— Bon Dieu, fit l’Architecte-en-chef. Rien que d’y penser… des change-formes qui nous infiltrent !
Il passa nerveusement la main dans ses rouflaquettes. Il avait l’air révolté d’un banquier qui vient de découvrir que ses clients ont mis le nez dans ses livres de compte.
— Les Firvulag pas plus que les Hurleurs n’avaient la moindre raison de nous tendre un tel piège, dit Burke. Mais à présent que nous allons lancer l’attaque, avec le fer qui n’est peut-être plus une arme tellement secrète, il faut nous attendre à d’autres tentatives. Chaque fois que des nouveaux se présenteront, il faudra leur faire subir le test. Et tous ceux qui participeront à des réunions importantes devront y passer aussi.
— Ça, ça dépend de moi, dit Uwe, qui était officiellement responsable des Chasses et de la Sécurité. Khalid, tu peux me préparer quelques aiguilles ?
— Dès que j’aurai lancé la forge, demain.
Le chef prit sa place autour de la table en compagnie des sept autres membres du Comité Directeur.
— Bien, essayons d’expédier ça aussi vite que possible pour que Khalid puisse prendre un peu de repos. En tant que Sous-directeur, je déclare ouverte cette assemblée du Comité. Problèmes en cours. Projets. Allons-y, Philémon.
— Les cabanes du Rhin sont achevées, dit l’architecte. Tout est prêt, à l’exception du refuge principal. Le dortoir des gens des Sources Cachées sera prêt d’ici à trois jours.
— Bien, fit Burke, bien… Vanda-Jo : les travaux publics.
Une femme aux cheveux couleur caramel, avec un visage de madone et une voix d’adjudant déclara :
— La piste camouflée a été achevée. Cent six kilomètres. Impossible de la deviner du haut des airs. Les deux derniers kilomètres, il a fallu les faire dans les marais… Quelle merde !
— Et les rampes ?
— On a fait des pontons. Avec des planches et des peaux gonflables. On les mettra en place au dernier moment. Pegleg et ses copains s’occupent des peaux.
— Parfait. Chasses et Sécurité ?
— Rien de bien nouveau, fit Uwe. La plupart de mes gars travaillent avec Vanda-Jo ou Phil. Je suis entré en contact avec le commissaire du Haut Vrazel pour qu’il nous fournisse les denrées et le gibier dès que le surplus de population arrivera. On a également mis au point un système pour que les nouveaux soient testés ici, aux Sources Cachées, avant d’être dirigés sur le fleuve.
— Ça me semble parfait. Habillement, fournitures.
Le vieux Kawai retroussa ses lèvres fendillées.
— Impossible d’avoir terminé cent chapeaux et plastrons de cuir bouilli dans les délais fixés. Vous savez que cela prend du temps pour mettre en forme et sécher ce genre de matériau, même avec les formes remplies de sable chaud. Si vous ne voulez pas que les nôtres soient lésés, je crains que les volontaires n’aillent cul nu pour la plupart. J’ai fait de mon mieux, mais je ne suis pas un sorcier.
— Oui, impossible de pallier le déficit, dit Burke d’un ton conciliant. Et les filets de camouflage ?
— Le plus grand sera mis en place demain, au cas où ils reviendraient un peu plus tôt avec l’engin exotique. (Le vieillard eut un regard anxieux.) Peo, vous pensez réellement qu’ils ont une chance ?
— Pas vraiment. Mais nous ne devons pas perdre espoir. Jusqu’à la dernière minute… Secours ?
— Les pansements sont prêts, déclara Anna-Maria. Nous constituons des stocks d’huile et d’alcool et tout le sérum disponible. Quinze combattants ont reçu une formation rapide de médecin. Mais j’aimerais que vous me permettiez de les accompagner, Peo. Pour l’amour de Dieu, où serai-je plus utile que dans une bataille ?
