Un silence méfiant accueillit ces paroles.
— Le Hiérarque estimera peut-être nécessaire de venir s’assurer par lui-même de l’étendue de cette catastrophe.
— Dans l’éventualité où le Hiérarque nous aurait honorés de sa présence, nous avons déjà fait évacuer l’hôtel. Ces incendies, d’une violence exceptionnelle, ont provoqué partout des dommages considérables. On déplore la destruction de sept hameaux dont les habitants ont trouvé refuge dans notre ville. Nos capacités d’hébergement ne sont pas illimitées.
— Malgré cette situation difficile, le Hiérarque choisira peut-être de séjourner dans vos murs, plutôt qu’à l’hôtel.
— Il sera le bienvenu. Dites-lui pourtant qu’une maladie sévit parmi la population. Il souhaitera sans doute s’en tenir à l’écart.
Rien ne bougea sur le visage du Séraphin. Une nuance de contrariété se glissa dans sa voix lorsqu’il répondit, après un nouveau silence :
— Le Hiérarque sera informé de ce détail ; son secrétariat vous communiquera sa décision.
Le petit détachement prit ses quartiers dans l’hôtel. Prudent, le Hiérarque resta dans son astre ; le lendemain, Roderigo Yrarier était convoqué.
Marjorie insista pour l’accompagner.
— Soyons courtois sans obséquiosité, ménageons sa sensibilité, dit-elle. Ce nouveau Hiérarque n’est pas susceptible de mouvements de sympathie, il ne t’a pas fait sauter sur ses genoux quand tu étais enfant. Un homme aussi intrigant et machiavélique doit avoir la manie de la persécution.
S’il éprouvait de la méfiance à leur égard, le Hiérarque n’en laissa rien paraître, bien qu’il les reçût à l’abri derrière un écran isolant sur lequel il attira leur attention.
— Cette mesure de protection peut vous paraître blessante. Elle me fut imposée par mes conseillers, murmura-t-il sur un ton d’excuse.
— On ne saurait être trop prudent, reconnut Rigo.
— Où en est votre enquête, Messire Yrarier ? L’épidémie s’est-elle déclarée sur la Prairie ? La planète est-elle protégée, oui ou non ?
— On a dû vous signaler l’apparition de nombreux cas d’une maladie encore inconnue qui n’a peut-être rien à voir avec l’épidémie. En ce qui concerne la soi-disant immunité dont jouirait cette planète, voici, en peu de mots, ce que nous avons appris. Il fallait en dire le moins possible, tout en serrant la vérité au plus près, songea-t-il, sachant que des détecteurs de mensonges devaient être braqués sur eux. Un sous-dignitaire du Saint-Siège rendait visite à sa famille. L’un de ses parents occupe à Shafne les fonctions de contrôleur spatial. Sa journée de travail terminée, il lui arrive de faire halte dans un débit de boissons fréquenté par les équipages des vaisseaux. C’est ainsi qu’il a recueilli de la bouche d’un mécanicien navigant dont le nom lui échappa un curieux témoignage. À bord de son vaisseau, lui révéla le mécanicien, se trouvait un passager si malade qu’il avait dû être placé en quarantaine. Il advint que ce bâtiment, dont le nom ne m’a pas été révélé, fit escale sur la Prairie, où il demeura pendant quelque temps. Lorsqu’ils atteignirent leur destination suivante, l’homme était complètement rétabli. Le dignitaire nous a raconté cette histoire peu après son retour de vacances. Quant au mécanicien, il devait succomber peu après, victime de l’épidémie.
— Est-ce tout ?
— Si l’on admet la véracité de ce témoignage de seconde main, rien ne permet d’affirmer que l’homme doit sa guérison miraculeuse au séjour qu’il a fait sur la Prairie, sans quitter sa chambre, soit dit en passant, fit observer Marjorie. De même, il pouvait être atteint d’un mal ordinaire dont les symptômes s’apparentaient à ceux que présentent les sujets touchés par l’épidémie. Aussi, gardons-nous de tirer des conclusions trop optimistes.
