— Ce ne sera pas dans les LitVids, cette fois-ci, j’espère, déclara Charles. Et c’est tout ce que vous apprendrez pour aujourd’hui.
— Aaaah ! fit-elle, déçue.
Elle déploya une rampe pressurisée pour relier le tracteur au Mercure. Nous sortîmes tous les six à quatre pattes. Charles et Stephen déchargèrent avec soin le matériel. J’aidai à transporter le penseur LQ et l’interprète. Nous refermâmes les portes étanches.
Dans nos couchettes étroites, côte à côte par deux, nous attendîmes, tendus, que les tuyères nous propulsent. Je n’étais pas montée en orbite depuis mon voyage sur la Terre, une éternité auparavant.
— Il est temps que je t’apprenne certaines choses sur la technique du saut, me dit Charles.
Je me tournai pour regarder Stephen, sur ma gauche. Il hocha la tête avec un sourire qui exhibait ses dents.
— Ce n’est pas tout à fait une partie de plaisir pour les passagers, admit-il.
— Qu’est-ce que vous m’avez caché ?
— Il n’y aura aucune activité électrique pendant plusieurs minutes durant le voyage et quelque temps après. Pas de chauffage, pas de circuits dans nos combinaisons, vous voyez ce que je veux dire. Ça va sentir le renfermé dans la cabine, mais nous avons conçu un nettoyeur mécanique, sans aucune pièce électrique, et ça devrait résoudre une grande partie des difficultés pendant dix à quinze minutes.
— Pourquoi ce délai ?
— Nous l’ignorons, me dit Charles. Tu vas te sentir un peu nauséeuse, également. Ça passera, mais tes neurones vont te sembler figés pendant quelques minutes. Comme une panne de courant, si tu veux, à cette exception près que tu te rendras compte de tout ce qui se passera. Notre organisme n’aime pas trop ça. Pour le reste – et ce sont des inconvénients mineurs, crois-moi –, tout se passera comme indiqué.
Je me laissai aller en arrière sur la couchette.
— Pourquoi n’as tu pas parlé de tout ça avant ?
— Nous avions assez de problèmes là-bas comme ça. (Il fit un geste vague en direction du laboratoire.) Que dirait Wachsler si on lui racontait tout ?
— Il piquerait une crise, reconnus-je. Mais qu’est-ce qui va se passer à l’échelle de Mars ? Tous les équipements de vie… Sans mentionner les effets sur le moral des gens… ?
Stephen Leander interrompit cette discussion qui menaçait de se prolonger en disant :
— Ce ne sera peut-être plus un problème dans une semaine ou deux. Nous pensons que cela peut se régler. Mais pour le moment, vous savez à quoi vous attendre.
— C’est tout ce qu’il faut que je sache ?
— Tu ne sentiras pas la moindre secousse, me dit Charles. La meilleure suspension de tout l’univers.
Le pilote humain du Mercure pour la première mission avait été remplacé par un penseur spécialisé de fabrication martienne. Il commença un compte à rebours d’une minute. Avec une série de détonations évoquant une fusillade, l’engin s’éleva sur une colonne de flammes et de vapeur, en nous plaquant sur nos couchettes. Par les hublots et sur les écrans, nous vîmes Mars s’éloigner sous nous. L’engin changea d’orientation pour viser la petite lune gris-noir et nous profitâmes de quelques minutes de calme et d’inaction tandis qu’il nous faisait entrer dans une aube profonde.
Sur sa couchette, Cameron leva la tête autant que le lui permettait son harnais de sécurité et me fit un sourire.
— Je voulais vous dire à quel point nous sommes – moi en tout cas – honorés de participer à cette aventure. C’est incroyable… absolument fantastique. Je suis terrifiée.
Je lui rendis son sourire pour la rassurer autant que je le pouvais. Ce que nous allions accomplir dépassait nettement les limites de mon imagination, même si ce n’était pas au-delà des possibilités de calcul de mon rehaussement.
