Sur quoi, même Remler l’idéaliste se joignit aux applaudissements de toute l’assemblée. L’instrument de la victoire finale était forgé, il serait manié avec un fanatisme aveugle et une force irrépressible.
Le stade municipal de Heldhime était un grand ovale de béton qui pouvait contenir environ cent mille personnes. Au soir du premier rassemblement de masse des Fils du Svastika dans la capitale, toutes les places disponibles se trouvaient occupées par une masse compacte d’hommes purs. Le sommet de la tribune d’honneur, ainsi que le mur intérieur du stade, étaient pavoisés de resplendissants svastikas rouges, blancs et noirs, qui conféraient à cette réunion une ambiance de fervent patriotisme.
Une tribune avait été dressée exactement au centre du terrain ; c’était un simple cube de bois peint en blanc, de trois mètres de côté. Juché dessus, l’orateur serait parfaitement visible de tous les coins du stade.
Autour de la tribune, et submergeant le stade, une mer d’uniformes et de feu. Huit mille Chevaliers du Svastika en uniformes de cuir brun se tenaient au garde-à-vous, portant des torches. Au milieu d’eux, deux mille Soldats du Svastika, dans leurs uniformes de cuir noir et leurs capes noires, formaient une grande croix gammée humaine centrée sur la tribune. Comme la formation de S.S., elle, ne portait pas de torches, l’aspect du stade, du haut des tribunes où Feric avait fait placer des caméras de télévision, était celui d’un grand cercle de feu frappé d’un svastika noir géant qui brillait comme un métal fantastique à la lueur des torches. La tribune, d’un blanc immaculé, se dressait au centre de cet immense svastika noir, comme l’axe de l’univers.
À l’intérieur de la tribune, Feric attendait avec Lar Waffing le début du meeting. Il sentait monter en lui une exaltation presque insupportable ; ce rassemblement de masse pour l’annonce de sa candidature constituait le point culminant de la semaine la plus excitante qu’il eût vécue depuis son entrée à Heldon. Sa première visite à la plus grande ville du monde, à l’architecture majestueuse et à la technologie avancée, avait été fort émouvante en elle-même, mais actuellement Heldhime était à tous points de vue le centre du pouvoir à Heldon. Là siégeait le Conseil, là étaient installés les ministères, le Haut-Commandement et la plupart des entreprises industrielles de la Grande République. La recherche scientifique d’avant-garde et les installations de production y avaient trouvé place. Ici, les rênes du pouvoir attendaient d’être saisies.
Waffing avait introduit Feric dans les cercles de la haute économie et l’avait présenté aux membres importants du Haut-Commandement. De nombreux industriels avaient versé des fonds dans les coffres du Parti, et, comme un seul homme, les généraux s’étaient révélés les ennemis des Universalistes et des Doms ; beaucoup admettaient ouvertement qu’ils avaient toujours rêvé du jour où il leur serait ordonné d’écraser cette vermine. Feric les avait quittés sur la promesse solennelle que, aussitôt qu’il serait devenu chef de Heldon, leurs vœux seraient exaucés.
La réputation de Feric l’avait précédé dans la capitale, et de petits groupes de citoyens se formaient autour de lui dès qu’il apparaissait en public. Des officiers qu’il n’avait jamais vus lui adressaient avec enthousiasme le salut du Parti. S’étant rendu au théâtre, il avait vu le public, debout, le gratifier d’une ovation de trois minutes alors qu’il prenait place dans sa loge.
Aussi attendait-il le début du meeting avec un enthousiasme anticipé et une absolue confiance en lui-même.
Alors que débutait la retransmission télévisée, Lar Waffing, massif et impressionnant dans son uniforme noir et sa cape à croix gammée rouge, lui serra la main afin de lui souhaiter bonne chance, puis gravit l’escalier en soufflant pour apparaître à la tribune, accueilli par un tonnerre d’applaudissements et une forêt de saluts. L’heure fixée par le destin avait sonné ! À cet instant même, Bogel se préparait à parler dans le Parc de Walder’s Arn, où des milliers de gens se pressaient autour du récepteur public pour entendre le discours de Feric. À la lueur des torches, autant de meetings semblables se tenaient autour des récepteurs publics de chaque ville, bourgade ou village de Heldon, et les cadres des Fils du Svastika se préparaient à cet instant même à annoncer Feric.
Waffing s’approcha du micro et, du geste, commanda le silence, qui s’établit aussitôt dans le stade bondé. L’introduction de Waffing fut étonnamment courte et concise :
« Fils du Svastika, compatriotes, vrais Helders, je vous présente le Commandeur suprême des Fils du Svastika, notre grand et glorieux chef, Feric Jaggar ! »
Ce fut un beau charivari dans le stade. L’immense foule hurlait jusqu’à s’en arracher les cordes vocales et une mer de torches s’agitait follement, pendant que les S.S. du grand Svastika noir exécutaient salut sur salut avec un synchronisme parfait. Lentement, Feric monta les marches et apparut à la tribune dans un terrifiant univers de feu, d’applaudissements et de bras levés. À la vue de cette silhouette de légende dans son uniforme collant noir et chromé, sa cape à svastika rouge flottant majestueusement derrière lui, la Grande Massue de Held gainée suspendue à sa ceinture de cuir cloutée et deux éclairs rouges gravés sur chacune de ses hautes bottes noires, l’enthousiasme de la foule gravit encore un degré dans la frénésie.
Feric tapota l’épaule de Waffing, qui lui cédait la place, et se retrouva seul sur la plate-forme blanche, au centre du grand svastika noir brillant dans l’océan de torches. Il était à présent totalement noyé dans les cris, et les saluts, point de mire sur lequel se concentrait l’esprit des milliers de gens qu’il apercevait autour de lui et de millions d’autres qui guettaient ses paroles dans tout le pays. Le rugissement de la foule était, par son intensité et sa qualité, pareil au légendaire tonnerre ébranlant le ciel des Anciens ; il enveloppait Feric d’une grandeur mythique.
Debout, symbolisant dans l’espace et le temps ce tournant de l’Histoire, son âme au centre d’une mer de feu patriotique, Feric sentit la puissance de sa destinée cosmique couler dans ses veines et le remplir de la volonté raciale du peuple de Heldon. Il était réellement sur le pinacle de la puissance évolutionniste ; ses paroles guideraient le cours de l’évolution humaine vers de nouveaux sommets de pureté raciale, et ce par la seule force de sa propre volonté. De ses lèvres sortirait la voix collective de l’humanité pure. À ce moment précis, il était le Parti, il était la volonté raciale. Il était Heldon.
Au point culminant de l’ovation, Feric étendit le bras pour le salut du Parti, et le silence quasi instantané qui s’établit alors fut presque plus terrifiant que le tumulte qui l’avait précédé. Le souffle du monde entier semblait suspendu dans l’attente de ses paroles.
« Amis Helders, dit-il simplement, l’écho de sa voix dans le stade comblant le silence profond, je suis devant vous aujourd’hui pour annoncer ma candidature au Conseil d’État. Je me présente seul en tant que messager des Fils du Svastika, non pas pour me traiter d’égal à égal avec les dégénérés qui mènent cette farce, mais plutôt pour rejeter ce gang de traîtres et de couards invertébrés dans les égouts de l’Histoire. L’élection d’une majorité à croix gammée au Conseil ne parviendrait pas à sauver l’humanité pure des périls qui la menacent ; même un Conseil composé uniquement de Fils du Svastika n’y suffirait pas. Les défis héroïques appellent des actes héroïques ! »
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