvent intéressants, nous.
— Bon, Glurk, écoute-moi bien, intervint Forficule. Comprends-moi bien, ce n’est pas que je ne te trouve pas, comment dire… ? Très intelligent, pas du tout ! Mais je ne peux pas croire que tu aies appris une langue et toutes ces informations en seulement quelques…
— Oh, non, répondit Glurk avec un sourire narquois. Je savais à quoi m’attendre avant d’arriver ici.
— Mais comment…
— Assez de palabres, hyark hyark hyark, dit Glurk. Je vous raconterai plus tard. Sois poli, au fait. Elle m’a dit que les pones comprennent très bien ce que les gens racontent.
— Je n’en crois pas un mot.
Une des pones lui corna un son de dérision à l’oreille.
— Ça veut dire que les pones te trouvent intéressant, traduisit Glurk.
— Et cette elle, c’est qui ? demanda Forficule.
— Je vais bientôt te le dire.
Glurk s’amusait, sur un mode tranquille. Au long de toute son existence, Forficule en avait toujours su plus long que lui. Pour une fois, c’était agréable de tenir le rôle de M. Réponse-à-Tout.
A l’autre bout de la caverne se trouvait une épaisse porte de bronze. Les deux pones de tête avancèrent sur elle sans s’arrêter, l’arrachant à ses gonds. Une fois sorti, le troupeau passa au petit trot, tandis qu’Acrelangue prenait la tête.
Sur un de ses coups de trompe, l’allure se changea en galop. C’était une course pesante et comique, jusqu’à ce qu’on se souvienne que ces gros ballons qui rebondissaient étaient capables de traverser une maison sans remarquer sa présence.
Sur le dos d’Acrelangue, le quatuor était ballotté comme autant de petits pois dans un grand godet. Forficule vit une meute de cavaliers moizes lancée à leur poursuite, les lances prêtes à l’emploi. Acrelangue dut également constater leur existence, car elle poussa un barrissement de tuba en détresse.
Trois pones se détachèrent du gros du troupeau et firent volte-face. Les moizes s’aperçurent subitement qu’ils ne traquaient plus un troupeau d’animaux en fuite…
Forficule se mit debout sur la selle.
— Elles leur sont passées dessus ! annonça-t-il.
— Comment ça ? Tu veux dire qu’elles ont sauté ? demanda Brocando.
— Non ! Je dis simplement… dessus.
— Elles ont horreur des moizes, expliqua Glurk. Plus que de n’importe qui d’autre. Elles les trouvent parfaitement sans intérêt.
Devant eux se dressait l’arche, cernée par une foule dense de moizes et de Vortegornes.
— Mais il suffit qu’ils fassent descendre la plateforme, et nous serons fichus ! s’écria Forficule.
— Ils ne la feront pas descendre, répondit Glurk en pointant le doigt. C’est elle qui fournit la force motrice !
A côté de la porte, ils remarquèrent une grande roue pour la première fois. A l’intérieur se trouvait une pone. Un groupe de moizes la harcelait à coups de fouets et d’aiguillons. Mais l’animal résistait avec vigueur et cornait bruyamment. Acrelangue lui répondit par un barrissement.
— Elles vont se lancer à sa rescousse, annonça Glurk. A propos… Qu’est-ce que c’était, déjà ? Ah oui, elles détestent les machins pointus encore plus que les moizes. Alors, il faudra être prudents avec nos lances et les bidules comme ça…
Quelques pones se précipitèrent vers la roue, balayant les moizes comme poussière. Leurs puissantes mâchoires claquèrent sur les barreaux. La pone emprisonnée se libéra d’un mouvement, prit le temps de piétiner les quelques moizes qui l’avaient aiguillonnée avec le plus de conviction, avant de bondir par la porte.
— Mais elles sont folles ! s’exclama Forficule. La plate-forme ne pourra jamais supporter leur poids !
— Nous verrons bien, répliqua Glurk tandis qu’ils s’approchaient dans un claquement de pattes.
Les autres pones se pressèrent derrière eux et Forficule constata que, bien qu’elles fassent un détour exprès pour piétiner les moizes, elles évitaient les Vortegornes en fuite. Ces derniers présentaient encore un peu d’intérêt.
Il s’attendait à voir la plate-forme se briser sous la masse des pones. Cela ne se produisit pas – il s’en fallut de peu – mais quelque chose claqua au-dessus d’eux et les morceaux de la roue tournoyèrent jusqu’à ne plus être qu’un mouvement flou. Les chaînes gémissaient sur la poulie. La muraille défilait vertigineusement. Seul Glurk restait calmement assis. Même Forficule s’était recroquevillé sur sa selle. Ils allaient s’écraser en atteignant le sol, il le savait. Brocando se cramponnait en gémissant, les paupières closes. Fléau lui aussi s’était tassé et se préparait au choc.
Glurk fut donc le seul à voir les pones bondir de la plate-forme, l’une après l’autre.
Leurs petites ailes se déployèrent. Elles étaient trop réduites pour supporter les pones – pourtant elles étaient opérationnelles. Elles bourdonnèrent fébrilement et les pones restèrent suspendues en l’air, flottant paisiblement entre les poils.
Chargée du seul poids d’Acrelangue, la plate-forme ralentit sa chute et heurta la poussière avec un choc sonore. Acrelangue s’éloigna d’un pas lourd tandis que, tout autour d’eux, des pones atterrissaient entre les poils comme des fruits mûrs.
Les autres levèrent les yeux vers le visage de Glurk.
— Tu savais que nous n’allions pas nous écraser ! l’accusa Forficule.
— Je l’espérais. J’en étais pas absolument convaincu, même après tout ce que Culaïna avait pu me dire.
— C’est qui, Culaïna ? C’est cette elle dont tu parlais ? s’enquit Forficule.
Il se sentait encore assez secoué. Il était plutôt brave homme à sa manière, mais savoir plus de choses que Glurk était un des rares domaines dans lesquels il avait la certitude d’exceller. La situation actuelle le désorientait.
Une autre pone atterrit dans la poussière à côté d’eux. Elles sont plus légères qu’on ne pourrait le penser, pensa-t-il. Des ballons munis d’ailes. Pas étonnant qu’elles n’aiment pas les objets pointus.
— C’est difficile de définir Culaïna, dit Glurk. Je crois que c’est une Vivante, à sa façon.
— A sa façon ?
— Il faudra que tu lui poses la question. Nous allons la rejoindre.
La tête d’Acrelangue s’inclina et l’animal commença à progresser d’une démarche pesante entre les poils.
— Il n’en est pas question, intervint Fléau. Nous devons nous rendre à Uzure !
— Rentrer à Périlleuse, tu veux dire !
— Quelques jours de trajet à peine nous séparent d’Uzure. Il faut que je les informe de ce qui s’est passé ici !
— Ils sont peut-être déjà au courant, fit remarquer Forficule, lugubre.
— Ils ignorent tout, répondit Glurk.
— Qu’est-ce que tu en sais ?
— Nous sommes les seuls à connaître l’existence de l’armée moize, assura Glurk. Il faudra aller à Uzure, pour prévenir la population. Mais d’abord, on doit rebrousser chemin et discuter avec Culaïna.
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