Il jeta un regard sur le petit groupe amassé et dit :
— Le mal appelle le mal… (Il inclina la tête vers la Daisy, qui dépassait de son épaule.) Mais essayons la méthode douce si nous le pouvons. Nous n’avons que deux pâtés de maisons à tenir.
— Deux pâtés de maisons, répéta Briar.
Elle déglutit avec peine et se dit qu’elle avançait. Elle se rapprochait. Elle se dirigeait vers le quartier où son fils était sans doute allé, et c’était donc un pas dans la bonne direction.
Swakhammer prit la bougie des mains de Lucy et tira la porte vers l’intérieur. Tout le groupe derrière lui recula d’un pas à l’unisson pour lui laisser de la place.
À l’extérieur, le monde était parfaitement noir.
Briar aurait pu s’en douter en voyant l’intérieur sombre de la boutique de l’apothicaire, mais elle avait supposé que les fenêtres couvertes de débris et le verre crasseux étaient à l’origine de cela. Elle n’avait pas pris garde à l’heure qui tournait.
— Il fait nuit, souffla-t-elle, surprise.
Lucy toucha l’épaule de Briar.
— Il faut un peu de temps pour s’y habituer, murmura-t-elle. En étant sous terre, il est difficile de dire l’heure, et Dieu sait que les jours sont courts en hiver. Allez, mon chou, techniquement parlant, on est encore samedi. En avant. Allons jusqu’aux Coffres, peut-être que quelqu’un aura des informations sur votre fils. Mais d’abord, nous devons y arriver. Une chose à la fois, n’est-ce pas ?
— Oui, convint Briar.
Swakhammer éteignit la dernière bougie en pinçant à contrecœur la mèche entre ses doigts gantés de cuir. Au moment où il ouvrit la porte, suffisamment pour sortir, Briar retint son souffle et attendit que la nuit tente de tous les tuer.
Mais rien ne se produisit.
Il fit passer le groupe et tira la porte derrière eux pour la fermer, en veillant à ce que le joint ne produise que le plus petit déclic nécessaire. Puis, il se retourna et grogna si bas qu’il était à peine audible :
— Ne vous éloignez pas. Tenez-vous par les mains si vous pouvez. Nous allons longer un pâté de maisons vers le nord, puis un vers l’ouest. Mademoiselle Wilkes, vous et votre fusil devriez passer à l’arrière. Ne soyez pas trop prompte à tirer. Évitons de faire du bruit si possible.
Son chapeau frotta contre la devanture en pierre lorsqu’elle acquiesça d’un signe de tête, et c’était tout ce qu’il avait besoin d’entendre. Il pouvait à peine la voir, mais elle n’avait pas refusé. Elle passa à l’arrière de la colonne et retira le Spencer de son épaule, de façon à pouvoir le tenir posément et à être prête à tirer.
Derrière Hank, qui semblait sur le point de s’endormir debout, Briar tenta de surveiller les deux directions en même temps. Mais ce dernier resta en arrière et perdit sa place. Elle le poussa pour qu’il la reprenne.
Il traînait et elle ne pouvait pas se le permettre. Elle ne savait pas où elle allait, pas vraiment, et certainement pas de nuit, dans le noir, alors qu’elle ne pouvait même pas voir les formes en mouvement de ses compagnons. Elle ne voyait ni le ciel, ni les tubes jaunes qui étaient censés traverser le brouillard ; et il lui fallait loucher à travers les verres sales de son vieux masque encombrant pour détecter les contours déchiquetés des toits et des flèches des bâtiments qui s’effritaient et se détachaient, ombres noires, sur les nuages au-dessus d’eux.
Mais elle ne put pas regarder longtemps. Hank glissa à nouveau au sol, s’affalant contre un mur.
Elle l’attrapa d’une main et le soutint à l’aide du fusil, essayant de le maintenir debout.
« Foutu ivrogne », pensa-t-elle, mais elle évita de le dire à voix haute. Elle se servit de tout son poids pour le maintenir dans une position à peu près respectable.
— Qu’est-ce qui ne va pas, Hank ? murmura-t-elle en le portant à moitié.
