— Pendant combien de temps ? demanda Sal. Tu sais combien de temps durent ces raids, ces attaques surprises ?
La jeune femme le toisa sans rien dire.
— En moyenne, reprit-il, elles durent une demi-journée. Une nuit, dans le cas qui nous intéresse. En attendant, on se trouve dans un endroit où on n’est pas supposé être – tu noteras d’ailleurs que ce n’est pas notre faute –, et on a du temps à tuer, alors pourquoi se priverait-on de faire un petit tour ?
— Parce que c’est interdit, rétorqua Taince. Voilà pourquoi.
Fassin et Ilen échangèrent un regard à la fois inquiet et amusé.
— Taince ! insista Sal en agitant les bras. Il faut prendre des risques dans la vie. C’est amusant. Allez, viens !
— Tu vas rester près de la navette, répéta Taince, l’œil noir.
— Tu ne peux pas sortir des sentiers balisés deux secondes ? demanda Sal, l’air véritablement ennuyé, en cherchant les deux autres du regard. Si cet endroit est interdit, c’est uniquement à cause de bureaucrates autoritaires et paranoïaques. C’est de la connerie de marquage militaire de merde. Voilà ! Il n’y a pas d’autre raison.
— Ils savent peut-être des choses que nous ignorons, dit Taince.
— Cesse de te moquer de moi, c’est ce qu’ils disent toujours !
— Bon, tu notais toi-même qu’il y avait un risque pour que les systèmes de la navette soient pris pour cibles par des forces hostiles. Je me porte donc volontaire pour sortir toutes les heures afin d’essayer de trouver un endroit où les téléphones seraient susceptibles de fonctionner. À condition bien sûr que les satellites de subversion aient été neutralisés d’ici là.
— Pas de problème, répondit Sal en fouillant dans la soute de la navette. Fais ce que tu veux. Moi, je vais visiter un artefact fascinant fabriqué par une espèce inconnue – c’est une chance qui ne se présente qu’une fois dans la vie. Si tu m’entends hurler, ne t’en fais pas, je serai juste en train de tomber dans les griffes, les ventouses ou… les becs d’un monstre de l’espace sanguinaire. Un monstre que toutes les équipes scientifiques qui ont visité ce vaisseau auraient manqué, et qui aurait choisi ce moment précis pour se réveiller affamé après un sommeil long de sept mille ans.
Taince inspira profondément, s’éloigna de la navette et dit :
— Eh bien, je crois que nous sommes dans une situation d’urgence.
Elle mit la main dans une des poches de son pantalon noir et en sortit un petit appareil gris. Sal la regardait, incrédule.
— Qu’est-ce que c’est que ce truc ? Un flingue ? Tu n’as quand même pas l’intention de me tirer dessus, Taince ?
Elle secoua la tête et appuya sur un bouton situé sur le côté de l’appareil. Il y eut une pause, puis Taince fronça les sourcils et regarda l’engin de plus près.
— En fait, pour l’instant, je n’ai même pas l’intention de te dénoncer à la Garde. Pour l’instant…
Sal se détendit un peu, mais pas suffisamment pour se remettre à fouiller tranquillement dans la navette. Taince secoua à nouveau la tête et scruta le vaste espace caverneux de l’épave. Alors, elle leva son petit appareil et le montra aux autres.
— Ce petit bijou, dit-elle, devrait être capable de me guider n’importe où sur la surface de cette planète, sauf que là, il semble complètement perdu.
Elle paraissait plus étonnée qu’embarrassée ou en colère, se dit Fassin. (Dans des circonstances similaires, lui aurait été mortifié, et ne serait pas parvenu à cacher ses sentiments.) Taince hocha la tête en regardant vers le haut.
— Impressionnant, lâcha-t-elle avant de réessayer de faire fonctionner son appareil.
Sal se racla la gorge.
