— Mon mari est un important fonctionnaire très respecté. Je ne connais personne qui parle de lui avec le plus infime manque de respect. Je ne manque de rien. Tu vois ce beau jardin ? Cet appartement gouvernemental est l’un des plus recherchés.
— Oui, mais c’est un appartement gouvernemental , Pârvati.
— Je n’ai pas la moindre envie de m’établir dans le Cantonnement. Ce que j’ai ici me satisfait. Je n’ai pas la moindre envie non plus de repartir avec toi à Kotkhaï dans une espèce de stratagème pour que mon mari fasse davantage attention à mes besoins parce que tu estimes qu’il ne m’apprécie pas à ma juste valeur.
— Pârvati, je n’ai jamais…
— Oh, pardonnez-moi. » Les deux femmes se taisent en entendant cette troisième voix. Krishân se tient en haut des escaliers, vêtu de sa meilleure tenue pour le cricket. « J’ai besoin de, euh, de vérifier la micro-irrigation.
— Mère, je te présente Krishân, mon jardinier-paysagiste. Tout ceci, il l’a fait de ses mains. »
Krishân salue d’un namasté.
« Une transformation remarquable, lâche Mme Sâdhurbhaï à contrecœur.
— Les jardins les plus beaux poussent souvent sur les terrains les moins prometteurs », répond Krishân avant de s’éloigner pour triturer inutilement tuyaux, robinets et régulateurs.
« Il ne me plaît pas », murmure Mme Sâdhurbhaï à sa fille. Pârvati croise le regard de Krishân qui, le ciel perdant de sa luminosité, allume des petites lampes à huile en terre cuite le long des plates-bandes. Les flammes minuscules tremblent et oscillent dans le vent apparu sur les toits. Le tonnerre gronde à l’est dans l’obscurité. « Il se montre familier. Il regarde en douce. Ce n’est jamais bon quand ils vous regardent en douce. »
Il est venu me voir, pense Pârvati. Il m’a suivie jusqu’ici pour être avec moi, me protéger des langues des resquilleuses de caste, être fort pour moi quand j’en ai besoin.
Le jardin est transformé en une constellation de lampes. Krishân s’incline devant les dames de la maison.
« Je vous souhaite une bonne nuit et espère vous retrouver en bonne santé demain matin.
— Tu aurais dû lui faire ramasser ces noyaux d’abricots, jette Mme Sâdhurbhaï dans le dos de Krishân qui redescend les escaliers. Ça risque d’attirer les singes. »
Marianna Fusco a vraiment des mamelons superbes, pense Vishram en la regardant se hisser hors de la piscine et gagner sa chaise longue en dégoulinant sur le carrelage. Il les regarde sous le lycra mouillé : ronds, se logeant au creux de la paume, les pores plissés en petits sous-mamelons, veloutés, substantiels. L’eau froide les a fait se dresser comme des bouchons de champagne.
« Ah, mon Dieu, c’est génial », déclare Marianna Fusco en secouant ses cheveux trempés avant de se nouer un châle en soie autour de la taille. Elle se laisse lourdement tomber sur son siège près de Vishram, s’allonge, met des lunettes de soleil. Vishram fait signe au garçon de servir le café.
Il n’avait pas fait exprès de s’installer dans le même hôtel que sa conseillère juridique. La guerre avait donné une grande valeur aux suites : dans chaque hôtel de Vârânacî, le parking débordait de camionnettes satellite et le bar de correspondants étrangers se racontant des bribes de leur ennuyeuse existence entre les conflits. Il ne s’était même pas aperçu qu’il s’agissait du même hôtel auquel il l’avait déposée après ce désastreux trajet en limousine le soir de leur arrivée, avant de la voir arriver en ascenseur dans le grand hall de verre de l’hôtel. Il reconnaîtrait n’importe où la coupe de ce tailleur.
La suite est d’un confort irréprochable, mais Vishram n’arrive pas à y dormir. Les motifs de vrille hypnagogiques peints sur le plafond de sa chambre lui manquent. Le réconfort érection-du-matin des gravures érotiques de Shanker Mahal lui manque. Les relations sexuelles lui manquent. Vishram observe la sueur perler sur le bras de Marianna avant même que les gouttes d’eau aient séché.
