Cher Jason et tout ceux des nos21, 34, 15, 87 et 61 mais pas du 18, tant qu’elle m’aura pas rendu le bol qu’elle ma bélébien emprunté, malgré ce qu’elle peut dire.
Voilà, ça y est, bon sang quelle rigolade, me parlé plus de sitrouilles, enfin, y a pas de mal. Je vous fais un dessein de l’oberge où on a dormi hier soire et j’ai mis une crois sur notre chambre là où elle est. Il fait…
« Qu’est-ce que tu fiches, Gytha ? On est prêtes à partir. »
Nounou Ogg leva les yeux, la figure encore creusée par l’effort que lui coûtait la rédaction de son courrier.
« Je m’suis dit que ce serait bien d’envoyer un mot à mon Jason. Tu comprends, pour plus qu’il s’inquiète. Alors j’ai dessiné l’auberge sur un bout de carton et Maille Nerf, là, va la donner à quelqu’un qui passera par chez nous. On sait jamais, ça pourrait arriver. »
… toujours bau.
Nounou Ogg suça le bout de son crayon. Une fois de plus dans l’histoire de l’univers, une personne qui n’avait d’ordinaire pas plus de mal à communiquer qu’à rêver tomba en panne d’inspiration au moment de rédiger quelques lignes au dos d’une carte.
Voilà, c’est à peu près tout pour auge hourdui aujour dhuit, j’écrirai encore bien tôt. MAM.
P.-S. Le chat a l’aire trait fatigué, je crois que la maison lui manque.
« Tu viens ou quoi, Gytha ? Magrat est en train d’mettre mon balai en route. »
P.-P.-S. Mémé vous fait une grosse bize.
Nounou Ogg se renversa sur son siège, consciente et ravie d’avoir accompli du bon travail [14] Nounou Ogg envoya un grand nombre de cartes postales à sa famille, mais aucune ne parvint à destination avant son retour. Le phénomène, classique, se reproduit partout dans l’univers.
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Arrivée au bout de la place, Magrat s’arrêta pour se reposer.
De nombreux spectateurs s’étaient regroupés afin de voir une femme avec des jambes. Ils restaient très polis sur le sujet. Par certains côtés, elle trouvait ça pire.
« Pour qu’il vole, faut courir très vite », fit-elle en se rendant compte au même moment combien son explication était idiote, surtout pour des oreilles habituées à une langue étrangère. « Et s’y reprendre à plusieurs fois. Je crois qu’on appelle ça un départ en quatre strophes. »
Elle prit une inspiration profonde, fronça les sourcils pour mieux se concentrer et se lança encore en avant.
Cette fois, l’engin démarra. Il tressauta dans ses mains. Les brins émirent un bruissement. Elle réussit à le mettre au point mort avant qu’il risque de la traîner par terre. Le balai de Mémé Ciredutemps – un très vieux modèle qui datait d’une époque où les balais se fabriquaient pour durer et non pour tomber en poussière, mangés par les vers, au bout de dix ans – avait une particularité : si le démarrage était difficile, une fois parti, il ne chômait pas en route.
Magrat avait un jour songé à expliquer le symbolisme du balai de sorcière à Mémé Ciredutemps et y avait renoncé. Elle aurait eu droit à un savon pire que le jour où elle avait évoqué la signification de l’arbre de mai.
Le départ prit un certain temps. Les villageois insistèrent pour leur donner quelques bricoles à manger. Nounou Ogg fit un discours que personne ne comprit mais que tout le monde applaudit. Gredin, régulièrement secoué d’un hoquet, se laissa glisser à sa place habituelle au milieu des brins du balai de sa maîtresse.
Alors qu’elles s’élevaient au-dessus de la forêt, une fine volute de fumée monta aussi du château. Puis des flammes.
« Je vois des gens qui dansent devant, dit Magrat.
