Nancy Berberick - La Lionne des Kagonestis

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Le royaume des elfes, jadis si puissant, est désormais sous la coupe des Chevaliers Noirs – et les sénateurs eux-mêmes obéissent sans broncher à la terrible femelle dragon Béryl. Avec, sur le trône, un roi de paille comme Gilthas, cette triste situation menace de ne jamais changer... Jusqu’à ce qu’un nouvel adversaire se dresse face aux hordes de Takhisis. Dans certains cercles proches du pouvoir, on murmure qu’il s’agirait d’une femme... Que Gilthas connaît très bien.

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Le cri triomphant de la chouette retentit... Kerian vit la proie inerte dans ses serres : un écureuil.

— Bientôt, si le traité entre les elfes, les humains et les nains ne voit pas le jour, nous mourrons aussi dans les serres de Béryl...

Voilà pourquoi elle attaquait les convois, tuait les chevaliers et voyait ses amis mourir... Histoire de gagner du temps pendant que les nains délibéraient...

Maintenant, elle devait encore faire plus.

— Ce serait peut-être une bonne chose si tu disparaissais quelque temps, dit Gilthas. Laisse Thagol se perdre en conjectures. Et les cauchemars disparaître. Vis pour combattre, et...

— J’irai à Thorbardin pour toi, mon amour, mais comment savoir si Thagol ne m’y suivra pas ?

— Il y a un moyen, répondit Gilthas.

Il ouvrit sa sacoche et tira une bourse contenant une émeraude taillée en forme de feuille.

— Nayla et Haugh voyageaient grâce à cette magie quand ma mère les envoyait hors du royaume. À l’instar de ton talisman, cette relique n’est plus aussi fiable qu’avant, mais on m’a assuré que si tu te concentrais sur ta destination, tu y arriverais sans peine.

Kerian souleva le pendentif.

— Comment ça fonctionne ?

Gil lui mit le collier. Puis il passa de nouveau les doigts dans ses longues mèches et nicha l’émeraude ensorcelée entre ses seins.

— C’est une affaire de concentration. Focalise-toi sur l’endroit où tu désires aller. Peu importe que tu n’aies jamais vu Thorbardin – tu sais que ce lieu existe. C’est à cette pensée que tu dois te cramponner.

Kerian souligna qu’il valait peut-être mieux ne pas surgir du néant devant le roi alors qu’il prenait son bain...

Gil sourit. Il laissa couler les cheveux de miel entre ses doigts, et elle se rapprocha pour l’embrasser.

— Mon amour. Tu m’as posé une autre question...

Il lui posa un index sur les lèvres.

— Chut, souffla-t-il, son haleine caressant sa joue. Elle voulait refuser sa proposition de mariage. Elle était une simple servante... Si Gilthas l’épousait, Rashas profiterait de l’indignation du royaume pour lui ravir son trône.

Je ne peux pas t’épouser. Tu sais que ce serait une erreur ...

Elle leva l’émeraude entre ses mains. La pierre lui picota les paumes.

— Se concentrer ?

— Oui, répondit le roi d’une voix douce. Garde à l’esprit l’endroit où tu veux aller.

Kerian inspira, et, paupières baissées, serra l’émeraude... Elle entendit le sifflement d’une grive, le murmure du vent, et sentit la caresse du soleil sur sa peau... Elle pensa à Thorbardin, la fameuse cité qu’elle n’avait jamais vue, aux légendes, à l’histoire de Tarn Beuglegranit, le haut roi des Huit Clans...

Soudain, tous ses sens aiguisés, elle sentit le bosquet de chênes disparaître tout autour d’elle.

— Thorbardin, dit Gil. Thorbardin, Kerian...

— Gil ! cria-t-elle alors qu’un ouragan éclatait dans la forêt, comme tombé du ciel. Gil !

La réponse du roi se perdit dans la tourmente.

Du cœur de l’orage surnaturel monta une voix désincarnée, porteuse des pires malédictions.

XVIII

— Vous savez, il y a toutes sortes de malédictions, dit le nain. Celui qui refuse d’y croire est stupide.

Kerian se retrouva à genoux, l’écho de la magie rugissant à ses oreilles... Elle avait l’impression d’avoir été catapultée à travers les monts Kharolis.

Elle était dans une taverne, respirant des relents de bière, d’alcool, de fumée et de transpiration... Elle fut néanmoins soulagée d’entendre parler dans la langue de Thorbardin.

