Elle secouait la tête comme si elle n’en croyait pas ses oreilles. Même Fassin, qui avait perdu tout intérêt pour la chose militaire et les créatures exotiques depuis la puberté, avait entendu parler des Voehns. Les médias les décrivaient habituellement comme des légendes vivantes, des guerriers quasi mythiques, mais ils restaient en dessous de la vérité. De fait, il s’agissait des troupes d’élite, de la garde personnelle des nouveaux maîtres de la galaxie.
Les Voehns étaient des supersoldats impitoyables, à l’intelligence supérieure, ultra-compétents, quasi indestructibles, à l’aise dans tous les environnements. Cela faisait neuf mille ans que cela durait. Ils étaient les icônes martiales de cet Âge, le symbole ultime de la perfection militaire. Toutefois, ils étaient rares et souvent solitaires. Là où étaient les nouveaux maîtres, la Culmina, on trouvait également les Voehns. En revanche, on les voyait rarement ailleurs, et – d’après ce qu’en savait Fassin – on ne les avait jamais aperçus sur Sepekte, la principale planète du système Ulubis, et encore moins près de Nasqueron ou sur une lune aussi insignifiante que ’glantine. Alors pourquoi deux d’entre eux seraient-ils venus y mourir ?
Évidemment, l’évocation des Voehns résonnait d’une manière particulière dans l’oreille des humains, qu’ils soient pHumains ou aHumains. D’ailleurs, s’il existait deux types d’humain, c’était à cause de l’intervention d’un seul vaisseau voehn, huit mille ans plus tôt.
— Oui, des Voehns, répéta Sal en défiant Taince du regard. Des restes de Voehns. C’est ce que dit la rumeur.
La jeune femme plissa les yeux et se redressa fièrement dans son treillis.
— Eh bien, c’est une rumeur qui n’est pas parvenue jusqu’à moi.
— Certes, reprit Sal, mais tu sais, mes contacts se trouvent quelques étages au-dessus des vestiaires des simples soldats.
Fassin avala sa salive et se dépêcha d’intervenir avant Taince.
— Je croyais qu’ils avaient tous été cramés là-dedans. Réduits en bouillie, en gaz.
— C’est effectivement le cas, répondit Taince entre ses dents serrées, en s’adressant exclusivement à lui.
— Ouais, c’est vrai, confirma Sal. Mais les Voehns sont très résistants, pas vrai Tain ?
— Tu m’étonnes, répondit celle-ci d’un ton neutre et calme. Sacrément résistants, même.
— Il faut y aller fort pour en tuer un, alors pour le réduire en bouillie…, continua Sal sans tenir compte de la remarque cassante de la jeune femme.
— Oui, il est de notoriété publique qu’il est quasiment impossible d’en venir à bout, et que les joujoux de leurs ennemis ne peuvent rien contre eux, dit froidement Taince.
Fassin avait l’impression de l’entendre réciter sa leçon. On racontait çà et là qu’elle et Sal formaient un genre de couple, ou en tout cas qu’ils baisaient de temps en temps. Toutefois, ce dernier aspect de leur relation – s’il existait réellement – paraissait sérieusement mis en péril. Fassin chercha Ilen des yeux pour voir ce qu’elle en pensait.
Elle n’était plus là, de l’autre côté de leur navette. Il fit un tour sur lui-même, mais ne la vit nulle part.
— Ilen ? appela-t-il. Où est Ilen ? demanda-t-il aux deux autres.
Sal tapota son implant auriculaire.
— Ilen ? Eh, Len !
Fassin scruta les ténèbres. Il bénéficiait d’une vision nocturne plutôt correcte, mais la lumière des étoiles était réduite au minimum, et les projecteurs de la navette mis en veille ; il n’y avait pas grand-chose à intensifier. Les infrarouges ne lui révélèrent rien du tout, pas même des traces de pas sur le point de disparaître sur le sol constitué d’un étrange matériau.
— Ilen ? répéta Sal avant de se retourner vers Taince, qui scannait également les alentours. Je n’y vois absolument rien, et mon téléphone est HS, lui dit-il. Tu obtiens de meilleurs résultats ?
