Le commentateur du gouvernement ne cessait de caqueter au sujet des gangs du Svastika et des voyous universalistes qui réglaient leurs différends dans les rues au grand dam du corps politique ; pourtant, Feric savait fort bien que les bons Helders, regardant la télévision dans les squares de Heldon, se fieraient cependant davantage au témoignage de leurs propres yeux qu’aux vitupérations de quelque crétin gouvernemental ; et ce qu’ils pouvaient maintenant voir sur l’écran, c’était le triomphe du Svastika. La dégénérescence avait à ce point atteint le cerveau des traîtres raciaux qu’ils faisaient de la propagande télévisée au Svastika sans même s’en rendre compte ; car le spectacle de la foule triomphale massée derrière cet emblème parlait au cœur, alors que l’aigre condamnation émise par le commentateur compassé ne pouvait que déclencher un flot de bile dans l’estomac des spectateurs.
« Il doit bien y avoir un moyen de duper ces crétins pour permettre au Parti d’avoir accès aux ondes, dit Feric. Si nous pouvions téléviser notre propre propagande dans chaque square de Heldon, nous balaierions en un ou deux mois ces dégénérés dans les égouts qu’ils méritent, loin du pouvoir.
— Même ainsi, nous avons déjà les moyens de diffuser largement nos actions », souligna Bogel.
Feric sourit, approuvant d’un signe de tête. « Quelques cadavres universalistes dans les caniveaux après un meeting, et notre couverture télévisée est assurée. »
Alors que Bogel éteignait le récepteur, Ludolf Best, mince, nerveux, blond, parfait spécimen de la race pure, époustouflant dans son habit de cuir noir et sa cape écarlate, pénétra dans le bureau, marcha résolument jusqu’à Feric, claqua des talons, salua de la voix et du geste, et se tint au garde-à-vous.
« Qu’y a-t-il, Best ? »
— Commandeur, le général de brigade Lar Waffing est là et demande à être reçu immédiatement.
— Que savez-vous de ce Waffing, Bogel ? demanda Feric.
— Personnage important, répondit Bogel. Commandant les cuirassés de l’air pendant la guerre, jeune héros à l’époque. Il a poursuivi – bien que sa famille eût une fortune considérable – une belle carrière militaire après la guerre, avant de démissionner de son grade de général de brigade pour protester contre la lâcheté politique du régime actuel. »
Ce Waffing se révélait un véritable patriote et un homme de très grand courage, pensa Feric : et, point important, il devait certainement avoir conservé une influence prépondérante dans les milieux militaires et économiques.
« Faites-le entrer, Best », ordonna Feric, qui se leva, traversa la pièce et s’assit derrière son bureau pour plus de solennité.
L’homme que Best introduisit arborait une silhouette extravagante, pour ne pas dire comique. Waffing était grand, ses traits réguliers prouvaient une grande pureté génétique, son regard était hardi, franc et viril, mais, depuis son épopée d’aviateur, l’homme s’était considérablement empâté. Il était vêtu d’une tunique grise de style militaire couverte à profusion de galons dorés, et portait un manteau bleu clair ; cet accoutrement eût été ridicule sur tout autre homme de sa corpulence. Mais Waffing dégageait une énergie et une virilité suffisantes pour le faire passer tel quel.
Les deux hommes marchèrent au pas jusqu’au bureau de Feric, et, à la joyeuse surprise de celui-ci, Waffing imita le salut de Best, l’accompagnant d’un enthousiaste « Vive Jaggar ! »
Le visage éclairé d’un sourire, Feric rendit le salut, ordonna à Best de se retirer et invita Waffing à s’asseoir sur le premier banc, aux côtés de Bogel. Quelque chose dans l’apparence de Waffing parlait à son instinct, sans aucun rapport avec l’utilité que pouvait présenter un homme de cette position.
