Clifford Simak - À chacun ses dieux

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2185. Quand Witney commence le journal que poursuivront ses descendants, il ne reste plus sur Terre qu'une poignée d'humains. Que s'est-il passé ? Aucun cataclysme, aucune épidémie, rien ne vient expliquer que plus de huit milliards d'individus aient tout simplement comme par magie, disparu... Quelques Blancs désemparés, quelques Indiens retournés avec soulagement au mode de vie de leurs ancêtres, essaient de donner un nouveau départ à l'humanité. Il y a aussi les robots : les uns, devenus sauvages, se livrent à des activités occultes, d'autres mènent une vie monastique, maintenant une institution oubliée des hommes... Pendant ce temps, ailleurs, très loin, au cœur de la galaxie, veille un mystérieux "Principe "...

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Clifford D. Simak

À chacun ses dieux

1.

1 eraoût 2185 : nous recommençons donc. En fait, il y a cinquante ans que nous avons recommencé, mais nous ne le savions pas. Pendant un certain temps, nous avons espéré qu’il y avait davantage d’êtres humains et que nous pourrions reprendre au point où nous en étions restés. Nous pensions pouvoir nous accrocher à ce que nous avions, d’une manière ou d’une autre, et pouvoir réfléchir plus clairement et prévoir plus intelligemment une fois l’effet de choc passé. Vers la fin de la première année, nous aurions dû savoir que c’était impossible, et nous aurions dû être prêts à le reconnaître au bout de cinq ans – mais nous ne l’étions pas. Nous avons d’abord refusé d’admettre le fait, et quand il a bien fallu le faire, nous nous sommes obstinés dans une sorte de foi insensée. L’ancien mode de vie ne pouvait pas être ressuscité, nous étions trop peu nombreux et aucun d’entre nous ne possédait de connaissances spécialisées. Il était impossible de rétablir la technologie d’autrefois, trop complexe, trop spécialisée, trop cloisonnée pour pouvoir être reprise et poursuivie sans le concours d’un important groupe de travail équipé des moyens et des connaissances nécessaires pour utiliser la technologie et pour produire l’énergie indispensable. Pour l’instant, nous ne sommes que des nécrophages qui nous nourrissons de la carcasse du passé. Un jour, il n’en restera que les os et il nous faudra bien nous débrouiller seuls. Mais, au fil des ans, nous avons retrouvé – ou redécouvert – quelques-unes des technologies de base les plus anciennes inhérentes à un mode de vie plus simple. Et ces technologies rudimentaires devraient nous empêcher de retomber dans une barbarie totale.

Personne ne sait ce qui s’est réellement produit, ce qui n’empêche évidemment pas certains d’entre nous de formuler des théories pour expliquer tout cela. L’ennui, c’est que toutes les théories se réduisent en fait à de simples conjectures dans lesquelles toutes sortes d’erreurs métaphysiques entrent en jeu. Nous ne sommes vraiment sûrs que de deux faits très simples : le premier est que la plus grande partie de la race humaine est partie ailleurs – ou a été emmenée ailleurs – il y a eu cinquante ans de cela le mois dernier. De plus de huit milliards d’individus – ce qui était manifestement beaucoup trop – nous ne restons maintenant que quelques centaines tout au plus. Ici, dans cette maison où j’écris ces mots, à l’instant, il y a soixante-sept êtres humains, et nous ne sommes si nombreux que parce que la nuit où cette chose est arrivée nous avions quelques jeunes invités pour célébrer la majorité des jumeaux, nos petits-enfants John et Jason Whitney. Il y a environ trois cents Indiens de Leech Lake, bien que nous ne les voyions pas beaucoup maintenant car ils ont retrouvé avec plaisir – et pour leur plus grand bien, me semble-t-il – le nomadisme tribal de leurs ancêtres. De temps en temps nous parviennent des rumeurs sur l’existence d’autres petites poches d’humanité (rumeurs généralement colportées par quelque robot vagabond), mais chaque fois que nous avons essayé de les contacter, nous ne les avons pas trouvées – pas plus qu’aucun indice de leur présence. Ce qui ne prouve rien, bien entendu. Il est évident qu’il doit bien rester d’autres humains quelque part sur terre, bien que nous n’ayons pas la moindre idée de l’endroit où ils puissent se trouver. Nous ne les recherchons plus, même quand de tels bruits nous parviennent, car il nous semble que nous n’avons plus besoin d’eux maintenant. Au cours des années, nous nous sommes satisfaits de notre sort et nous nous sommes installés dans la routine d’une vie bucolique.

