— Non, dit Martha. Personne. On a trouvé de nombreuses autres créatures, mais pas d’humanoïdes.
— Il y avait aussi le fait qu’ils possédaient des machines. Ce qui rendait cette dernière possibilité encore plus invraisemblable. Car nous avons bien découvert de nouvelles races technologiques, mais leur technologie était si étrange que nous ne pouvions, dans la plupart des cas, en saisir ni le but, ni le principe. Trouver une autre race humanoïde ayant une technologie basée sur les machines paraissait absurde. La seule réponse possible était que j’avais trouvé les Autres. Quand je me suis rendu compte de cela, je suis devenu prudent. Nous étions peut-être du même sang, mais il y avait cinq mille ans entre nous, et je me suis dit que tout ce temps pouvait les avoir rendus aussi étrangers pour nous que n’importe quelle autre race de l’espace. Nous avons au moins appris que le premier contact avec des races étrangères doit être pris adroitement.
Je ne vais pas essayer de vous raconter maintenant tout ce qui est arrivé. Plus tard, peut-être. Mais je crois que je me suis très bien débrouillé – encore que ce soit surtout de la chance, je pense. Quand je me suis dirigé vers les fermiers, j’ai été pris pour un étudiant errant venant de l’une des deux autres planètes que la race humaine habite – c’est-à-dire pour quelqu’un de très légèrement détraqué qui s’occupe de choses qu’aucun homme normal ne jugerait digne d’intérêt. Quand j’ai compris cela, j’ai continué et cela a couvert les nombreuses erreurs que j’ai commises. Mes erreurs leur semblaient être de l’excentricité. Je pense que ce sont mes vêtements et la langue que je parle qui leur ont fait penser que j’étais un errant. Heureusement, ils parlent une sorte d’anglais, mais qui diffère considérablement de celui que nous parlons. J’imagine que si nous retournions sur la Terre d’il y a cinq mille ans, notre langue, telle que nous la parlons maintenant, ne serait pas facilement comprise. Le temps, les variations de circonstances, les négligences de langage apportent de nombreux changements dans la langue parlée. Leur méprise m’a permis de me promener suffisamment pour découvrir ce qui se passait, pour voir le genre de société qui s’était développé et pour apprendre un peu leurs plans à long terme.
— Et tu as découvert que ce n’était pas joli, joli ! dit Jason.
John lui lança un coup d’œil stupéfait :
— Comment le sais-tu ?
— Tu as dit qu’ils avaient encore une technologie à base de machines, je crois que la clé est là. J’ai deviné qu’une fois qu’ils se sont tirés d’affaire, ils ont continué à peu près de la même manière qu’avant d’être arrachés à la Terre. Et, si c’est le cas, le résultat ne doit pas être joli.
— Tu as raison, dit John. Apparemment, cela ne leur a pas pris trop longtemps pour se tirer d’affaire, comme tu dis. Très peu d’années après s’être retrouvés en un clin d’œil sur une autre planète – ou plutôt, sur d’autres planètes – dans une partie inconnue de l’espace, ils ont retrouvé leur équilibre, ils se sont organisés et ont continué à vivre à peu près comme avant. Il a fallu qu’ils repartent à zéro, évidemment, mais ils avaient les connaissances technologiques, ils avaient à leur disposition des planètes neuves aux ressources vierges et ils sont rapidement retombés sur leurs pieds. Et, qui plus est, ils ont la même espérance de vie que nous, la même longévité que nous. Beaucoup d’entre eux sont morts pendant les premières années de lutte pour s’adapter, mais il en est quand même resté énormément. Et parmi ceux-ci, se trouvaient des gens qui avaient toutes les capacités nécessaires pour développer une nouvelle technologie. Imagine un peu ce qui arriverait si un ingénieur spécialisé et expérimenté – ou un savant imaginatif possédant son métier à fond – vivait de nombreux siècles ? La mort n’enlèverait pas à la société ces talents si nécessaires comme c’était le cas auparavant. Les génies ne mourraient pas mais continueraient à être des génies, les techniciens qui ne construisaient ou tiraient des plans que pendant les quelques années précédant leur mort ou leur retraite pourraient continuer indéfiniment à construire et à tirer des plans. Cela donne à un homme autant de temps qu’il en a besoin pour développer à fond ses théories, et cela lui donne la jeunesse dont il a besoin pour les poursuivre. Évidemment, tout ceci présente un inconvénient majeur : la présence d’hommes d’un grand âge possédant une vaste expérience et occupant des postes importants peut tendre à avoir une influence inhibitrice sur ceux qui sont plus jeunes, cela peut favoriser un conservatisme aveugle à toute nouvelle idée et peut enfin bloquer tout progrès si le danger n’a pas été reconnu et compensé. Les Autres ont eu le bon sens de le reconnaître et d’introduire quelques traits compensatoires dans leur structure sociale.
— As-tu réussi à te faire une idée de leur histoire ? Combien de temps leur a-t-il fallu pour redémarrer, et comment ont-ils progressé ?
— En gros, oui. Rien de précis, bien sûr. Disons qu’il leur a fallu une centaine d’années pour établir une société viable, peut-être dans les trois siècles pour reconstituer une approximation de la situation technologique qu’ils avaient sur Terre. À partir de là, ils ont continué sur les bases qu’ils possédaient, avec l’avantage de s’être débarrassés d’un certain nombre de boulets qu’ils traînaient autrefois derrière eux. Ils sont partis de rien et, au début, ils n’avaient pas besoin de s’encombrer des vieilleries qui leur pesaient sur Terre. Bien avant que mille ans se soient écoulés, les groupes vivant sur chacune des trois planètes – à moins d’une année – lumière de distance – se connaissaient les uns les autres et, en très peu de temps, des vaisseaux spatiaux ont été inventés, construits, et la race humaine a été à nouveau réunie. Le contact physique et le commerce que cette réunion rendit possible donna un nouvel élan à la technologie, car durant le millier d’années pendant lequel ils avaient été séparés, chacun avait développé sa technologie différemment, expérimentant dans des directions différentes. Et puis, ils avaient aussi les ressources de trois planètes au lieu d’une seule, et c’est ce qui doit avoir été un avantage décisif. Les trois cultures séparées se sont fondues en une sorte de superculture qui avait encore l’avantage de racines communes.
— Ils n’ont jamais développé de pouvoirs parapsychiques ? Aucune trace de cela ?
John secoua la tête :
— Ils y sont aussi aveugles qu’autrefois. Il n’y a pas que le temps qui soit nécessaire pour les acquérir puisqu’ils ont tous maintenant autant de temps que nous devant eux. Ce qui est nécessaire, ce doit être une manière de voir différente, une libération des pressions qu’une branche particulière de la technologie impose, non seulement à la race, mais à chaque individu.
— Et cette branche de la technologie ?
— Pour toi et moi, ce serait une contrainte brutale, dit John. Mais pour eux qui ne connaissent rien d’autre et qui voient en elle les buts pour lesquels ils ont lutté, cela doit paraître merveilleux. Sinon merveilleux, du moins satisfaisant. Pour eux, cela représente la liberté – liberté d’être au-dessus, et au-delà de l’environnement qu’ils ont à grand-peine soumis à leurs projets. Pour nous, cela serait asphyxiant.
— Mais ils doivent se souvenir ! dit Martha. Leur transfert de la Terre doit être suffisamment récent pour qu’ils s’en souviennent. Il doit y avoir des récits. Pendant toutes ces années, ils doivent s’être demandé ce qui leur est arrivé et où peut bien se trouver la Terre ?
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