Il déverrouilla l’armoire qui contenait les armes et signa les permis de port de neutraliseurs pour lui-même et ses subordonnés. Il soupesa un des neutraliseurs dans sa paume. C’était si léger, ce petit engin, on aurait dit un jouet. Était-ce efficace, au moins ? Pas sûr…
Bannerji réfléchit un instant, puis se tourna vers son bureau dont il ouvrit le dernier tiroir. Le revolver non déclaré était bien à l’abri dans sa boîte, fermée à clé elle aussi, le holster enroulé autour de lui comme un serpent endormi. Une fois que Bannerji l’eut fixé sous son aisselle et caché sous la veste de son uniforme, il se sentit déjà beaucoup mieux.
Il se redressa, prêt à accueillir ses hommes qui venaient prendre leur service.
Leo s’arrêta devant les portes de l’infirmerie pour rassembler son courage. Un appel au secours de Pramod l’avait dispensé, à point nommé, d’assister jusqu’au bout à l’insupportable interrogatoire de Silver. Le problème de Pramod – des niveaux de puissance fluctuants dans l’utilisation du faisceau de soudure, dus en définitive à la contamination d’une cathode par un gaz nocif – l’avait occupé un temps, mais une fois la démonstration terminée, il s’était empressé de revenir.
Et que comptes-tu faire pour elle, maintenant ? ironisa sa conscience. L’assurer de ton soutien moral, dans la mesure bien sûr où ça ne t’oblige pas à t’impliquer dans quoi que ce soit qui dérangerait ta petite tranquillité ? Quel réconfort…
En soupirant, il composa le code d’ouverture de la porte.
Silver se trouvait dans un box privé, au fond de l’infirmerie. Leo jeta un coup d’œil par la lucarne. Elle était seule, flottant dans les lanières qui la retenaient contre le mur. À la lueur des tubes fluorescents, son visage était moite et livide. Ses yeux semblaient délavés, cernés de croissants plombés. Elle tenait à la main un sac en plastique chiffonné, au cas où elle serait malade.
Pris de nausée lui-même, Leo s’assura que personne, dans le couloir, ne l’observait, ravala la boule de rage impuissante qui gonflait dans sa gorge et se glissa dans le box.
— Euh… Salut, Silver… commença-t-il avec un faible sourire. Comment te sens-tu ?
Idiot, comme question. Il s’en voulut de ses mots vides, inadéquats.
Les yeux pâles de la quaddie se posèrent sur lui. Elle parut tout d’abord ne pas le reconnaître, puis une infime lueur s’alluma dans son regard.
— Oh !… Leo. J’ai dû m’endormir. Je faisais de drôles de rêves… J’ai toujours mal au cœur.
L’effet du produit devait se dissiper. Sa voix n’était plus aussi pâteuse que pendant l’interrogatoire. Elle était encore faiblarde, mais consciente.
— Ce truc m’a fait vomir, ajouta-t-elle avec un frisson d’indignation. Et je n’avais jamais vomi avant. Jamais !
Leo avait entendu dire que, dans le petit monde de Silver, vomir constituait le summum de l’humiliation. Sans doute aurait-elle été moins embarrassée d’avoir eu à se déshabiller en public.
— Ce n’était pas ta faute, s’empressa-t-il de la rassurer.
Elle secoua la tête. Son habituelle auréole de cheveux brillants ondulait en mèches ternes.
— Je croyais que j’aurais eu la force de… Le Ninja Rouge n’a jamais avoué ses secrets à ses ennemis, lui, et pourtant ils l’ont drogué et torturé !
— Qui ? demanda Leo, interloqué.
— Le Ninja Rouge… répéta Silver d’une petite voix plaintive. Oh ! et puis, ils ont appris, pour nos livres, aussi. Cette fois, ils vont tous les trouver…
Des larmes qui ne pouvaient rouler sur ses joues s’accrochèrent à ses cils, puis s’en détachèrent pour flotter autour d’elle en gouttelettes irisées sous les lumières fluo. Ses yeux s’écarquillèrent soudain, horrifiés.
