Il va pour appeler chez lui. Sa main commence à former la mudrâ du hoek quand l’univers reprend ses perspectives normales, le temps redémarre et ce n’était qu’une impression, une défaillance du corps et de la volonté. L’affaire exige la plus grande détermination et le plus grand dévouement. Il doit se montrer ferme, correct, stimulant. M. Nanda rectifie ses manchettes, arrange ses cheveux.
Morva : Fiscal. « L’hôtel est payé par l’intermédiaire d’un compte de la Banque du Bhârat domicilié à Vârânacî », affirme Morva. M. Nanda apprécie qu’il vienne travailler en costume, et davantage encore qu’il en ait un de rechange, au cas où. « J’aurai besoin de l’autorisation de la banque pour accéder à l’ensemble des détails, mais cette carte a voyagé. » Il tend à M. Nanda une liste de transactions. Vârânacî. La gare de Mumbaï. Un hôtel d’un endroit appelé Tekkadi, au Kerala. L’aéroport de Bengaluru. Celui de Patna.
« Rien qui remonte à plus de deux mois ?
— Pas sur cette carte.
— Pouvez-vous trouver la limite de crédit ? »
Morva désigne la dernière ligne. M. Nanda la lit deux fois. Ne cille qu’une fois.
« Quel âge a la fille ?
— Dix-huit ans.
— Combien de temps vous faut-il pour entrer dans ce compte ?
— Je doute d’arriver à quelque chose avant les heures de bureau.
— Essayez », intime M. Nanda, qui repart après une tape dans le dos de son coenquêteur.
Mukul Dev : Enquêtes.
« Regardez ça ! » Sorti de l’université seulement cinq mois plus tôt, Mukul continue à écarquiller les yeux tant tout ce boulot lui paraît cool. Hé les filles, je suis flic Krishna. « La nana est une chouchou des médias ! » C’est une vidéo non montée, tournée de manière chaotique et encore plus mal éclairée. Des corps qui évoluent, en général dans des combats. Des reflets de flammes sur des surfaces métalliques courbes.
« C’est l’attaque du train », s’aperçoit M. Nanda. Quelque chose d’aussi ancien et d’aussi peu pertinent que le Râj.
« Oui, filmée par une caméra de casque militaire. Voilà la séquence. »
Difficile de distinguer les détails dans ce chaos de feu et de gens qui fuient, mais M. Nanda voit Thomas Lull dans sa tenue absurde courir vers la caméra et passer hors champ tandis que les soldats bhâratîs se mettent en position de tir. Il distingue une ligne de mouvement devant celle, plus longue et plus sombre, du train en feu. M. Nanda frissonne. Depuis son affrontement avec le datarâja Anreddy, il connaît la manière de courir précipitée des robots antipersonnel. Il voit alors une silhouette en gris s’accroupir devant l’assaut en levant la main. Les robots s’immobilisent. Mukul forme le geste d’arrêt, et l’image se fige.
« Ce n’était pas aux informations.
— Ça vous étonne ?
— Beau travail », dit M. Nanda en se levant. Il fait la mudrâ d’un canal ouvert. « Tout le monde en salle de réunion dans trente minutes. » Des carillons de réception résonnent à l’intérieur de son crâne tandis qu’il sort du bureau de Mukul.
Trois heures trente, lit M. Nanda sur l’horloge au coin de son champ de vision quand son équipe entre dans-la salle de réunion pour s’installer autour de la table ovale. M. Nanda sent l’épuisement dans la pièce à l’éclairage trop brillant. Il cherche un récipient pour son sachet de thé ayurvédique, soupire de déception en n’en trouvant aucun.
« Monsieur Morva, du progrès ?
— Une de mes aeais a déniché un achat étrange : des circuits protéiniques sur-mesure d’AFG à Bengaluru, ce qu’il y a d’étrange, c’est l’adresse figurant sur le bon de livraison : celle de cette clinique illégale dans la Zone Franche de Patna. »
M. Nanda aperçoit du coin de l’œil Sampath Dasgupta, un jeune agent, sursauter en voyant quelque chose sur l’écran de son palmeur et montrer celui-ci à Shânti Nene, sa voisine.
