— Il s’est montré un parfait gentleman, répondit-elle.
Il sourit, dévoilant des dents étrangement alignées.
— J’ai du mal à le croire. Il est plutôt imposant, n’est-ce pas ?
— Immense, oui, même si vous n’êtes pas petit non plus. Vous m’avez fichu une sacrée frousse en déboulant ainsi. Comme si votre masque ne vous faisait pas une voix suffisamment impressionnante, il vous donne aussi l’air d’un monstre.
— Oui, c’est vrai, mais il me protège mieux que l’ancien modèle que vous portez. Et le costume me protège des méchants coups de dents des Pourris. Ils vous dévoreraient entièrement s’ils pouvaient vous attraper et vous jeter à terre. (Il se leva pour se resservir et resta debout, prenant une pose songeuse, un bras replié tandis qu’il tenait sa chope de l’autre main.) Alors vous êtes la fille de Maynard ? Votre visage me disait bien quelque chose, mais je ne vous aurais pas remise si vous n’aviez rien dit. Et, du coup, votre fils qui est parti…
— Ezekiel. Son nom est Ezekiel, mais on l’appelle Zeke.
— D’accord, d’accord. Et c’est le petit-fils de Maynard. Vous pensez qu’il est du style à en parler autour de lui ?
Briar acquiesça.
— Très certainement. Il sait que cela peut l’aider ici et il ne comprend pas complètement, je crois, combien cela peut également lui porter préjudice. Pas le fait d’être le petit-fils de Maynard, mais plutôt le lien avec son père.
Elle soupira et demanda davantage d’eau. Pendant que Swakhammer remplissait sa chope, elle expliqua :
— Ce n’est pas sa faute. Rien de tout cela ne l’est. C’est la mienne. J’aurais dû lui dire. Vous vous rendez compte, je ne lui ai jamais rien expliqué. Et, à présent, il s’est donné cette mission d’aller chercher dans le passé et de voir s’il pouvait trouver quelque chose qui valait la peine.
Une nouvelle chope d’eau amère fut posée sur la table, devant elle. Elle s’en empara et la vida à moitié.
— Alors Ezekiel est venu ici à la recherche de son père ?
— À la recherche de son père ? D’une certaine façon, oui, je suppose. Il pense pouvoir démontrer que son père était innocent s’il peut mettre la main sur quelque chose qui prouve que l’ambassadeur russe avait payé pour que le Boneshaker soit testé avant d’être parfaitement prêt. Il est venu ici pour essayer de trouver l’ancien laboratoire, afin d’avoir un moyen de laver le nom de Levi.
Briar but le reste de l’eau. Swakhammer lui en proposa encore, mais elle refusa d’un geste de la main.
— Est-ce qu’il peut le faire ?
— Je vous demande pardon ?
— Est-ce qu’il peut le faire ? Est-ce qu’il peut prouver que Blue était innocent dans l’affaire du Fléau ?
Elle secoua la tête et fut à deux doigts de se mettre à rire.
— Oh non, Dieu non, Levi était aussi coupable que Caïn.
Presque immédiatement, elle regretta d’avoir lâché cette dernière phrase. Elle ne voulait pas que son nouveau compagnon pose des questions, alors elle s’empressa d’ajouter :
— Peut-être que, au fond de lui, Zeke le sait et qu’il veut simplement voir d’où il vient, ou voir les dégâts lui-même. Ce n’est qu’un gamin, expliqua-t-elle en essayant coûte que coûte de ne pas laisser transparaître son exaspération. Dieu seul sait pourquoi il fait ce qu’il fait.
— Il n’a jamais connu son père, j’imagine.
— Non, Dieu merci.
Swakhammer s’appuya contre le dos de sa chaise face à Briar.
— Pourquoi dites-vous cela ?
— Parce que Levi n’a jamais eu l’occasion de le corrompre ou de le changer. (Ce n’était pas la seule chose qu’elle avait à dire, mais c’était tout ce qu’elle pouvait confier à cet étranger.) Je ne peux pas m’empêcher de penser que, peut-être, un jour, cette guerre à l’est se terminera, et alors je pourrais l’emmener ailleurs, à un endroit où personne ne nous connaît. Ce serait mieux, non ? Ça ne peut pas être pire qu’ici.