— Et en plus, M. Van Atta pense que Ti savait que Tony et Claire étaient dans sa navette. Il va le faire renvoyer ! Et il les retrouvera, là-bas, et je ne sais pas ce qu’il va leur faire. Je ne l’ai jamais vu aussi furieux…
— Mais tu leur as sûrement dit, pendant ton… interrogatoire, que Ti n’était pas au courant.
— Il n’a pas voulu le croire. Il m’a accusée de mentir.
— Mais ce serait tout à fait illogique, puisque…
Il s’interrompit de lui-même avec un soupir exaspéré.
— Non. Tu as raison. Il est bien trop borné pour être logique, ce fumier.
Silver, choquée, en resta bouche bée.
— Vous parlez de… M. Van Atta ?
— De Brucie-baby, oui. Ne me dis pas que depuis que tu le connais – ça fait quoi, onze mois ? – tu ne t’en étais pas aperçue.
— Je pensais que ça venait de moi…
Elle s’exprimait sur un ton encore geignard, mais ses yeux en revanche s’étaient éclairés comme un paysage touché par les premiers rayons du soleil levant. Surmontant son malaise, elle regarda Leo avec une attention soutenue.
— Brucie-baby ?…
— Hmm.
Une des recommandations du D rYei revint à la mémoire de Leo : Il est essentiel de maintenir une autorité unifiée et indéfectible.
— Peu importe, dit-il, éludant le sujet. En attendant tu n’as rien à te reprocher, Silver.
Elle continua à le considérer d’un œil critique.
— Vous n’avez pas peur de lui.
Ce n’était pas une question, mais une constatation. Une découverte exceptionnelle, même.
— Moi ? Peur de Van Atta ?
Il secoua la tête avec un rire bref, dénué de gaieté.
— Il ne manquerait plus que ça.
— Quand il est arrivé, au début, et qu’il a pris la place du D rCay, j’ai cru qu’il serait comme lui.
— Tu sais, on dit souvent que le faste du trône n’a d’égal que l’incompétence de celui qui l’occupe. Ton D rCay échappait à cette règle. Pas Van Atta.
Et tant pis pour les sermons de Yei…
— Tony et Claire n’auraient jamais cherché à fuir, si le D rCay était encore là, remarqua-t-elle.
De nouveau, elle plissa les yeux pour mieux l’observer.
— Vous voulez dire que toute cette histoire pourrait être la faute de M. Van Atta ?
Leo toussota.
— Votre…
Le terme esclavage lui brûlait les lèvres.
—… situation est intrinsèquement susceptible de vous exposer à des abus de toutes sortes. Étant donné que le D rCay se vouait corps et âme à votre bien-être…
— Il était comme un père, pour nous, confirma-t-elle tristement.
—… cette possibilité demeurait à l’état latent. Mais tôt ou tard, il est inévitable que quelqu’un souhaite l’exploiter… et vous exploiter. Si ce n’est pas Van Atta, ce sera quelqu’un d’autre. Quelqu’un…
De pire ? Sans doute. Il n’était pas dupe. L’histoire regorgeait d’exemples…
—… peut-être pire encore.
À son expression concentrée, il était clair que Silver essayait d’imaginer ce qui pouvait être pire que Van Atta. Sans succès. Elle secoua la tête en soupirant, puis releva les yeux vers lui. Des yeux comme des belles-de-jour tournées vers le soleil. Un sourire involontaire apparut sur les lèvres de Leo.
— Que va-t-il arriver à Claire et à Tony, à présent ? demanda-t-elle. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour ne pas les trahir, mais cette drogue m’a complètement embrouillée… C’était déjà dangereux pour eux avant, mais c’est encore pire maintenant.
Leo adopta un ton faussement rassurant :
— Il ne leur arrivera rien, Silver. Ne te laisse surtout pas influencer par les menaces de Bruce. Ils sont bien trop précieux pour GalacTech… il n’oserait pas y toucher. Il va leur passer un bon savon, c’est certain, et tu ne peux pas lui jeter la pierre pour ça. Je serais bien tenté d’en faire autant. La sécurité va les retrouver dans le spatioport – ils ne peuvent pas être allés très loin –, ils se feront bien sonner les cloches, et dans quelques semaines, on n’en parlera plus. C’est comme ça qu’on apprend les leçons de la vie…
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