— Au contraire, coupa Feric, dans un futur proche nos troupes d’assaut fonceront dans cette zone pour massacrer les Doms cachés responsables de ce crime contre l’humanité pure.
— Personne n’a jamais réussi à extirper tous les Doms de ce labyrinthe, dit Bogel. Ils sont partout et nulle part.
— Alors, nous briserons des crânes jusqu’à ce que l’amélioration de la situation prouve que nous les avons tous exterminés. Le seul moyen de détruire des champs de dominance bien ancrés est d’utiliser la force brutale avec enthousiasme, et sans trop de discrimination. »
Alors que la colonne parcourait les rues malpropres devant les jardins à l’abandon et les logements sales, Feric se jura de soustraire à l’emprise des Doms le plus possible de ces malheureuses créatures, pour leur faire retrouver la condition de véritables Helders. Quant à ceux trop atteints déjà pour être libérés des structures dominantes, les tuer serait un acte de miséricorde, à en juger par leur situation actuelle.
Alors que les derniers rayons de soleil coloraient de mauve et orange les collines de l’ouest et que s’allumaient les lumières de la ville, la voiture de Feric, suivie de la colonne motorisée, remonta la large avenue qui pénétrait par le sud dans le parc Brammer. Là, sur le sommet érodé d’une colline en pente douce, à la limite sud du parc, Feric devait s’adresser au premier rassemblement de masse des Fils du Svastika.
La colline se distinguait très nettement au bout de l’avenue, et Feric pouvait apercevoir le svastika de fagots enflammés, haut de six mètres, qui embrasait la crête, tel un glorieux fanal. Un vaste demi-cercle de torches hautes de trois mètres soulignait cet emblème prodigieux ; la voiture n’étant plus qu’à quelques pâtés de maisons du parc, Feric discerna la tribune basse flanquée d’immenses drapeaux écarlates frappés du svastika et, juste devant le feu-symbole, la masse des dignitaires du Parti, revêtus de cuir noir, à droite de la tribune, et, à gauche, l’orchestre militaire engagé pour la circonstance, et revêtu de l’uniforme des Chevaliers. Tout semblait prêt.
Tournant la tête, Feric aperçut les colonnes jumelles de motos, les bannières au svastika écarlate et les capes flottant dans le vent comme une immense forêt de feu ; le rugissement formidable des moteurs faisait vibrer jusqu’aux molécules de l’air. Au bas de l’avenue, derrière sa troupe d’assaut, il distingua une vaste turbulence de paquebus, de voitures à essence, de camions à vapeur et de bicyclettes bloquant le passage d’un trottoir à l’autre, et, derrière ces véhicules, une multitude de Helders qui se pressaient pour assister au spectacle. D’évidence, le rideau était levé pour un tournant de l’Histoire !
Lorsque la voiture de Feric approcha de la colline, les Chevaliers du Svastika exécutèrent une splendide manœuvre : les deux colonnes de motos accélérèrent, tandis que le chauffeur de Feric levait légèrement le pied, et la voiture de commandement se trouva bientôt flanquée d’une double ligne de troupes d’assaut motorisées. Quand la procession atteignit le pied de la colline où le svastika géant et la rangée de torches se détachaient en un flamboiement majestueux sur le ciel assombri, un autre mouvement s’exécuta. Les deux motards porte-drapeau de tête se replièrent vers l’intérieur du cortège, précédant ainsi immédiatement la voiture de commandement noire et luisante. Aussitôt les deux colonnes s’écartèrent de la voiture et de sa garde d’honneur, quittèrent l’avenue et, à pleins gaz, escaladèrent la colline vers le feu qui la couronnait. Gravissant la pente herbeuse, la double file s’étira et, lorsque les deux motards de tête s’arrêtèrent avec ensemble à trois mètres de la tribune, tous les autres les ayant imités, les deux colonnes de motos à l’arrêt formaient une haie d’honneur qui allait de la base au sommet de la colline.
