— Parce que je l’ai déjà vue et que je veux savoir comment vous vous l’êtes procurée.
— Cela ne vous regarde pas, rétorqua-t-elle.
— En effet. Et ce n’est pas non plus mon problème si vous ne passez pas de l’autre côté du mur pour aller récupérer votre fils, madame Blue.
Pendant un moment, elle eut le souffle coupé ; elle n’arrivait plus qu’à déglutir. La peur l’étranglait et elle ne pouvait plus parler. Elle finit par dire :
— Ce n’est pas mon nom.
Ce à quoi il répondit :
— Pourtant, c’est vous, non ?
Elle secoua la tête un peu trop rapidement et nia :
— Non, pas depuis qu’ils ont monté le mur. Je m’appelle Wilkes, et mon fils aussi, si vous avez besoin de lui donner un nom. (Les mots se bousculèrent ensuite dans sa bouche, mais elle ne put les arrêter.) Il pense que son père est innocent et, là-dessus, vous avez raison, il est un peu stupide. Il est allé à l’intérieur parce qu’il voulait le prouver.
— Est-ce qu’il le peut ?
— Non, répondit-elle. Parce que ce n’est pas le cas. Vous devez comprendre que Zeke n’est qu’un gamin. Il n’a rien écouté et je n’ai pas réussi à le convaincre. Il fallait qu’il aille voir par lui-même.
— D’accord, acquiesça-t-il. Il connaît la marque de Maynard, et il a trouvé un moyen pour entrer. J’imagine qu’il est passé par-dessous ?
— Oui. Mais le tremblement de terre de la nuit dernière a condamné l’ancien tunnel d’évacuation. Il ne peut plus sortir par là et je ne peux pas l’emprunter non plus. Maintenant, est-ce que vous allez m’aider à passer le mur ou pas ? Parce que, si vous ne comptez pas m’emmener, je vais devoir aller demander à quelqu’un d’autre.
Il prit son temps pour lui répondre. Pendant qu’il se décidait, il la dévisagea de la tête aux pieds d’une façon qui n’était pas vraiment insultante, mais sûrement pas flatteuse. Quelque chose l’obnubilait visiblement, mais Briar ne savait pas de quoi il s’agissait ni comment il avait deviné son identité si facilement. Elle ignorait également si Maynard pourrait lui être d’une quelconque aide à présent.
— Vous auriez dû commencer par là, lança Andan.
— Par quoi ?
— Par le fait que vous êtes la fille de Maynard. Pourquoi vous ne l’avez pas dit ?
Elle lui répondit :
— Parce que dire que c’est mon père, c’est aussi me positionner en tant que veuve de Blue. Je ne savais pas si le jeu en valait la chandelle.
— Je comprends, répondit-il.
Sur quoi il se leva. Il lui fallut quelques secondes pour se redresser car il avait beaucoup de centimètres à déplier.
Lorsqu’il fut debout sous le ventre du Naamah Chérie , Briar put constater qu’il était bien plus grand que n’importe quel homme qu’elle avait pu rencontrer dans sa vie. Très musclé et mesurant plus de deux mètres vingt des orteils au sommet de son crâne, Andan Cly n’était pas simplement gigantesque, il était terrifiant. Il n’était pas très séduisant et, lorsque Briar le regarda en entier et vit son allure d’ouvrier et sa taille hors du commun, il lui fallut tout son courage pour ne pas partir en courant.
— Vous avez peur de moi, maintenant ? demanda-t-il.
Il prit une paire de gants dans ses poches et commença à les enfiler sur ses immenses mains.
— Vous me le conseillez ? demanda-t-elle.
Il s’assura que le second gant était bien en place et se pencha pour récupérer la bouteille.
— Non, répondit-il. (Son regard fut à nouveau attiré par la boucle de ceinture.) Votre père portait ça.
— Il portait beaucoup de choses.
