— Mais ce n’est pas possible, commenta Verpych en poussant le jeune homme de l’autre côté de la porte, dans une salle à la chaleur étouffante, pleine de techniciens et inclinée à la façon d’un petit théâtre.
Il y avait là des dizaines de boîtiers contenant des machines compliquées ; des câbles jaillissaient du plafond, serpentaient sur le sol et disparaissaient dans des conduits muraux. Cet endroit sentait l’huile, puait le plastique et la sueur. Verpych s’arrêta au fond de la salle, à son point le plus élevé, et regarda les hommes s’affairer, secouant la tête de dépit lorsque deux d’entre eux entrèrent en collision en faisant tomber les câbles qu’ils transportaient.
— Et pourquoi pas ? demanda Fassin. Olmey n’est pas loin. J’aurais aimé qu’oncle Slovius fût également en mesure d’y aller avec moi.
— Ce ne sera pas possible non plus. Vous, et vous seul, devrez parler à cette chose.
— Vous voulez dire que je n’ai pas le choix ?
— Exactement, répondit le Majordome avant de se retourner vers les techniciens affairés.
L’un d’entre eux – un chef d’équipe – se tenait à deux mètres de là et attendait le bon moment pour prendre la parole.
— Mais pourquoi pas ? insista Fassin, en se rendant immédiatement compte qu’il avait une voix de petit garçon capricieux.
— Je ne sais pas, dit Verpych en secouant la tête. Tout ce que je puis dire, c’est qu’il n’y a aucune raison purement technique à cela. Peut-être les sujets que vous évoquerez ne sont-ils pas destinés à être entendus par d’autres oreilles que les vôtres… Maître Technicien Imming, reprit-il joyeusement, récompensant la patience de l’homme. Dites-moi tout. Les machines de la Maison ont rouillé et ne forment plus qu’une masse compacte et inutilisable ? Elles ont toutes été réduites en cendres durant la nuit ? À moins qu’elles soient devenues intelligentes et qu’il faille attaquer la Maison, le Sept, voire la planète tout entière à coups de têtes à fusion nucléaire pour s’en débarrasser ?
— Monsieur, nous avons rencontré plusieurs problèmes, répondit lentement le technicien en regardant tour à tour Fassin et Verpych.
— J’espère que votre prochaine phrase commencera par un « mais » ou un « néanmoins ». Je pense qu’il ne faut pas trop compter sur un « heureusement », ajouta-t-il à l’attention de Fassin.
Le technicien continua.
— Grâce aux efforts considérables que nous avons fournis, nous pensons que la situation est maîtrisée. Normalement, nous devrions être prêts pour l’heure prévue, monsieur.
— Nous avons la capacité d’absorber tout ce qui sera émis ?
— Tout juste, monsieur. Nous avons pris la liberté de faire venir des pièces de rechange de notre système auxiliaire, ajouta Imming en désignant d’un geste de la main une palette qui franchissait la large porte.
— Savons-nous quelque chose du sujet qui sera contenu dans le signal ?
— Non, monsieur. Il restera codé jusqu’à son activation.
— Il n’y a aucun moyen de le deviner avant ?
— Je crains que non, monsieur, répondit Imming, l’air peiné.
— Mais nous pourrions essayer ?
— Ce serait presque impossible, vu le peu de temps qu’il nous reste, Majordome. Et puis, ce serait illégal et peut-être même dangereux.
— Le Voyant Taak se demande à quoi il va devoir faire face. Vous n’avez aucun indice à lui donner ?
Le Maître Technicien Imming s’inclina légèrement devant Fassin.
— Aucun, j’en ai peur, monsieur. J’aurais aimé qu’il en fût autrement.
— Apparemment, nous ne pouvons rien faire pour vous, dit Verpych à Fassin. Je suis vraiment désolé.
* * *
— À qui appartenait ce machin ? demanda Ilen à voix basse, le regard perdu dans les ombres qui les enveloppaient. Par qui était-il piloté ?
