— Sans parler de la Chasse, ajouta Pegleg. Quelques-uns des nôtres ont été pris. Guider les humains n’est pas de tout repos.
— A quarante ou cinquante kilomètres à l’est de la Forêt Noire, poursuivit madame Guderian, commencent les Alpes Souabes, qui font partie du Jura. On dit qu’elles sont pleines de cavernes habitées par des hyènes monstrueuses. Les plus rusés des Firvulag n’osent pas se risquer dans ce territoire, mais on dit aussi que d’affreux mutants mènent une existence précaire dans des vallées isolées. Pourtant, c’est probablement dans ce territoire hostile que se trouve la Tombe du Vaisseau. Ainsi que les machines volantes et peut-être quantités d’autres trésors.
— Est-il possible que nous trouvions des armes sur ces machines ? demanda Felice.
— Une seulement, dit Fitharn. La Lance. Mais elle vous suffirait largement, si vous réussissiez à vous en emparer.
— Mais je pensais, intervint Richard d’un air concentré, que cette… cette Lance, était la propriété du nommé Lugonn… puisque c’est lui qui a gagné le combat.
— Le privilège qui revient au vainqueur, dit madame Guderian, est de se sacrifier. Lugonn, le Héros Brillant des Tanu, a ôté son casque d’or et a retourné la Lance contre ses yeux. Son corps devrait donc se trouver dans le cratère, avec l’arme.
— Et qu’est-ce que nous pourrions bien tirer de cette fameuse Lance ?
— Ce n’est pas une arme telle que vous pouvez la concevoir, dit Fitharn d’une voix très douce. Non plus que l’Epée de notre héros, Sharn l’Atroce, que l’obscène Nodonn garda entre ses serres de voleur à Goriah durant quarante années.
— Des armes photoniques, dit madame Guderian. Les seules que les exotiques aient amenées avec eux de leur lointaine galaxie. Elles étaient réservées à leurs grands héros, sans doute pour défendre le Vaisseau ou pour leurs plus nobles combats.
— A présent, ajouta le chef Burke, l’Epée joue le rôle de trophée dans le Grand Combat. Nodonn la détient parce que les Tanu ont été vainqueurs durant quarante années consécutives. Inutile de dire qu’il y a peu de chances pour que nous mettions la main dessus. Mais pour la Lance, le problème est différent.
Richard faillit cracher de dépit.
— Merde ! Alors pour que le plan de madame Guderian réussisse, tout ce que nous avons à faire c’est chercher à l’aveuglette à travers deux ou trois mille kilomètres carrés infestés de démons dévoreurs d’hommes et de hyènes géantes pour trouver un vieux rayon de la mort. Peut-être qu’il est dans la main d’un squelette de Tanu, non ?
— Et autour du cou, dit Felice, il a un torque d’or.
— Nous trouverons la Tombe du Vaisseau, dit madame Guderian avec assurance. Nous chercherons.
Claude se remit sur pied avec quelque difficulté, marcha jusqu’au tas de bois et prit une brassée pour alimenter le foyer. Un nuage d’étincelles monta vers les hauteurs de l’Arbre.
— Je ne pense pas que nous chercherons à l’aveuglette, dit-il d’une voix calme.
Tous le regardèrent.
— Parce que vous savez où se trouve ce cratère ? demanda le chef Burke.
— Je sais où il doit se trouver. Un seul site en Europe correspond à la description. Le Ries. [3] Le Ries, en Allemagne moyenne, est une dépression, vraisemblablement d’origine volcanique, au nord de la ville de Nôrdlingen, qui constitue une région à haute vocation agricole entre le Jura Souabe et le Jura Franconien. (N.d.T.)
L’homme à la pipe de bruyère se frappa brusquement le front en s’exclamant :
— Das Rieskessel bei Nôdlingen ! Natürlich ! Quelle bande de crétins nous faisons ! Hansi ! Gert ! On nous a appris ça à l’école maternelle !
— Mais oui, bon Dieu ! lança une voix dans l’ombre.
Et une troisième renchérit :
— Mais, Uwe, rappelle-toi : quand nous étions gosses, on nous disait que c’était peut-être un météore qui avait creusé le Ries !
— La Tombe du Vaisseau ! cria une femme. Alors, si ce n’est pas une légende, nous avons une chance de réussir ! Nous pourrons peut-être libérer l’humanité et balayer ces salopards !
