Bogel termina son allocution par un claquement de talons et le salut du Parti, aussitôt imité par tous les Chevaliers et les dignitaires aux cris de « Vive Jaggar ! » ; les dizaines de membres du Parti éparpillés aux points stratégiques de l’immense foule firent de même, déclenchant un certain nombre de saluts et d’ovations spontanés parmi l’auditoire bon enfant. Réaction somme toute plutôt favorable.
Pendant que se prolongeaient les acclamations, Bogel quitta la tribune. Après un certain temps, Feric fit un signe de la main, et une sonnerie de trompettes domina soudain le tumulte. C’est alors que Feric monta sur la plate-forme ; trouant les ténèbres, une croix gammée de feu haute de dix mètres se détachait dans la nuit derrière lui, le baignant d’une irréelle lumière rouge, embrasant les dorures de son costume de cuir noir luisant et enflammant ses yeux au regard insoutenable.
Il percevait la puissante réalité physique du mystérieux silence qui flottait au-dessus de la foule ; face à lui, des milliers d’hommes, épaule contre épaule, le regard rivé à sa personne, et à elle seule, attendaient ses paroles. Il sentit l’irrésistible force du destin sourdre dans tout son corps et ne faire qu’un avec l’énergie de sa volonté surpuissante. Il était l’incarnation de la grande cause de sa race, la personnification de la volonté raciale, et il savait que cette masse devant lui en était consciente. Il était la volonté de Heldon, il ne pouvait pas et ne devait pas échouer.
Spontanément, les mots montèrent à ses lèvres : « Plus de mille années se sont écoulées depuis le Temps du Feu, et les mutants rôdent à présent sur la terre, contaminent l’humanité vraie par leurs gènes exécrables et dénaturés. Qui peut nier que Heldon soit un bastion de pureté raciale dans une mer universelle de pestilence ? Au sud s’étend la Borgravie, État riche en potentiel génétique, et qui a donc sa place dans le domaine de Heldon, mais elle est un État actuellement gouverné par de vils mutants et des métis qui cherchent – en mêlant les races – à éliminer toute trace du pur génotype humain sur ce territoire. À l’ouest, la Vetonie et l’Husak représentent un monceau de fumier génétique où le vrai génotype est persécuté et avili. Au-delà de ces obscénités politiques s’étalent les cloaques de Cressie, d’Arbone, de Karmath et autres, où le capital génétique n’est plus bon qu’à être totalement exterminé ; enfin, plus rien que des déserts radioactifs. Tous ces mutants et ces métis sont nos plus implacables ennemis raciaux. Mais il y a pire !…»
Feric s’arrêta pour ménager un effet, et fut alors presque submergé par la vague de puissance psychique et d’approbation profonde qui le balayait, venue des dizaines de milliers d’yeux brillants braqués sur lui comme autant de charbons ardents dans la nuit noire. Il ressentit le besoin dévorant d’en entendre plus. Le peuple de Heldon nourrissait un désir racial puissant, jusqu’alors inassouvi, pour une vérité simple et sans fard. Ils étaient totalement avec lui.
« Oui, il y a pire ! rugit Feric. À l’est, tapies derrière les farces politiques de Wolak et de Malax, il y a l’inimaginable immensité et la pourriture sans égale des trous à esclaves de Zind ! C’est là que vit la moitié de la population mutante du monde, sous le contrôle d’une poignée de Dominateurs ! De vastes ressources et une population gigantesque sous la férule des abominables Doms, dont le plus grand désir est de faire disparaître de la face du globe les derniers vestiges de l’humanité pure, pour diriger une populace d’esclaves sans âme ! Et il y a pire encore ! »
Une fois de plus, Feric fit une pause ; et l’on entendit la multitude reprendre d’un coup sa respiration. Il réveillait leurs instincts de volonté raciale et de juste indignation. Il enflammait leurs esprits par l’énoncé de la simple vérité. Il créait un noyau de puissance raciale.