Dans la mesure où il n’y aurait aucune accélération, aucune force en jeu, des notions différentes devaient intervenir, basées uniquement sur les modifications des descripteurs expérimentalement observées. En termes simples, le fait de déplacer Phobos à travers dix mille années-lumière équivalait à voler dans le coffre au trésor de la galaxie suffisamment d’énergie pour alimenter une étoile comme le Soleil sur une période de plusieurs années.
Notre approche de Phobos nous sembla d’une lenteur glacée. En une heure, le satellite passa de la taille d’un point brillant à celle d’une grosse tache sombre tandis que nous repassions dans l’ombre de Mars.
La décélération fut plus brutale que le décollage. Il y eut un seul hoquet brûlant qui laissa une marque sur mon coude à l’endroit où il était en contact avec une barre de métal au revêtement isolant trop mince. Nous survolâmes de quelques centaines de mètres le régolite de Phobos, vieux cratères piquetés de gris et de noir, fissures, crevasses et cicatrices laissées par les anciennes exploitations minières et les chantiers de recherche.
Nous devions occuper une carrière vieille de trente ans près du centre du cratère de Stickney. Elle était toujours exploitable, mais n’était plus habitée que par des arbeiters.
Si le Mercure était attaqué, nous aurions plus de chances de survivre sous la surface désolée de la petite lune grise.
— C’est ici, nous dit Stephen.
Charles se redressa à demi sur son siège-couchette. Sur une des pentes de la cuvette irrégulière du cratère de Stickney, un petit signal de guidage d’atterrissage clignotait comme il l’avait toujours fait depuis plusieurs dizaines d’années. Le Mercure se réorienta avec une secousse. Nous piquâmes droit sur le signal à une vitesse inquiétante.
— Recherche de points d’ancrage engagée, annonça le penseur.
Nouvelle décélération brusque. Puis le Mercure se posa avec une douceur surprenante. Nous scrutâmes les systèmes de la station. Ils étaient tous en bon état de fonctionnement. Le cylindre de transfert de la navette se déploya.
Charles défit son harnais de sécurité. Je l’imitai et me laissai flotter à côté de lui.
— Trois jours de vivres, me dit-il, tordant les lèvres dans un sourire bref tandis qu’il me précédait dans la soute.
— Ça suffira ? demanda Galena Cameron en plissant le front.
— Nous ne pensons pas rester plus de cinq heures absents, cria Stephen Leander du pont supérieur.
Hergesheimer fit la grimace.
— Même en passant dix heures à étudier le système, nous n’en saurons jamais assez, dit-il.
— Les galeries vont être glacées et très inconfortables pendant plusieurs heures, fit Leander. Elles n’ont pas l’habitude des visiteurs.
À quatre pattes dans le cylindre de transfert derrière Charles, je faillis me cogner à un vieil arbeiter revêtu d’une croûte de poussière. Il flottait dans un coin, de la taille et de la couleur d’un vieil ours en peluche trop cajolé, son antique capteur en forme de torque spiralant avec un léger grincement tandis qu’il nous examinait curieusement.
— Cette unité a besoin de réparations, gémit-il d’une voix étouffée.
Charles pivota dans le sas pour le regarder. Pour la première fois depuis des semaines, je souris au souvenir du Très Haut Médoc. Il me rendit mon sourire en grimaçant parce que sa peau tendue tirait sur les plaques nanos de sa nuque.
— Nous devrions nous occuper un peu mieux de nos orphelins, me dit-il.
Hergesheimer pesta contre l’absence de ports adéquats pour les capteurs. Stephen ordonna à un petit arbeiter préleveur d’échantillons d’en percer quelques-uns. Nous avions apporté des nécessaires de réparation et la plupart des arbeiters de la station étaient en cours de rénovation ou de remise à jour. Galena Cameron coordonna les capteurs et les télescopes, assise toute seule au milieu d’une salle cubique glacée. Elle fit des essais avec des données et des objectifs simulés.
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