Les robots sont toujours avec nous, et nous n’avons aucune idée de leur nombre. Tous ceux qui existaient doivent encore être là puisqu’ils ne sont pas partis – ou n’ont pas été emmenés – contrairement à la race humaine. Au fil des ans, un certain nombre d’entre eux sont venus s’installer avec nous, se chargeant de tout le travail, de toutes les petites tâches nécessaires à notre bien-être, faisant véritablement partie de notre communauté. De temps à autre, quelques-uns d’entre eux nous quittent et partent ailleurs un certain temps. Il peut arriver que d’autres fassent leur apparition et restent avec nous – pour de bon ou pour des périodes variables. Quelqu’un qui ignorerait tout de notre situation pourrait croire qu’avec les robots nous possédions la force de travail nécessaire pour conserver au moins un petit secteur des parties essentielles de la technologie d’autrefois. Nous aurions peut-être pu apprendre aux robots les techniques nécessaires, mais l’ennui est que personne n’est capable de les leur enseigner. Et même si quelqu’un l’avait pu, je doute fort de l’efficacité de la chose. Les robots n’ont pas l’esprit fait pour comprendre la technologie, ils n’ont pas été construits pour cela. Ils ont été construits pour encourager l’orgueil et la vanité humaine, pour satisfaire un étrange désir qui semble inhérent à l’espèce humaine – l’envie que d’autres humains (ou un fac-similé convenable de l’espèce) s’occupent de nos désirs et de nos besoins, la nécessité d’avoir des esclaves humains que l’on puisse dominer, des êtres sur lesquels un homme, une femme ou un enfant, puisse exercer son autorité, ayant ainsi une fausse impression de supériorité. Ils ont été construits pour être des cuisiniers, des jardiniers, des maîtres d’hôtel, des serveurs, des valets de pied (je n’ai jamais su de façon sûre ce qu’était un valet de pied), des serviteurs de tout genre. Ils étaient les larbins, les compagnons inférieurs, les béni-oui-oui, les esclaves. D’une certaine manière, je présume qu’ils sont encore des esclaves dans les services qu’ils nous rendent, mais je doute que les robots considèrent cela comme un esclavage. Leur échelle de valeurs, bien que fournie par l’homme, n’est pas exactement une échelle de valeurs humaine. Ils nous servent très volontiers, ils sont reconnaissants d’avoir l’occasion de nous servir, il s’empressent de nous servir, apparemment heureux d’avoir trouvé de nouveaux maîtres pour remplacer les anciens. Voilà la situation en ce qui nous concerne. En ce qui concerne les Indiens, la chose est différente. Les robots ne se sentent pas à l’aise avec eux et, de leur côté, les Indiens les considèrent avec un sentiment très proche du mépris. Ils font partie de la culture de l’homme blanc et sont facilement acceptables pour nous par suite de notre ancienne passion pour les machines, mais pour les Indiens, ils paraissent malpropres – un corps étranger répugnant et immonde. Ils ne veulent rien avoir à faire avec eux. Un robot qui pénètre dans un camp indien est mis à la porte sans autre forme de procès. Quelques-uns des robots nous servent, et il doit en exister des milliers d’autres. Nous avons pris l’habitude d’appeler ceux qui ne vivent pas avec nous des « robots sauvages » – bien que je doute qu’ils soient sauvages de quelque manière que ce soit. De nos fenêtres ou du patio, ou quand nous nous promenons, nous voyons souvent des groupes de « robots sauvages » se hâter comme s’ils avaient une destination précise ou comme s’ils servaient quelque grand dessein. Nous n’avons jamais pu déterminer quelle était cette destination, ni ce que pouvait bien être ce grand dessein. Nous entendons de temps à autre des rumeurs à leur sujet, mais ce ne sont que des rumeurs dont nous n’avons aucune preuve, et ce n’est donc pas la peine de les rapporter ici.

J’ai dit qu’il y avait deux faits et je me suis perdu au cours de la narration du premier.

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