Il grogna quelque chose en réponse, mais cela ne dit rien de plus à Briar que le fait qu’il avait trop bu de cette pitoyable bière jaune, et qu’il en était à présent malade. Elle regrettait de ne pas voir pour l’aider, mais elle avait du mal à distinguer quoi que ce soit, et elle le lâcha lorsqu’il la repoussa et alla rouler contre le mur.
— Silence au fond ! ordonna Swakhammer.
La tonalité métallique de sa voix transforma le sifflement en ordre grinçant.
— J’essaie de l’aider, commença à répondre Briar, puis elle s’arrêta. Hank, murmura-t-elle en s’adressant à l’homme ivre. Hank, ressaisissez-vous. Il faut marcher. Je ne peux pas vous porter.
Il grogna à nouveau et lui attrapa la main.
Elle pensa qu’il voulait de l’aide pour se redresser, ce qui ne lui posait aucun problème ; elle l’aida, le remettant à sa place dans la file effrayée et traînante. Mais le grognement lui trotta dans la tête, faisant sonner une petite alarme, comme si cela aurait dû lui parler davantage.
Il tituba une nouvelle fois et elle le rattrapa, le laissant s’appuyer sur son épaule alors qu’il cheminait lentement. Il se fit lui-même un croche-pied et s’effondra au sol contre la bordure du trottoir, l’entraînant avec lui.
Elle lui prit la main et il fit de même. Elle rappela les autres, dont les pas s’éloignaient :
— Attendez ! appela-t-elle, du plus fort qu’elle osait.
Un arrêt immédiat signala qu’elle avait été entendue.
— Qu’est-ce qu’il y a ? demanda Lucy. Où êtes-vous, mon chou ?
— Ici, avec Hank. Il y a quelque chose qui ne va pas, souffla-t-elle dans les cheveux de l’homme dont le visage était appuyé contre sa clavicule.
Lucy jura.
— Hank, espèce de vieux soûlard. Si tu nous fais tuer, je jure que je vais t’assassiner.
Tandis qu’elle parlait, le volume de ses récriminations augmenta en même temps que le claquement impatient de ses pieds qui se rapprochaient. Un rai de lumière, provenant d’un rayon de lune capricieux ou du reflet d’une fenêtre, vint éclairer une partie exposée du bras mécanique de Lucy qui brilla, révélant sa position.
Briar ne la vit qu’à moitié. Son attention était ailleurs, concentrée sur les sangles qui entouraient la tête d’un homme qui avait la gueule de bois et un faible instinct de survie.
— Attendez ! dit-elle à Lucy.
Celle-ci répondit :
— Je vous ai entendue, petite. Je suis là.
— Non. Ce n’est pas ce que je voulais dire. Attendez, reculez.
Elle les sentit lorsqu’elle passa sa main sur la tête de l’homme : la boucle brisée et la sangle pendante, défaite, qui aurait dû maintenir fermement le masque sur le visage de Hank.
Il soufflait péniblement et sa tête se cognait légèrement contre le corps de Briar, avec un rythme qui ne ressemblait pas à une respiration. De plus en plus fort, il lui serra la main, puis le bras, puis la taille tandis qu’il essayait de l’attirer plus près de lui.
Briar résista et se servit du fusil pour lui faire lâcher prise.
Lucy s’accroupit à côté de lui et tenta de l’attraper. Elle dit :
— Hank, ne me dis pas que tu es imbibé au point d’essayer de faire du gringue à notre invitée ?
Mais Briar saisit le bras mécanique avant que Lucy ne puisse toucher l’homme.
— Non, dit-elle. (Elle se redressa et entraîna Lucy en arrière.) Non, Lucy. Son masque est tombé. Il en a respiré.
— Oh mon Dieu. Oh mon Dieu.
— Qu’est-ce qui se passe, là-bas ?
— Continuez, répondit Lucy. Nous vous rejoignons.
— Hors de question , rétorqua Swakhammer, et le bruissement d’une armure suggéra qu’il faisait marche arrière.
Elle insista.
— Nous arrivons. Emmenez les autres dessous.
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