« Le pire se trouve à Heldon ! reprit-il. Nous avons ici un gouvernement de couards et de mauviettes qui lèchent les bottes de la pire des canailles en proposant de recourir à l’élevage d’esclaves stupides et en relâchant la rigueur des lois de pureté génétique. Ils espèrent ainsi préserver leur propre peau sans valeur en retardant le jour de l’expiation, jour qui viendra sûrement. À Heldon, où se trouve l’ultime espoir du pur génotype humain, se trouve un gouvernement d’imbéciles qui flirtent avec les Universalistes puants, tout en sachant fort bien que l’Universalisme est une machination des Dominateurs de Zind. À Heldon, patrie de la pureté humaine, nous sommes infestés par d’innombrables Doms, fanatiquement et inhumainement voués à notre destruction totale ! »
Cette fois, lorsque Feric s’interrompit, ce ne fut pas le silence, mais une grande confusion de voix furieuses qui lui fit écho. Une forêt de poings s’agita, et il s’éleva une clameur puissante, exprimant tout à la fois indignation et approbation. Les plus profonds instincts raciaux de la foule étaient à présent entièrement sortis de la léthargie où ils avaient été traîtreusement maintenus. L’air était chargé d’un puissant magnétisme, révélant aussi une grande soif pour le sang des Dominateurs.
« Ce dont nous avons besoin, c’est d’une nouvelle volonté fanatique de préserver la pureté raciale de Heldon ! Ce qu’il nous faut maintenant, c’est un gouvernement animé de la volonté irrépressible de purger, par le fer et par le feu, Heldon du dernier Dom et du dernier gène contaminé ! Ce qu’il nous faut maintenant, c’est une politique extérieure consacrée à la conquête totale, par les forces de la véritable humanité, du dernier pouce de terre habitable sur la surface de la terre. Ce qu’il nous faut maintenant, c’est un nouveau parti à la puissance héroïque et au zèle fanatique, capable de rejeter la canaille actuelle hors des allées du pouvoir et dans les poubelles de l’Histoire ! Ce qu’il nous faut maintenant, c’est un pouvoir capable de conduire le peuple de Heldon à une victoire écrasante et définitive sur tous les Doms, les mutants et les métis qui s’opposent à nous ! Ce qu’il faut à Heldon maintenant, c’est le soutien fanatique de tous les vrais hommes aux Fils du Svastika ! »
Un cri irrésistible monta de la foule. Plus de dix mille bras se levèrent encore et encore, dans un salut spontané. Feric laissa cette manifestation sincère s’exprimer pendant un bon moment, gardant le regard braqué au-dessus de la multitude frénétique, silhouette virile dans le halo orange vif du svastika géant qui dominait le ciel.
Puis, d’un geste large et dramatique, il leva la Grande Massue de Held et tendit devant lui l’arme dorée, zébrée d’éclairs, pour le salut du Parti. Des murmures et des soupirs montèrent de la foule lorsqu’elle reconnut, peu à peu, le légendaire Commandeur d’Acier. Puis ce fut le silence.
La tête brillante de l’arme de Feric intercepta la lueur du feu et s’embrasa comme un petit soleil lorsqu’il la leva très haut au-dessus de sa tête. Alors, forçant la voix au maximum, il lança d’un ton solennel : « Je tiens dans ma main la Grande Massue de Held, et j’exige de régner seul et sans contestation sur Heldon et au-delà, non pas seulement pour moi-même mais au nom du Svastika ! Je voue ma personne, les Fils du Svastika et cette arme sacrée à la purification de Heldon par le sang et le fer et à l’instauration de l’autorité totale de l’humanité pure, sur la surface de la Terre tout entière ! Nous ne connaîtrons de trêve que le dernier gène mutant n’ait été balayé de la surface de la planète ! »
Comme par miracle, une seule voix parut jaillir de cette foule innombrable pour clamer : « Vive Jaggar ! Vive Jaggar ! Vive Jaggar ! » La puissance de ce cri, qui semblait porté par un océan de bras levés, était telle qu’on l’eût crue capable de fendre les cieux et de dompter les dieux eux-mêmes.
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