À l’entrée de ce couloir, la garde d’honneur et la voiture de commandement attendirent, moteur au ralenti, que la foule en effervescence fût arrivée sur les lieux. De sa place, Feric distinguait parfaitement Bluth, Haulman, Docker et Parmerob debout à droite de la tribune, épaule contre épaule, resplendissants dans leurs uniformes noirs et chromés. Stopa se détachait nettement dans son uniforme brun de Chevalier, isolé, à quelques mètres du groupe.
L’avenue, derrière la voiture de Feric, devenait rapidement le théâtre d’un pandémonium bon enfant ; les véhicules à moteur arrivés les premiers dégorgèrent leurs occupants, les cyclistes mirent ensuite pied à terre, et enfin une énorme foule de piétons, dix mille au bas mot, vinrent s’agglutiner, recouvrant chaque pouce de terrain disponible. Tous criaient, s’interrogeant mutuellement dans un grand tohu-bohu, mais personne n’osait s’aventurer sur la colline où s’étirait la haie des Chevaliers. Ceux-ci faisaient par intervalles vrombir leurs moteurs, et le son métallique aigu perçait comme une lame le tumulte des voix.
Lorsqu’il jugea le moment psychologique venu, Feric frappa légèrement l’épaule de Bogel, qui tapota celle du Chevalier placé à la droite du chauffeur, lequel leva son bras pour le salut du Parti.
Aussitôt, l’orchestre placé au sommet de la colline attaqua un air vif et martial, et les deux motards porte-drapeau entreprirent d’escalader la colline entre la haie d’honneur, brandissant chacun un drapeau à svastika. La voiture de Feric gravit la pente à leur suite vers le croissant de feu, chaque paire de Chevaliers exécutant à son passage le salut du Parti pour reprendre ensuite sa position initiale, de telle manière que, lorsque les porte-drapeau atteignirent le sommet, firent volte-face et s’immobilisèrent, les deux colonnes s’étaient reformées, prolongées des deux drapeaux du Parti à leur extrémité. Quand la voiture de Feric fit halte devant les porte-drapeau, les deux colonnes se séparèrent pour former un demi-cercle de motos sur la pente, à six mètres du croissant de torches, sorte de barrière de sécurité entre la tribune et la foule des citoyens qui commençaient à envahir la colline.
Sans cérémonial superflu, Bogel et Dugel descendirent de voiture et se joignirent aux autres fonctionnaires du Parti, à côté de la tribune. Feric attendit à l’intérieur que la cohue ait atteint le cercle des motos.
Il descendit alors lentement. À l’instant où son pied touchait terre, tous les fonctionnaires et Chevaliers étendirent le bras droit pour faire le salut du Parti, et un rugissement massif, comme issu du fond des cœurs, emplit l’air : « Vive Jaggar ! »
Ils gardèrent la position jusqu’à ce que Feric eût atteint la tribune, la voiture étant en même temps conduite derrière la grande croix gammée de feu, afin de ne pas nuire au spectacle. Sans monter sur la plateforme, Feric fit face à la multitude des Helders agglutinés sur les flancs de la colline : une énorme assistance, ce qui favorisait son projet. Il s’arrêta pour ménager un effet, fit mine d’inspecter les gens massés en dessous de lui et de les trouver à son goût. Puis il étendit le bras pour le salut du Parti.
Instantanément jaillit à nouveau le cri de « Vive Jaggar ! », accompagné d’un claquement de talons, puis les bras des Chevaliers et des fonctionnaires du Parti reprirent leur position initiale.
Feric, debout à côté de la tribune, la main droite délicatement posée sur la garde du Commandeur d’Acier, fixait un regard décidé sur la foule immense, tandis que Bogel montait sur la plate-forme pour faire un bref discours de présentation.
« Je ne vous parle pas ce soir en tant que chef du Parti de la Renaissance Humaine, car ce parti n’est plus. Comme le phénix de la légende, voici que de ses cendres renaît quelque chose de plus grand et de beaucoup plus glorieux, c’est-à-dire l’ultime, la véritable expression de la volonté raciale de Heldon, un nouveau parti, une nouvelle croisade, une nouvelle cause – les Fils du Svastika ! Et voici, pour diriger cette force toute-puissante, un nouveau chef, un homme nouveau, un héros au sens le plus pur du terme, je veux parler du Commandeur des Fils du Svastika, Feric Jaggar ! »
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