— Vous êtes notre seul docteur. Peut-être le seul qui soit chez les Moins-que-rien. Nous ne pouvons pas courir le risque de vous perdre, Anna-Maria. Il faut penser à l’avenir. Si nous réussissons à libérer Finiah, nous pourrons peut-être récupérer quelques médecins, quand ils n’auront plus leur torque. Si nous échouons et que les troupes soient obligées de retraverser le Rhin pour revenir sur nos bases… Il s’écoulera pas mal de temps avant la prochaine guerre. Non, il faut que vous restiez ici.
Anna-Maria soupira.
— L’industrie, enchaîna Burke.
— Nous avons ramené deux cent vingt kilos de fer, dit Khalid. Et nous avons perdu quatre hommes. Mais il nous reste encore suffisamment de gens expérimentés pour commencer la fabrication des armes… dès que nous aurons pris un peu de repos.
De graves murmures de félicitation coururent dans l’assistance.
— Intendance, dit Burke.
— Nous avons en stock de quoi nourrir cinq cents personnes pendant deux semaines, dit Marialena. Sans compter les cinq tonnes de rations qui doivent être distribuées aux combattants qui vont bivouaquer. Vous avez donné l’ordre ne ne pas allumer de feu dans la vallée du Rhin à cause des Tanu. (Elle prit un mouchoir dans la manche de sa robe rose et jaune et s’épongea le front.) Ces pauvres malheureux vont maudire le pemmican et les pousses de joncs fumées…
— Ils auront de la chance s’ils ont encore la force de maudire quoi que ce soit, fit Burke. Bon, maintenent, c’est à moi, en tant que chef de guerre. Pallol, le général Firvulag, m’a fait savoir que ses forces seront opérationnelles pour les trois derniers jours de septembre. Dans des conditions optimales, nous devrions pouvoir monter l’opération avant l’aube du vingt-neuf, ce qui nous donne près de deux jours avant la Trêve.
» Ensuite, nous serons seuls – livrés à nous-mêmes. Et nous passerons à Finiah. Nous tiendrons un conseil de guerre dans quelque temps et j’aurai plus de détails sur notre plan d’attaque. D’accord ? Passons à d’autres sujets. Pour l’espion Hurleur, je pense que tous le monde est au courant.
— A propos de la fabrication des armes de fer, dit Khalid. Mes hommes sont en train d’isoler une des grottes pour la transformer en forge. Mais je vais avoir besoin des gens de Phil.
— Oui. D’autres questions ?
— Un supplément de boisson alcoolisée sera nécessaire, dit Marialena. Hydromel ou bière Firvulag. Je ne tiens pas à ce que nos joyeux volontaires sifflent tous nos vins jeunes.
Burke pouffa de rire.
— Non, pas question… Uwe, tu peux en parler aux gens du Haut Vrazel ?
— D’accord.
— Pas d’autres questions ?
Anna-Maria demanda d’un ton hésitant :
— Il est peut-être trop tôt pour en parler mais… il y a la seconde phase du plan de madame Guderian.
— Ah ! s’exclama le vieux Kawai. Si nous prenons Finiah, elle veut expédier immédiatement d’autres hommes dans le sud !
— Nous aurons déjà beaucoup de mal à réaliser la première phase, dit Philémon, mal à l’aise. Et encore plus la seconde. C’est à elle de s’occuper de cela quand elle reviendra. C’est elle qui a mis tout ça sur pied. Elle et cette espèce de sauvageonne, cette Felice… Peut-être qu’elles auront une idée nouvelle quand elles reviendront.
— Tout ça, c’est du bavardage, gronda Marialena. Il faut tenir compte des phases ultérieures, même si vous cherchez tous à fuir vos responsabilités. Comment voulez-vous que nos hommes partent vers le sud sans provisions ? Il faut bien que je fasse mon possible, non ?
— Merci, querida, dit Burke d’un ton apaisant. Demain, il faudra que nous voyions tous les deux s’il est possible de diviser les rations. Mais je pense que c’est tout ce que nous pouvons faire pour l’instant en ce qui concerne les phases Deux et Trois. Il y a trop de facteurs inconnus…
— Par exemple, comment savoir qui va survivre à l’attaque de Finiah ! lança le vieux Kawai. Ou même si elle aura lieu !
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