— C’est toujours dangereux de louer à des gens, fit Mémé Ciredutemps. J’imagine qu’il a dû traîner pour refaire la décoration, réparer le toit et le reste. On les prend en grippe, les proprios. Le mien, il a jamais levé le p’tit doigt pour ma chaumière depuis tout l’temps que j’y habite, ajouta-t-elle. Une honte. Me faire ça à moi, une vieille femme.
— Je croyais que la chaumière était à vous, dit Magrat tandis que les balais s’éloignaient au-dessus de la forêt.
— Ça fait soixante ans qu’elle paye pas de loyer, c’est tout, expliqua Nounou Ogg.
— Est-ce que c’est ma faute, à moi ? fit Mémé Ciredutemps. J’y suis pour rien. Je demande qu’à payer, moi. » Ses lèvres s’étirèrent lentement en un sourire plein d’assurance. « C’est lui qui demande pas », ajouta-t-elle.
Voici, vu de l’espace, le Disque-monde dont les formations nuageuses tourbillonnent en longues arabesques.
Trois points émergèrent de la couche laiteuse.
« J’comprends pourquoi ça marche pas fort, les voyages. Moi, je trouve ça barbant. Que des forêts pendant des heures.
— Oui, mais par air on va plus vite d’un point à un autre, Mémé.
— Ça fait combien de temps qu’on vole, d’ailleurs ?
— À peu près dix minutes depuis la dernière fois que tu l’as demandé, Esmé.
— Tiens, tu vois. Barbant, j’te dis.
— Moi, ce que j’aime pas, c’est rester à califourchon sur les balais. À mon avis, on devrait inventer un balai spécial pour les longues distances, non ? On pourrait s’allonger et piquer un petit roupillon. »
Toutes trois réfléchirent à la question.
« Et prendre ses repas en vol, ajouta Nounou. De vrais repas, j’entends. Des plats en sauce. Pas que des sandwichs, des machins comme ça. » Un essai de cuisine aérienne sur un petit réchaud à huile avait vite tourné court lorsqu’il avait menacé de mettre le feu au balai de Nounou.
« J’imagine que ce serait faisable avec un très grand balai, dit Magrat. Gros comme un arbre, peut-être. L’une de nous pourrait piloter et une autre faire la cuisine.
— On verra jamais ça, objecta Nounou Ogg. Pour la bonne raison que les nains demanderaient une fortune pour un balai de cette taille.
— Oui, mais ce qu’on pourrait imaginer, poursuivit une Magrat entraînée par son sujet, c’est de faire payer les gens pour qu’on les transporte. Doit y avoir des tas de voyageurs qui en ont assez des voleurs de grand chemin ou… ou du mal de mer, des choses comme ça.
— T’en penses quoi, Esmé ? demanda Nounou Ogg. Moi je piloterais, et Magrat ferait la cuisine.
— Et moi, je ferais quoi, alors ? répliqua Mémé d’un ton soupçonneux.
— Oh… ben… il faudrait quelqu’un pour… vous voyez… accueillir les gens à bord du balai et leur distribuer les repas, répondit Magrat. Et leur expliquer ce qu’il faut faire si la magie tombe en panne, par exemple.
— Si la magie tombe en panne, tout le monde s’écrase par terre et meurt, fit observer Mémé.
— Oui, mais faut quelqu’un pour leur expliquer comment s’y prendre, dit Nounou Ogg en lançant un clin d’œil à Magrat. Ils peuvent pas savoir, vu qu’ils ont jamais volé. Et on pourrait s’appeler… » Elle marqua un temps. Comme toujours sur le Disque-monde, lequel se trouve à l’extrême limite de l’irréalité, de petites parcelles de réel se faufilent dès qu’un esprit entre dans la bonne résonance. C’est ce qui se produisait.
«… Sorci-Air Service, termina-t-elle. Qu’est-ce que vous en dites ?
— Balais aériens, fit Magrat. Ou Pan… oramique Air…
— Pas la peine de mettre la religion dans le coup », renifla Mémé.
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