C’est bon signe ...

Elle essaya en vain de se lever.

L’orateur continua sur sa lancée. Ses camarades, une dizaine, étaient accoudés au comptoir. La salle étant vide, la taverne venait sans doute d’ouvrir.

Les habitués s’étaient installés au comptoir.

— Il y a les grandes et les petites malédictions, assura l’expert en envoûtement. Exemple : la malédiction lancée par ta belle-mère, et celle du dieu du hasard.

— Je me demande laquelle est la pire, fit un vieux nain, soulevant des rires bon enfant.

Un de ses congénères jura qu’ il le savait.

Nauséeuse, Kerian avait un goût métallique à la bouche. Une odeur de laine détrempée de sueur lui piqua les narines... Elle gémit tout bas, mais personne ne s’aperçut de sa présence.

Au nom de tous les dieux, où suis-je ?

Du coin de l’œil, elle vit une porte devant laquelle passaient des nains.

— Oui, il y a toutes sortes de malédictions, répéta l’orateur.

Kerian retenta de se lever.

En vain.

Ah, dieux, elle avait si mal à la tête !

Un tout jeune nain lança qu’il savait désormais pourquoi la taverne portait ce nom :

— Parce qu’elle est maudite !

— Non, fit un autre.

Kerian tressaillit en entendant un autre nain lancer :

— Tu ne sais pas lire, mon gars ? T’aurait-on envoyé pelleter le charbon parce que tu n’avais pas les facultés mentales nécessaires pour apprendre ? Ce n’est pas la taverne qui est maudite, mais moi !

Le jeune nain vertement rabroué se tut. Surprise, Kerian haleta. Elle connaissait cette voix !

Elle se redressa péniblement, le crâne en feu. Au même instant, un nain se retourna. Il n’était pas beau à voir. La maladie lui avait grêlé la peau, et sa barbe pendait d’un menton fuyant. Ses yeux enfoncés dans leurs orbites s’arrondirent.

— Par la barbe de Réorx ! Une elfe !

Neuf nains se retournèrent comme un seul homme. Le jeune sot qui avait mal compris le nom de la taverne porta la main à son couteau.

— Qui ouvrirait ses portes à un elfe ?

— Je cherche Stanach Hammerfell..., dit Kerian.

La requête si calmement énoncée n’apaisa pas les esprits – personne n’appréciait l’arrivée soudaine d’un elfe.

— Il faut prévenir les gardes ! cria le jeune imbécile. Qui sait comment elle s’est infiltrée ici ?

Il dégaina son couteau.

Un autre nain se pencha vivement par-dessus le comptoir et attrapa le gamin belliqueux par sa chemise, le soulevant presque de terre.

— Voilà qui est stupide ! grogna Stanach, une lueur dangereuse dans ses yeux noirs pailletés de bleu. J’ai vu cette elfe tuer un Chevalier Noir avec le couteau qu’elle a à sa ceinture !

L’autre pâlit.

— Quoi qu’il en soit, Kern, sombre idiot, personne ne zigouillera mes clients dans ma taverne ! C’est une des règles de la maison, et j’en ai plus qu’assez de te la répéter !

Stanach secoua Kern comme un prunier, avant de le repousser sans ménagement.

Intrigués, les témoins attendirent la suite des événements. Comment Stanach allait-il réagir face à cette impensable intrusion ? Mis en appétit par l’allusion à la mort d’un Chevalier Noir, les nains, qui raffolaient des histoires, ouvrirent grandes leurs oreilles.

Hélas, Stanach n’ajouta rien à cet alléchant préambule.

Un lourd silence tomba.

Kerian inclina la tête.

— Vous ne semblez pas ravi de me revoir...

— Je ne vous attendais pas...

— Eh quoi, Stanach ? Les visites impromptues sont-elles aussi à bannir, dans cette taverne ? Une autre règle de la maison ?

Des sourires narquois saluèrent cette saillie.

La tête prise dans un étau, Kerian chancela, et une main secourable se glissa sous son coude pour la guider vers une chaise.

— Asseyez-vous, dit Stanach, radouci. Vous êtes un peu pâle...

Elle accepta un verre d’eau. Les autres voulant se rapprocher, Stanach les écarta d’un geste péremptoire, sourd à leurs grommellements.

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