La meilleure façon d’annoncer cette dédicace au monde consistait à l’insérer dans le livre qu’il terminait sur toutes les découvertes qu’il avait faites. Il mit les bouchées doubles pour l’achever ; le fait de travailler jour et nuit le rendait irritable, mais il n’avait pas le choix. La nuit, alors qu’il était seul, il se sentait gigantesquement grandi par tout ce qui l’attendait. Parfois, il était obligé de faire une pause et d’arpenter le jardin pour réorganiser les pensées qui se bousculaient dans sa tête, les divers immenses avenirs qui s’étendaient devant lui comme des visions. Il ne se relâchait que le jour, dormant aux heures les plus incongrues et s’en prenant à la maisonnée et à tout ce qu’elle représentait. Il noircissait ses pages à toute vitesse.
Il rédigea le livre en latin pour qu’il soit immédiatement compréhensible dans toutes les cours et universités d’Europe. Il y décrivait ses trouvailles astronomiques dans l’ordre plus ou moins chronologique, sous forme de narration. Les passages les plus longs et les meilleurs étaient ceux qui concernaient la Lune, qu’il rehaussa de jolies gravures faites à partir de ses dessins. Les sections sur les étoiles et les quatre lunes de Jupiter étaient plus brèves, et se bornaient pour l’essentiel à énoncer ses découvertes, assez surprenantes en elles-mêmes pour ne pas avoir besoin d’être enjolivées.
Il raconta, non sans circonspection, comment lui était venue l’idée d ’occhialino ou de perspicullum :
Il y a une dizaine de mois, une rumeur est parvenue à nos oreilles selon laquelle une lunette d’approche avait été fabriquée par un certain Hollandais, grâce à laquelle certains objets visibles, bien que très éloignés de l’œil de l’observateur, pouvaient être vus avec netteté, comme s’ils se trouvaient tout près. Cela m’amena à me consacrer totalement à l’investigation des principes et à imaginer les moyens par lesquels je pourrais arriver à l’invention d’un instrument similaire, et je parvins à ce résultat peu après, sur la base de la science de la réfraction.
Quelques opacités stratégiques à cet endroit, mais c’était bon. Il se mit d’accord avec un imprimeur vénitien, Tomaso Baglioni, pour une publication à cinq cent cinquante exemplaires.
La première page, qui était un frontispice illustré, disait en latin :
LE MESSAGER DES ÉTOILES
Révélant de grands, d’inhabituels et de remarquables spectacles,
les ouvrant à la considération de tout homme,
et surtout des philosophes et des astronomes ;
TELS QU’OBSERVÉS PAR GALILEO GALILEI,
Gentilhomme de Florence,
Professeur de Mathématiques à l’Université de Padoue,
AVEC L’AIDE D’UN PERSPICULLUM,
récemment inventé par lui,
à la surface de la Lune,
dans d’innombrables Étoiles Fixes,
dans les Nébuleuses, et surtout,
dans QUATRE PLANÈTES
en rotation rapide autour de Jupiter
à des distances et selon des périodes différentes,
et connues de personne avant que l’Auteur les distingue récemment
et décide qu’elles devraient être nommées
LES ÉTOILES MÉDICÉENNES
Venise, 1610
Les quatre premières pages suivant le grand poème qu’était ce frontispice étaient une dédicace à Cosme Médicis, d’un style exceptionnellement fleuri, même pour Galilée. Jupiter était ascendant à la naissance de Cosme, ainsi qu’il le soulignait : Se déversant de toute sa splendeur et grandeur dans l’air le plus pur, afin que dès leur tout premier souffle Votre tendre petit corps et Votre âme, déjà dotés par Dieu de nobles ornements, puissent s’abreuver de ce pouvoir universel… Votre incroyable clémence et bonté… Sérénissime Cosme, Très Noble Héros… Lorsque vous aurez surpassé Vos pairs Vous serez encore en compétition avec Vous-même, avec cette âme et cette grandeur que Vous surpassez tous les jours, Très Miséricordieux Prince… Du plus loyal serviteur de Votre Altesse, Galileo Galilei.
Le livre fut publié en mars 1610. La première édition fut épuisée avant la fin du mois. Des exemplaires circulèrent dans toute l’Europe. En vérité, sa célébrité fut universelle. Dans les cinq ans, on apprendrait qu’il avait été commenté à la cour de l’empereur de Chine.
Malgré ce succès littéraire et scientifique, la maisonnée de Galilée tournait encore à perte, et Galilée était la plupart du temps totalement débordé. Il écrivit à son ami Sagredo : Je suis toujours au service de l’un ou de l’autre. Je me fais, par obligation, dévorer de nombreuses heures du jour – souvent les meilleures – au service des autres. J’ai besoin d’un Prince.
Le 7 mai 1610, il écrivit une nouvelle supplique à Vinta. Il n’était plus temps de tourner autour du pot ; c’était une lettre de demande d’emploi explicite, un vrai chef-d’œuvre de rhétorique. Il réclamait un salaire de mille florins par an, et suffisamment de temps libre pour mener à bien certains travaux qu’il avait en cours. Jetant un coup d’œil à ses carnets poussiéreux, sur son étagère, afin de s’assurer qu’il n’oubliait rien, il dressa la liste de ce qu’il espérait publier si on lui en laissait le temps :
Deux livres sur le système et la constitution de l’univers, une conception globale emplie de philosophie, d’astronomie et de géométrie ; trois livres sur le mouvement local, une science complètement nouvelle, nul, ni ancien ni moderne, n’ayant découvert les nombreuses propriétés stupéfiantes dont je démontre l’existence dans les mouvements naturels et forcés, ce pour quoi je me permets de qualifier de nouvelle cette science, découverte par moi à partir de ses principes premiers ; trois livres sur la mécanique, deux traitant des principes et des fondements, l’un de ses problèmes – et bien que d’autres aient écrit sur le même sujet, ce qui a été écrit à ce jour n’est pas le quart de ce que j’écrirai, ni en quantité, ni selon aucun autre critère. J’ai aussi divers petits travaux sur des sujets relevant de la physique, comme Le Son et la Voix, Sur la Vision et les Couleurs, Sur les Marées, Sur la Composition du Continuum, Sur le Mouvement des Animaux, et bien d’autres encore. Je veux aussi écrire sur la science militaire, proposant non seulement un modèle de ce qu’un soldat devrait être, mais aussi des traités mathématiques sur les fortifications, les mouvements de troupes, les sièges, la surveillance, l’estimation des distances et la puissance de l’artillerie ; et une description plus complète de ma boussole militaire…
« … en fait ma plus grande invention… », mais cela il ne l’ajouta pas, « un système qui à lui seul permet de faire tous les calculs militaires que j’ai déjà mentionnés, et de surcroît la division des lignes, d’effectuer une Règle de Trois, de convertir des monnaies, de calculer des intérêts, de réduire de manière proportionnelle des figures géométriques et des solides, d’extraire des racines carrées et cubiques, d’identifier la moyenne proportionnelle, de transformer des parallélépipèdes en cubes, de déterminer les poids relatifs des métaux et autres substances, de décrire des polygones et de diviser une circonférence en parties égales, de trouver la quadrature du cercle ou de toute autre figure géométrique classique, de retirer les batteries d’escarpes des murs – bref, c’est un calculateur universel, capable de procéder à tous les calculs que l’on veut, en dépit de quoi presque personne n’a remarqué son existence, et plus rares encore sont ceux qui en ont acheté un, si stupide est le commun des mortels ! »
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