« Je vois que vous êtes un homme à qui je peux parler franchement, Jaggar, dit Waffing d’une voix profonde et bourrue. Un homme de mon genre. J’aime ce que vous faites. Ainsi que je l’ai souvent dit moi-même, le seul moyen de venir à bout des ennemis de la pureté génétique est de leur briser le crâne, et je suis heureux de découvrir enfin à Heldon un parti préoccupé uniquement de cela. J’aime ce que vous dites, Jaggar ; j’ai dit à peu près les mêmes choses moi-même il y a de cela des années, mais je n’ai pas votre éloquence, et j’ai refusé de tremper dans la mesquinerie des manœuvres électorales. Il est manifeste que vous avez fait des Fils du Svastika non une société à fabriquer du vent, mais la vivante expression de la volonté raciale, et j’ai donc la joie de vous offrir mes services. »
Feric fut profondément touché par cette profession de foi venant d’un homme d’une telle envergure. L’honnêteté brutale de Waffing était d’autant plus convaincante qu’elle ne renfermait pas une once de fausse modestie. Seul un bel exemplaire de véritable humanité, sûr de sa propre nature de héros, pouvait aussi nettement manifester sa foi en la cause, sans arrogance ni humilité suspecte.
« Bienvenue dans les rangs du Parti, général Waffing, dit Feric. Je suis sûr que vous servirez bien la cause.
— J’en suis aussi sûr que vous ! s’écria Waffing dans un grand rire sincère. D’après les renseignements que j’ai pu obtenir sur votre organisation – et ils sont considérables, car j’ai directement accès aux rapports du Haut-Commandement – il vous manque un véritable chef militaire. Vous, bien sûr, possédez les qualités du commandant suprême, Purhomme Jaggar, mais après vous le niveau d’encadrement militaire tombe vertigineusement jusqu’aux abîmes de ce spadassin, Stopa.
— Stopa fait très bien son travail, répliqua prudemment Feric. Les crânes brisés de centaines d’Universalistes témoignent de l’efficacité et de la force des Chevaliers du Svastika sous ses ordres. »
Waffing sourit. « Sans doute, sans doute. Je suis sûr que cet homme dirige fort bien sa petite troupe. Mais vous ne pouvez sérieusement envisager de placer cet individu à la tête d’une véritable armée. »
Feric subodorait un sens caché dans ces paroles. « Les Chevaliers du Svastika sont simplement une force d’intervention privée, dit-il froidement. On ne peut pas parler d’armée.
— Je vais parler franchement, dit Waffing. Nombreux sont, au Haut-Commandement, ceux qui sont favorables aux Fils du Svastika. Mais, soucieux de préserver leurs propres positions, ils ne laisseront par les Chevaliers devenir plus puissants sous le commandement actuel.
— Sous le commandement actuel ?
— Ne vous attendez pas à ce que le Haut-Commandement fasse confiance aux intentions d’une force armée sous les ordres d’un Stopa. D’autre part, si votre groupe d’assaut était dirigé par un homme ayant la confiance des généraux, ces derniers concevraient plus volontiers que les Chevaliers du Svastika soient leurs alliés et non leurs rivaux. »
Feric ne put dissimuler un sourire. « Un homme tel que vous, Waffing ? »
Waffing arbora une fausse expression d’humilité. « Je suis un meneur d’hommes expérimenté et j’ai la confiance du Haut-Commandement. En ce qui concerne mes qualités personnelles, je ne serai pas assez présomptueux pour vous donner des conseils, Commandeur Jaggar.
— Êtes-vous le porte-parole du Haut-Commandement ? »
La réponse de Waffing fut immédiate, violente et d’une sincérité vibrante, presque fanatique. « Ma loyauté vous est acquise, à vous et aux Fils du Svastika, Commandeur ! s’exclama-t-il, ses yeux lançant des éclairs. Si vous l’ordonnez, je prendrai même un poste d’officier de latrines pour vous servir, vous et le Svastika ! Le Haut-Commandement ignore tout de ma démarche ; je vous informe simplement de l’attitude des généraux et je suggère une solution. »
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