— Ce n’est pas si mal, ici, répondit-il avec un sourire sardonique. Regardez-moi ce palace !
— C’est horrible et vous le savez autant que moi. Alors pourquoi restez-vous ? Pourquoi vivez-vous ici ? Pourquoi d’autres personnes en font-elles autant ?
Swakhammer haussa les épaules et termina sa bière. Il reposa la chope dans une caisse et dit :
— Nous avons tous nos raisons. Et vous pouvez vous installer ici si vous voulez, ou si vous le devez. Ce n’est pas facile, mais ça ne l’est plus nulle part, de toute façon.
— Je suppose que vous avez raison.
— En tout cas, il y a de l’argent à faire. Vous êtes totalement libre, et il y a plein d’opportunités si vous savez où regarder.
— Comment ? En faisant quoi ? demanda Briar. En pillant les maisons des riches ? Un jour, il n’y aura plus d’argent. Il n’y a pas tant de choses à voler et à vendre à l’intérieur des murs, à mon avis.
Il se dandina d’un pied sur l’autre et dit :
— Il y a toujours le Fléau. Il ne va nulle part et personne ne sait qu’en faire. S’il est possible de tirer de l’argent du suc, alors ça peut servir.
— Le suc-citron tue des gens.
— Tout comme les autres personnes, les chiens, les chevaux en colère et les maladies, la gangrène et le fait de donner naissance. Et je ne vous parle même pas de la guerre. Vous ne croyez pas qu’elle tue des gens à l’est ? Laissez-moi vous dire ceci : elle en tue par dizaines et bien plus que le Fléau. Je parierai même que des milliers en sont morts.
Briar haussa les épaules, mais ne renonça pas.
— Je reconnais que vous n’avez pas tout à fait tort, mais mon fils ne va pas mourir en accouchant ou à la guerre, du moins pas encore. Pour le moment, il risque plus de succomber à cette stupide drogue, parce que ce n’est qu’un gosse et que les gosses font des bêtises. Comprenez-moi bien, je ne vous accuse de rien. Je comprends comment fonctionne le monde et je suis bien placée pour savoir ce qu’il faut parfois faire pour s’en sortir.
— Je ne vous dois pas d’explication.
— Je ne vous en demande pas, mais vous sembliez prêt à en fournir une pour votre défense.
Il repoussa la chaise et la regarda d’un air presque furieux.
— Bon, d’accord, tant que nous nous comprenons.
— Je pense que c’est le cas, oui.
Elle se frotta les yeux et se gratta la cuisse, à l’endroit où les petites plaies dues à la fenêtre la démangeaient ; au moins, elles ne saignaient plus.
— Vous êtes blessée ? demanda Swakhammer, désireux de changer de sujet.
— Ce ne sont que quelques coupures, rien de bien méchant, si ce n’est qu’elles ont été en contact avec le gaz. Vous n’auriez pas des bandages ici, par hasard ? Il m’en faudrait, ne serait-ce que pour être décente. Mon pantalon ne va pas tarder à partir en lambeaux, alors je ne serais pas contre une aiguille et du fil également.
Un large sourire apparut sur le visage de l’homme.
— On dirait que vous avez besoin d’une secrétaire ou d’un petit hôtel douillet. J’ai bien peur de ne pas pouvoir vous fournir tout cela. Mais maintenant, je sais où je vais vous emmener. Je pense que nous trouverons de quoi vous rafistoler là-bas.
La formulation déplut à Briar.
— Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? Où allez-vous m’emmener ?
— Essayez de comprendre, commença-t-il. (Il endossa son armure et mit son masque sous son bras.) Ici, c’est, disons… une communauté contrôlée. Ce n’est pas pour tout le monde et ça nous plaît comme ça. Mais, de temps en temps, quelqu’un débarque d’un dirigeable ou remonte par les conduites d’eau, et veut changer les choses. Les gens s’imaginent qu’il y a quelque chose de précieux ici et veulent leur part du gâteau.
Читать дальше