Taince secoua la tête.
— J’ai eu ces yeux en quatrième année.
Merde. Fassin se demanda si quelqu’un avait une torche. Probablement pas. Peu de gens s’encombraient de ce genre d’objet de nos jours. Il vérifia son implant auriculaire – il ne marchait pas non plus. Il ne captait même pas le réseau local. Putain, putain, putain. Cette histoire avait été racontée un nombre incalculable de fois, et ce, depuis la nuit des temps. Trois gamins font une virée avec le chariot de papa et, juste avant la tombée de la nuit, perdent une roue devant la grotte d’un homme de Neandertal. Enfin, un truc de ce genre. Alors, ils s’aventurent dans les ténèbres et se font zigouiller un à un.
— Je vais rallumer les phares de la navette, dit Sal en se penchant dans l’habitacle. Si cela ne suffit pas, on n’a qu’à décoller et…
— ILEN ! hurla Taince à s’en déchirer les poumons.
Fassin sursauta. Avec un peu de chance, cela passerait inaperçu.
— … Par ici, fit la voix d’Ilen, lointaine, venant des profondeurs du vaisseau.
— Elle se balade ! cria Sal dans la direction d’où était venue la voix. C’est une mauvaise idée ! C’est même une très, très mauvaise idée ! Je te suggère de revenir immédiatement ici !
— Alors, on pisse dans sa culotte ? répliqua la voix. C’est le syndrome de la vessie qui lâche au dernier moment ? Toi parler mieux, sinon Ilen dire à Tain de crever les yeux à toi !
Taince sourit. Fassin se retourna et rit sous cape. Parfois, quand on s’y attendait le moins, Ilen surprenait tout le monde en faisant preuve d’humour. Dans ces cas-là, une brûlure familière se réveillait dans les tripes de Fassin. Pourvu que je ne tombe pas amoureux d’elle , se dit-il. Je ne pourrai pas le supporter.
Sal rit. Sa vision IR venait de lui révéler un genre de créature rouge, vaguement bâtie comme Ilen, à cinquante mètres de là, sur le sol déformé, pareil à une modeste colline.
— Par ici. Elle va bien, dit-il, comme s’il l’avait secourue personnellement.
Ilen les rejoignit en souriant et en clignant des yeux dans la lumière douce des phares. Ses cheveux brillaient d’un éclat doré.
— Salut, fit-elle en souriant de toutes ses dents.
— Bienvenue parmi nous, lui dit Sal en sortant un paquet de la soute de l’appareil et en le rejetant sur son dos.
Taince fixa le paquet puis regarda Sal de travers.
— Putain, mais qu’est-ce que tu fais ?
— Je vais jeter un coup d’œil dans le coin, répondit-il, l’air innocent. Tu peux venir avec moi, si…
— Tu parles que tu vas jeter un coup d’œil dans les parages, comme tu dis.
— Tain, mon enfant, je n’ai pas besoin de ta permission.
— Putain, je ne suis pas ton enfant et, ouais, tu dois me demander la permission.
— Tu pourrais jurer un peu moins. Tu n’as vraiment pas besoin de nous faire l’étalage de tes manières militaires récemment acquises.
— On reste ici, reprit-elle d’un ton calme et froid. Près de la navette. On ne va sûrement pas se balader dans la carcasse d’un vaisseau inconnu, interdit , au beau milieu de la nuit, alors qu’un appareil ennemi tourne au-dessus de nos têtes.
— Et pourquoi pas ? protesta Sal. En plus, l’appareil ennemi doit déjà être de l’autre côté de la planète. Si ça se trouve, il a même été détruit. Et puis, si ce vaisseau, satellite de combat ou que sais-je, était capable de voir à travers la coque de l’épave – ce dont je doute fortement –, il tirerait sur notre navette et pas sur les empreintes thermiques de quelques humains. En résumé : on sera plus en sécurité loin de la navette.
— Tu vas rester à côté de cet appareil, dit Taince, la mâchoire serrée.
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