« Vish. » Elle ne l’a encore jamais appelé ainsi. « Je risque de ne plus rester bien longtemps. »
Vishram repose sa tasse de café en prenant soin qu’aucun cliquetis ne trahisse son désarroi.
« À cause de la guerre ?
— Le siège social m’a appelée : les Affaires étrangères conseillent à tout détenteur d’un passeport britannique de partir s’il peut se le permettre, et ma famille s’inquiète aussi, surtout après les émeutes…» Sa famille, cette querelleuse constellation de remariages ou concubinages brassant cinq races différentes dans des maisons mitoyennes en brique rouge du sud de Londres. Le devant de son maillot a séché au soleil, mais la partie près du siège, encore humide, continue à lui coller au corps. Vishram a toujours eu un faible pour les maillots une pièce. Dissimuler pour séduire. Le tissu moite et moulant met en valeur les courbes et la musculature de la région lombaire de Marianna Fusco. Vishram sent sa bite se réveiller dans son slip en soie de Vârânacî. Il adorerait la prendre là puis dans la piscine, leurs jambes entremêlées dans l’eau clapotante, avec le vrombissement de la circulation à l’heure de pointe du matin qui monte de la rue par-dessus le mur.
« Il faut que je te dise, Vish, je ne voulais pas vraiment de cette mission. Je travaillais sur d’autres projets.
— Ce n’est pas vraiment le boulot que j’avais en tête non plus, réplique Vishram. J’avais entamé une bonne carrière d’humoriste. J’étais drôle. Je faisais rire les gens. Ce n’est pas quelque chose qu’on balaye d’un geste : dis donc, Vishram, tu fais quoi comme bêtises en ce moment ? Eh bien arrête tout de suite et viens, il faut que tu t’occupes de trucs importants ici. Et tu sais ce qu’il y a de pire, ce que j’ai le plus de mal à avaler ? J’adore ça. J’adore ça, bordel. J’adore cette société, les gens qui y travaillent, ce qu’ils essayent de faire, ce qu’ils ont dans ce centre de recherches. Et ça m’embête vraiment, que ce salaud n’ait rien eu à foutre de mes sentiments et qu’il ait vu juste depuis le début. Je me battrai pour sauver cette compagnie, avec ou sans toi, et si c’est sans toi, si tu me quittes, j’ai besoin de te dire deux ou trois trucs, le premier étant que j’adore voir tes mamelons sous ce maillot, et le deuxième, qu’il n’y a pas un instant, que ce soit pendant une réunion, un briefing, au bureau ou au téléphone, où je ne pense pas à ce que nous avons fait à l’avant d’un BhâratAir 375. »
Les mains de Marianna Fusco sont posées à plat sur les accoudoirs. Elle semble morte, les yeux ainsi cachés par ses lunettes de soleil italiennes.
« Monsieur Ray. »
Oh putain.
« Viens, alors. »
Marianna Fusco est assez professionnelle et assez excitée pour ne pas s’ébahir de la taille de la suite avec terrasse qu’occupe Vishram au moment où ils en franchissent le seuil tout tremblants de désir. Il se souvient tout juste de se déshabiller comme il faut, à la manière des gentlemen, en commençant par le bas, puis elle arrache son sarong en soie et s’approche de Vishram en tordant le tissu translucide en une corde sur laquelle elle pratique une série de gros nœuds, comme ferait un thug. Le tissu extensible du maillot de bain résiste, mais c’est ce qu’elle veut et Vishram s’empresse de lui rendre ce service, il adore le contact du lycra dans ses poings quand il le déchire pour dénuder la jeune femme. Il essaye de se glisser dans son vagin, mais elle s’écarte en disant non non non, je ne laisse pas entrer ce truc là-dedans. Elle le laisse insérer trois doigts dans ses deux orifices, blasphème et s’agite violemment sur le tapis au pied du lit. Elle l’aide ensuite à insérer doucement en elle le châle en soie, nœud après nœud, puis l’enfourche, ses gros mamelons se détachant sur la lumière jaune de la tempête, le branle jusqu’à ce qu’il ait joui et se remet ensuite sur le dos pour qu’il lui masturbe le clitoris avec la base de son gros orteil, et quand elle se met à jurer et à taper des poings sur le tapis, elle se place dans la posture charrue du yoga, il enroule l’extrémité libre du châle autour de sa main libre pour le ressortir doucement, un blasphème et une convulsion de tout le corps accompagnant chaque nœud.
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