— Mais il n’a pas été enterré avec toutes. (Andan tendit à Briar une main qu’elle serra. Ses doigts se perdirent dans l’imposante poigne de l’homme.) Soyez la bienvenue à bord du Naamah Chérie , mademoiselle Wilkes. J’ai peut-être tort de vous emmener. Ce n’est peut-être pas la meilleure façon de s’acquitter d’une vieille dette, car j’ai bien peur de vous conduire à la mort, mais vous trouverez de toute façon un moyen pour vous rendre à l’intérieur, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Alors, le mieux que je puisse faire est de vous y préparer, je suppose. (Du pouce, il indiqua les chaudières au-dessus d’eux.) Les propulseurs seront chauds d’ici peu. Je peux vous emmener et vous faire passer de l’autre côté.
— Pour… Pour une dette ?
— Une vieille, et pas des moindres. J’étais enfermé au poste lorsque le Fléau s’est emparé du monde. Mon frère et moi avons ramené votre père chez lui. Il n’était pas obligé de faire ce qu’il a fait. (Il secoua à nouveau la tête.) Il ne nous devait rien. Mais il nous a fait sortir et, maintenant, mademoiselle Wilkes, si vous n’avez pas changé d’avis… Je vais vous faire entrer.
Zeke obéit à contrecœur aux ordres de Rudy ; il se tut et écouta. Sous eux, quelque part dans la rue, il crut entendre un frottement, un raclement. Mais il était impossible de distinguer quoi que ce soit et il se demanda si l’homme n’essayait pas simplement de lui faire peur.
— Je ne vois rien, dit-il.
— Tant mieux. Si tu les vois, c’est qu’il est probablement trop tard pour leur échapper.
— Leur ?
Rudy clarifia :
— Les Pourris. Tu en as déjà vu ?
— Oui, mentit Zeke. Plein.
— Plein ? Où as-tu pu en voir autant, là-bas, dans les Faubourgs ? Ça m’étonnerait que tu en aies seulement vu un ou deux, mais si c’est effectivement le cas, alors je suis un menteur et c’est parfait. Ici, il y en a vraiment beaucoup. Ils se promènent en meutes, comme des chiens. Et, d’après Minnericht, qui a essayé de les compter, il en existe au moins quelques milliers, tous entassés, avec nulle part où aller et rien à manger.
Zeke ne voulait pas que Rudy le voie frissonner ou avoir peur, alors il ironisa :
— Des milliers, hein ? Ça fait beaucoup. Mais qui est Minnericht, et combien de temps lui a-t-il fallu pour tous les compter ?
— Ne joue pas au plus fin avec moi, petit malin, lui lança Rudy avant de porter à nouveau la bouteille à sa bouche avec le geste futile de quelqu’un désirant boire mais ne le pouvant pas. J’essaie simplement d’être gentil et de te donner un coup de main. Si tu n’en veux pas, tu peux sauter dans la rue et aller jouer au loup avec les morts vivants pour voir si j’en ai quelque chose à faire. Laisse-moi te donner un indice : non !
— Je m’en fiche ! répondit Zeke, trop fort.
Et, quand Rudy quitta précipitamment la corniche, l’adolescent fit lui aussi un bond en arrière, tombant presque dans le trou où se trouvait l’échelle qui lui avait permis d’arriver jusqu’au toit.
L’homme remonta sa canne, qui semblait lourde, sous le menton de Zeke et gronda :
— La ferme ! Je ne le répéterai pas deux fois, parce que je n’aurai pas besoin de le faire. Si tu fais du boucan et que ça rameute les Pourris, je te jette dans la rue moi-même. Tu te mets en danger si tu veux, mais tu ne m’embarques pas avec toi. Je profitais d’un peu de paix et de tranquillité avant que tu arrives et, si tu me les enlèves, je t’arrache la tête.
Sans quitter Rudy du regard, Zeke farfouilla dans son sac, tentant de remettre la main sur son revolver. D’un coup de poignet rapide, l’homme se servit de sa canne pour enlever la bandoulière de l’épaule du garçon et expédia ainsi le sac au sol.
— Tu n’es plus dans les Faubourgs, petit. Si tu fais l’andouille là-bas, tu peux prendre un coup de bâton ou un poing dans la mâchoire. Mais si tu cherches les ennuis ici, tu finiras bouffé par les Pourris avant l’aube.
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