Le Hiérarque les gratifia d’un regard impassible.
— Qu’en est-il des recherches entreprises sur les ruines du Monastère ? Y a-t-il des rescapés ?
— Quelques-uns, dit Rigo. Comprenant que les secours se concentreraient autour du lieu du sinistre, ceux qui avaient fui reviennent peu à peu.
— Vous êtes toujours sans nouvelles du Révérend Jhamlees Zoe, le Supérieur de la communauté ?
Rigo se contenta de secouer la tête, craignant que sa voix ne trahît son soulagement.
— Je reste, annonça le Hiérarque. Tout espoir n’est pas perdu de le retrouver. Quant à vous… ajouta-t-il, effleurant Rigo d’un œil hautain, peut-être un indice se présentera-t-il, qu’il vous suffira de ramasser.
Dans la navette qui les ramenait au spatioport, Marjorie garda longtemps le silence.
— Ce passager placé en quarantaine, murmura-t-elle, bien qu’il soit demeuré calfeutré pendant toute la durée de son séjour ici, crois-tu qu’il absorbait de la nourriture locale ?
— Sans doute, murmura Rigo. D’un coup d’œil, il lui signifia de ne pas en dire plus en présence du pilote et des soldats. Ceux-ci, une demi-douzaine, les escortèrent jusqu’au poste de police.
— L’ Israfel est un véritable arsenal ! s’écria Marjorie. Si l’envie en prenait au Hiérarque, il ne ferait qu’une bouchée de la Prairie !
— Ce n’est pas dans ses intentions, rétorqua Rigo. Pas encore.
— Que fera-t-il, à votre avis ? s’enquit Roald Few.
— À sa place, je me garderais d’apparaître comme un belliciste. Par contre, sans perdre de temps, j’expédierais mon équipe de chercheurs sur la planète.
Il ne se trompait pas. Deux jours plus tard, précédés d’une section commandée par un Séraphin à huit angelots et suivis d’une formidable batterie d’ordinateurs, les savants occupaient l’hôpital.
Tout le monde avait assisté, de loin, à ce formidable déploiement de forces.
— Ils trouveront, déclara Marjorie, impressionnée. Pourvu que le docteur Bergrem soit plus prompte !
Au milieu de la nuit, alertée par un bruit, elle se leva, enfila un saut-de-lit et passa dans la chambre de Rigo. Stupéfaite, elle trouva celui-ci en tête à tête avec Rillibee.
— Pourquoi êtes-vous revenu ? Que se passe-t-il ? demanda-t-elle, sur le qui-vive.
— J’aimerais pouvoir vous donner une réponse précise. Les renards ont envahi la forêt, ils sont partout. Dans un charivari assourdissant, grognements, feulements, tacs-tacs de griffes, brassages d’idées, ils tiennent conseil. Ils débattent d’une question capitale et semblent sur le point de prendre une décision. L’un d’entre eux vous réclame, Lady Westriding. Mainoa a laissé entendre que vous ne seriez peut-être pas en mesure de venir aussitôt. À défaut, il se contenterait du Père James. Je suis venu le chercher, ainsi que l’autre prêtre, si celui-ci veut bien nous suivre.
Marjorie avait levé les yeux sur la fenêtre de la chambre, un carré noir. Forêt, dévoilée par la foudre d’une pensée ! L’air vint à lui manquer.
— Je ne puis m’absenter sans éveiller les soupçons du Hiérarque, fit-elle à mi-voix.
Rillibee ne disait rien. Il regarda Rigo, puis Marjorie, puis ses mains qu’il tenait croisées devant lui.
— J’ai une prière à formuler, murmura-t-il. J’ai l’intention d’emmener Stella dans la cité des arbres.
Marjorie fit entendre un profond soupir. