Julian May - Les conquérants du Pliocène

Claude prit la batterie et s’engagea sur l’échelle suivi de Richard et de Martha qui portaient l’arme. Ils avaient préféré ne pas ôter le câble.

Madame Guderian contemplait le squelette.

— Ainsi te voilà, Lugonn le Rutilant. Toi qui est mort avant même que les aventures de tes frères d’exil aient commencé. Tu vois… Toute la vermine de la Terre a souillé et profané ta tombe… et maintenant c’est nous.

Elle secoua la tête et se détourna. Felice se précipita pour l’aider à redescendre.

— Madame, dit-elle, j’ai une idée formidable ! Je ne vous serai d’aucune utilité pour la Lance ou l’engin volant. Alors, quand on n’aura pas besoin de moi pour chasser, je nettoierai cet endroit. Je polirai cette arme. Tout sera propre et net quand nous repartirons et nous pourrons fermer l’habitacle, vous verrez.

— Oui, approuva madame Guderian. Ce serait nécessaire.

— Pour trouver le torque, en tout cas. Il doit être là, quelque part. Les Tanu ou les Firvulag n’auraient jamais osé le prendre. Je sais que je finirai par le retrouver.

Elles avaient maintenant regagné le sol et madame Guderian regarda longuement Felice. Elle était si petite, si ardente, si dangereuse.

— Peut-être, fit-elle. Peut-être… Mais si vous ne le retrouvez pas ?

— Eh bien, je devrai obliger le roi Yeochee à tenir sa promesse.

— Si vous veniez nous donner un coup de main ? lança Richard. Vous aurez tout le temps de vous occuper plus tard de votre astronaute antique. Il faut qu’on aille revoir le dernier appareil, là-bas. Essayez de porter cette Lance.

Felice souleva la batterie, nicha ses quatre-vingt kilos au creux de son bras et attendit que Claude et Richard posent la Lance sur son épaule.

— Ça ira, je crois, fit-elle. Mais je me demande comment ce malheureux a pu se servir de cette arme. Quel type ! Attendez seulement que je retrouve son torque !

Claude et Angélique Guderian échangèrent un regard avant d’aider Martha à rassembler leurs sacs. Puis ils repartirent en direction du bord du cratère, vers le Planeur Numéro Quatre.

— Nous avons eu de la chance de retrouver aussi facilement cette Lance, dit madame Guderian. Mais il y a un autre facteur qui pourrait nous obliger à ajourner l’attaque de Finiah…

— Et c’est ?… s’inquiéta Claude.

— Qui pilotera l’appareil pendant le combat ? (Par-dessus son épaule, elle jeta un coup d’œil à Richard, qui soutenait Martha.) Rappelez-vous qu’il a seulement accepté de lui faire franchir les Vosges. Si nous devons former un autre pilote pour la bataille…

Martha n’avait pas perdu une parole. Elle se tourna vers Richard, l’air interloqué. L’ex-astronavigateur eut un rire sarcastique.

— Chère madame, vous prouvez une fois encore que vous n’avez guère de dons de télépathe. Vous pensiez vraiment que j’allais rater votre petite guerre ?

Martha le serra plus fort et lui murmura quelque chose à l’oreille. Madame Guderian ne répondit rien mais, comme elle se remettait en marche, un sourire effleura ses lèvres.

— Pourtant, il y a une chose à laquelle nous devrions songer, reprit Richard après un instant. Est-ce qu’il ne faudrait pas avant tout nous consacrer à l’appareil et nous occuper plus tard de la Lance ? Je veux dire quand nous serons rentrés. Aujourd’hui, nous sommes le 22 septembre et le petit roi nous a dit que la Trêve commençait le 1 eroctobre. Ça nous laisse drôlement peu de temps s’il faut encore compter avec une semaine de mobilisation de nos chers petits monstres. Et pour vos gens, madame ? Je ne parle pas de l’entraînement avec les nouvelles armes de fer. Si nous les avons à temps. Non, il me semble que plus vite nous repartirons, plus nous aurons de temps pour nous organiser. Et au village, Martha sera soignée par Anna-Maria. Et peut-être qu’un type dans le genre de Khalid Khan pourra nous donner un coup de main pour réparer la Lance.

— N’oublie pas qu’il faut la tester auparavant, Richard, dit Martha. Et quand nous serons certains qu’elle fonctionne, il faudra encore l’installer sur le planeur et refaire des essais dans les airs. Si ce rayon est aussi puissant que je le pense, n’importe quel Tanu doué d’un microgramme de métafonction captera les échos à des centaines de kilomètres alentour.

— Oui, bon Dieu, c’est vrai. J’avais oublié ça.

— Le mieux à faire, intervint madame Guderian, c’est de remettre le planeur et la Lance en état de marche avant de quitter cet endroit. Pour ceux qui sont restés au village, je me fie à Peo. Il connaît la moindre phase du plan d’attaque de Finiah. Même s’il ne nous reste qu’un jour avant la Trêve, nous passerons quand même à l’action.

— Bon, il ne nous reste plus qu’à espérer ! lança Felice.

Elle s’élança au devant d’eux en courant. Elle fut bientôt très loin. Ils la virent agiter les bras à proximité du planeur, puis elle disparut dans les broussailles. Quand ils arrivèrent à leur tour auprès du grand oiseau de métal, ils virent la Lance posée sur une aile. Et Felice leur avait laissé un message écrit dans la poussière : JE SUIS PARTIE CHASSER.

— Chasser quoi ? se demanda Richard, avec cynisme.

Puis, accompagné de Martha, il escalada l’échelle et disparut dans l’habitacle.

Il leur fallut trois jours pour faire décoller le planeur.

Dès l’instant où Richard avait vu le premier appareil, il avait su que le système de propulsion des exotiques ne pouvait être que gravito-magnétique. Le poste de pilotage et le pont des passagers de ces oiseaux longs de trente mètres ne comportaient que de simples sièges, et non des couchettes d’accélération. Ce qui signifiait qu’ils étaient d’un système comparable à celui des vaisseaux du Milieu Galactique qui permettait l’accélération ou la décélération instantanée, sans inertie. Il semblait probable que les Exotiques avaient su capter les forces de l’univers tout comme l’avaient fait les ingénieurs du Milieu et que leurs engins avaient fonctionné comme des « tramways » magnétiques. Avec mille précautions, Richard et Martha, en se servant des outils disponibles à bord, avaient ouvert l’un après l’autre les seize modules de ce qu’ils espéraient constituer le générateur de flux. A leur grand soulagement, ils découvrirent que le liquide qui se trouvait à l’intérieur était de l’eau. Peu importait que le champ rho fût commandé par un jeu de sphères concentriques et non par des lames cristallines comme à leur époque : le principe était identique et le fonctionnement de l’ensemble devait être très similaire. Dès qu’ils auraient rempli le générateur d’aqua simplex, l’oiseau d’une autre galaxie s’envolerait à nouveau.

Claude se mit donc en devoir de monter un alambic tandis que Richard et Martha repéraient les différents circuits de l’engin. Apparemment, le système se rechargeait de lui-même dès que la pile était alimentée en eau. Richard passa une journée complète sur les contrôles et, satisfait, décida qu’il pouvait continuer seul et que Martha pouvait se consacrer à la Lance. Par mesure de sécurité, toutefois, ils déplacèrent leur camp à plusieurs kilomètres de là, en plein maquis, près d’une source qui jaillissait de la paroi du cratère, au cas où le planeur viendrait à exploser pendant les essais.

Au soir du troisième jour, quand ils se rassemblèrent autour du feu, Richard leur annonça que la machine était prête pour son premier vol d’essai.

— J’ai nettoyé la plus grande partie de la fiente et des lichens qui obstruaient les évents, dit-il. Si l’on tient compte des milliers d’années qui se sont écoulées, je dirais que le planeur est comme neuf.