— Taince, dis-moi, tu as une arme sur toi ? C’est juste que moi j’en ai une dans cette soute, et comme, à l’instant, tu avais l’air d’humeur à tirer sur tout ce qui bouge…
— Oui, je suis armée, répondit-elle. Mais je te promets de ne pas te descendre, ajouta-t-elle avec un sourire volontairement faux. Rassure-toi, je ne compte pas t’empêcher de faire ta randonnée dans les entrailles de cette chose. Tu es un grand garçon, maintenant. Ce sera ta responsabilité.
— Ah, enfin ! dit Sal, satisfait, en sortant de la soute un pistolet CR à l’allure dangereuse et en l’accrochant à sa ceinture. Il y a de la nourriture, de l’eau, des duvets et des vêtements dans la soute arrière.
Il fixa quelques patchs lumineux à ses épaules.
— Je devrais être de retour vers le lever du jour, reprit-il en tapotant son implant auriculaire. Ouais, mon horloge interne fonctionne toujours. Bon, si ça se trouve, il n’y a rien à voir, et je serai de retour dans un peu plus d’une heure, ajouta-t-il en dévisageant les autres. Alors, personne ne vient avec moi ?
Ses compagnons le fixèrent sans rien dire. Fassin et Ilen échangèrent un regard furtif.
— Très bien. Surtout, ne veillez pas trop tard.
Et de tourner les talons.
— Tu me parais très bien préparé…, dit Taince avec calme.
Sal hésita, se retourna, la bouche ouverte. Il regarda successivement Fassin, Ilen puis Taince avec des yeux ronds. Il fit de grands gestes en direction de la coque percée du vaisseau, de l’espace, et secoua vigoureusement la tête, ostensiblement incrédule.
— Taince, Taince ! s’exclama-t-il en se passant la main dans les cheveux, qu’il avait épais et noirs. Il faut forcément être parano et suspicieux pour entrer dans l’armée ?
— La compagnie de ton père fabrique nos vaisseaux de guerre, Saluus, lui dit-elle. La prudence est une stratégie de survie, cependant…
— Arrête un peu, Taince, l’interrompit-il en prenant un air outré. Putain, merde, je veux dire…, bafouilla-t-il en désignant son sac à dos, exaspéré. C’est pas vrai ! Si je n’avais pas fait en sorte que la navette soit équipée correctement avant de partir, tu m’aurais sauté à la gorge ! Heureusement, j’avais pensé à tout.
Taince le regarda longuement, silencieuse, sans laisser transparaître la moindre émotion.
— Fais attention à toi, finit-elle par dire.
Sal se détendit et acquiesça de la tête.
— Toi aussi. À bientôt, ajouta-t-il en échangeant un regard avec le reste de la bande. Je ne vous oublierai jamais !
Il leur fit un signe de la main et commença à s’éloigner.
— Eh ! Attends une seconde, appela Ilen.
Sal se retourna. Ilen prit son sac dans la navette.
— Je viens avec toi.
Fassin écarquilla les yeux, horrifié.
— Quoi ? demanda-t-il d’une voix faible de petit garçon, que personne n’entendit. Heureusement, d’ailleurs. Taince, elle, ne dit rien. Sal souriait.
— Tu es sûre ?
— Si cela ne te dérange pas, répondit la jeune femme.
— Pas de problème, fit-il d’un ton posé.
— Tu es certain que cela ne te dérange pas ?
— Mais oui, je t’assure.
— De toute façon, c’est dangereux d’explorer des terrains incertains quand on est seul, pas vrai ? demanda Ilen en regardant Taince, qui hocha la tête. Bon, prenez soin de vous.
Ilen embrassa Fassin sur la joue, fit un clin d’œil à Taince et emboîta le pas de Sal. Ils leur firent signe une dernière fois et s’éloignèrent. Fassin regarda leurs empreintes de pas en mode infrarouge. Chaque foulée semblait effacer la précédente. Elles disparaissaient si vite…
— Je ne comprendrai jamais cette fille, commenta Taince d’une voix neutre en croisant le regard de Fassin. Je te suggère de piquer un somme, reprit-elle en désignant la navette du menton.
Elle serra son nez entre son pouce et son index, puis inspecta ses doigts.
— Je te réveillerai avant de retourner vers notre point d’entrée pour tenter de capter un signal.
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