Ils avaient pénétré le flanc gauche déchiré du vaisseau, volaient dans sa cage thoracique massive, entre ses côtes gigantesques et gauchies, à travers lesquelles on apercevait le ciel. Les portions de coque qu’elles soutenaient autrefois avaient été vaporisées, réduites à l’état de nuages de molécules et d’atomes quelque sept millénaires plus tôt. Sal laissa leur appareil glisser sur quatre cents mètres dans la partie avant intacte du vaisseau, prenant progressivement de l’altitude pour suivre les contours des ponts affaissés, tordus, passant par-dessus les cloisons effondrées. Au-dessus de leurs têtes, on ne voyait plus qu’un minuscule éclat de ciel violet. Ils se sentaient à l’abri, protégés des attaques de l’appareil – probablement des Dissidents – qui, semblait-il, avait récemment sévi dans les parages.
Sal posa leur engin dans un creux, sur une surface noircie et légèrement ondulée, derrière ce qui ressemblait aux restes chiffonnés d’une paroi. Cinquante mètres devant eux, la voie était barrée par des lambeaux de matériaux iridescents, un genre de coulure tordue et glacée. Saluus s’était demandé à voix haute s’il ne pourrait pas se faufiler entre ces débris suspendus, mais les autres l’en avaient dissuadé.
La radio de leur navette – déjà difficilement utilisable aux alentours du cratère – s’était complètement tue dès qu’ils avaient pénétré la coque de la titanesque carcasse. Dire qu’elle était supposée pouvoir attirer des signaux à travers des dizaines de kilomètres de roche. C’était étrange. À l’intérieur de la caverne artificielle, l’atmosphère était froide et ne sentait rien. Bizarrement, leurs voix ne résonnaient pas dans cet espace pourtant vaste, ce qui était plutôt déstabilisant. Il n’y avait aucun écho, et les bruits sonnaient creux. L’éclairage intérieur et extérieur de la navette produisait une minuscule tache de lumière, qui accentuait encore leur insignifiance.
— On ne connaît pas véritablement son origine, dit Saluus à voix basse en se tordant le cou pour voir la structure incurvée du plafond, située à plus de trois cents mètres au-dessus du plancher et pourtant visible dans le crépuscule. Officiellement, on considère que le vaisseau appartenait aux Sceuris – ils ont d’ailleurs envoyé une équipe de fossoyeurs de guerre pour le nettoyer –, mais il est fortement probable qu’ils l’aient réquisitionné ou bien pris à leurs adversaires. En tout cas, on sait que son équipage était très hétéroclite, bien que principalement composé de nageurs, de créatures venues de mondes liquides. Peut-être s’agissait-il d’un vaisseau oerileithe. Sa structure est semblable à celles dessinées par les habitants – avec un petit h. En tout cas, c’était certainement un vaisseau de guerre.
Taince renifla. Sal se tourna vers elle.
— Oui ?
— Ce qui est certain, c’est que ce n’est pas un vaisseau-aiguille.
— Est-ce que j’ai dit le contraire ? demanda Sal.
— Plutôt grosse, comme aiguille, intervint Fassin en pivotant sur ses talons pour suivre la courbe descendante du vaisseau, dont le nez, partiellement enfoncé dans le sol, se trouvait à plus d’un kilomètre de là, dans les ténèbres.
— Ce n’est pas un vaisseau-aiguille ! protesta Sal. Je n’ai jamais dit que c’en était un.
— Tes explications ne sont vraiment pas très claires, reprit Taince. On s’y perd.
— Bon ! peu importe, dit Sal en ignorant cette dernière remarque. Une rumeur dit qu’on a trouvé des Voehns là-dedans. Intéressant, n’est-ce pas ?
— Des Voehns ? fit Taince en éclatant de rire. Des cadavres de Voehns ?
Il y avait du mépris dans sa voix. Elle souriait, ce qui n’arrivait pas tous les jours. Fassin trouvait d’ailleurs cela dommage, car son visage lisse et légèrement carré, surplombé par un crâne rasé – obligatoire dans l’armée – était malicieusement séduisant lorsqu’elle souriait. Peut-être même était-ce la raison pour laquelle elle évitait de se laisser aller. À vrai dire, Fassin la trouvait particulièrement sexy dans son treillis – sourire ou pas sourire. (Lui et les autres portaient des tenues de marche standards. Enfin, celle de Sal était manifestement de meilleure qualité et plus onéreuse.) Le treillis de Taince était bouffant à des endroits bizarres, mais ne laissait planer aucun doute sur le sexe de sa propriétaire. Dans les ténèbres environnantes, sa tenue était devenue d’un noir mat. Apparemment, même les treillis des aspirants étaient équipés d’un système de camouflage actif.
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