Mâdhvi Prâsad : « Du neuf aussi sur son identité. Ajmer Rao est la fille adoptive de Sukrit et Devî Paramchan, résidant eux aussi à Bengaluru. Bizarrement, ils apparaissent dans tous les registres civils, les bases de données du fisc et autres archives publiques, mais pas dans la base de données ADN centrale du Karnataka. Ils auraient pourtant dû y être inscrits à leur naissance. J’essaye de localiser ses parents naturels. Ce n’est qu’une hypothèse, mais je ne crois pas qu’elle soit venue ici sans une raison précise. »
M. Nanda : « Elle essayera peut-être de les contacter. Ce que nous pourrions anticiper en cherchant un échantillon ADN dans sa chambre d’hôtel afin d’établir nous-mêmes le contact. Bien. » La vague de perturbation continue son chemin sur le côté droit de la table. « Y a-t-il quelque chose dont je devrais être informé ? »
Sampath Dasgupta : « Monsieur Nanda, la Première ministre a été assassinée. Sajida Rânâ est morte. »
Tout le monde accuse le choc. Des mains se tendent vers les palmeurs, connectent les hoeks à des chaînes d’informations. Les murmures enflent en discussion à voix haute puis en vacarme. M. Nanda attend de détecter les signes d’un apaisement, puis tape bruyamment sur la table avec son verre de thé.
« Votre attention, s’il vous plaît. » Il faut qu’il la demande une deuxième fois pour obtenir le calme. « Merci, mesdames et messieurs, si nous poursuivions notre réunion ? »
Sampath Dasgupta éclate. « Monsieur Nanda, c’est notre Première ministre.
— J’en suis conscient, monsieur Dasgupta.
— Notre Première ministre a été assassinée par un gang de kârsevaks.
— Et nous continuerons à faire notre travail, monsieur Dasgupta, comme nous en a chargé notre gouvernement, travail qui consiste à protéger ce pays de la menace des aeais illicites. »
Dasgupta secoue la tête avec incrédulité. M. Nanda voit que le jeune homme a contesté son autorité et qu’il doit agir rapidement et avec fermeté pour maintenir celle-ci.
« Il est clair à mes yeux qu’Odeco, cette Ajmer Rao et l’aeai Kalkî participent tous, peut-être même avec le professeur Lull et son ancienne assistante le Dr Lisa Durnau, à un complot d’une extrême gravité. Mâdhvi, obtenez un mandat de perquisition de l’hôtel Âmâr Mahal. Je vais demander l’arrestation immédiate d’Ajmer Rao. Mukul, veuillez envoyer un dossier à tous les postes de police de Vârânacî et de Patna.
— Vous pourriez bien avoir un peu de retard sur ce point. » M. Nanda aurait reproché cette interruption à Râm Lalli si celui-ci n’avait la main droite sur l’oreille pour prendre un appel. « La police publie à l’instant un avis de recherche. Ajmer Rao vient de s’échapper de garde à vue à Râjghât. Thomas Lull est encore en détention.
— Des détails, exige M. Nanda.
— La police l’a arrêtée aux Archives Nationales. Il semble qu’Ajmer Rao avait une longueur d’avance sur nous.
— La police ? » M. Nanda pourrait vomir. Il est suspendu dans le vide. Ceci, se dit-il, est l’Événement dont il a senti la venue dans l’ascenseur en verre. « Cela s’est produit quand ?
— Ils l’ont embarquée vers dix-neuf heures trente.
— Pourquoi n’avons-nous pas été informés ? Ils nous prennent pour qui, des bâbûs bons à remplir des formulaires ?
— Tout le réseau électrique du district de Râjghât s’est écroulé, indique Râm Lalli.
— Monsieur Lalli, message à destination du commissariat de police de Râjghât, commande M. Nanda. J’assume l’entière responsabilité de cette affaire. Informez-le qu’elle est désormais aux mains du Ministère.
— Patron. » Vik lève une main, immobilisant M. Nanda sur le seuil. « Il faut que vous voyiez ça. Vos biopuces… je crois savoir où elles ont abouti. »
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