Des exclamations enthousiastes s’élevèrent dans tous le Refuge.
— Silence, pour l’amour de Dieu ! fit madame Guderian.
Elle croisa les mains sur sa poitrine comme si elle allait prier et interrogea Claude :
— Vous en êtes certain ? Vous affirmez que ce… ce Ries peut être la Tombe du Vaisseau ?
Le vieux paléontologue prit une branche sur la pile de bois et traça une colonne de X dans la poussière.
— Ça, ce sont les Vosges. Nous sommes sur le versant ouest, à peu près ici, dit-il. (Il traça une ligne parallèle à la colonne de X.) Là, c’est le Rhin. Son cours est à peu près sud-nord. Il suit une large vallée et Finiah se trouve ici, sur la rive est. (Il dessina d’autres X au-delà de la cité Tanu.) Le massif de la Forêt Noire, orienté sud-nord, plus ou moins comme les Vosges. Géologiquement identique. Et plus loin, incliné vers le nord-est, le Jura Souabe. Cette ligne que je trace maintenant, c’est le Danube. Il coule vers l’est, vers le Lagon Pannonien, en Hongrie, qui doit se trouver… disons sous la pile de bois, là. Et ici, exactement…
A présent, tous étaient debout et retenaient leur souffle.
» … le Ries. A quelques kilomètres au nord du Danube, près du site de la future ville de Nördlingen, à trois cents kilomètres environ à l’est. Et je suis sûr que c’est la Tombe du Vaisseau. C’est un cratère qui doit bien mesurer vingt-cinq kilomètres de diamètre. Le plus grand d’Europe.
Les Moins-que-rien de l’Arbre, maintenant, manifestaient leur joie. Ils se rassemblèrent autour de Claude et les chopes furent remplies. Quelqu’un se mit à jouer un air de flûte entraînant. On riait, on dansait. Cette journée qui avait commencé sous le signe de la menace et de la fuite s’achevait en liesse, avec l’espoir.
Madame Guderian se pencha pour murmurer quelques mots à l’oreille du chef Burke qui attira discrètement les membres du Groupe Vert dans un recoin d’ombre dense.
— Il pourrait être possible, dit madame Guderian, à l’extrême limite, de réaliser notre plan cette année-même. Mais il faut que nous nous mettions en marche sans perdre de temps. Peo, il faut que tu prennes la tête. Et je dois aller avec vous pour repousser les Hurleurs. Quant à vous, Claude, nous aurons besoin de vous pour trouver le cratère. Et Felice nous sera absolument indispensable pour les animaux sauvages. C’est une coercitive absolue. Richard devra également se joindre à nous s’il faut piloter une de ces machines volantes, si tant est qu’elles soient encore opérationnelles. Nous aurons aussi besoin de Martha. C’est un ingénieur hautement qualifié et elle pourra nous aider à comprendre le mode de fonctionnement des appareils exotiques et les réparer. Stefanko était spécialiste des transports par œuf. Il pourra assister Richard en cas d’urgence et même piloter un de ces engins.
— Sept personnes, dit le chef Burke. Deux sont âgées et Martha n’est pas particulièrement forte. Ça n’ira pas, madame. Pour la force, ils ne sont pas assez, et pour la vitesse, ils sont trop. Même avec les muscles de Felice et les miens, ça sera un dur voyage.
— Je veux qu’Anna-Maria vienne avec nous, dit Felice. Nous pourrons avoir besoin d’un docteur.
La nonne haussa son épaule valide et dit d’un ton hésitant :
— Moi, je veux bien, mais je pense que je serai plus une charge qu’autre chose.
— Il est hors de question que vous nous accompagniez, ma sœur, dit madame Guderian en foudroyant Felice du regard. Vous ferez du meilleur travail en demeurant ici. Vous aurez le temps de récupérer et vous apporterez à nos gens le secours moral dont ils ont besoin. De plus, ils ont besoin de vos soins : nous avons des fractures mal ressoudées, des affections dues à des moisissures ou à des parasites intestinaux. Quand nous serons sortis de cette mauvaise passe, Uwe Guldenzopf et Tanadori Kawai vous conduiront à notre village des Sources Cachées, au nord-ouest. Nous partagerons la même maison et les gens viendront vous rendre visite.
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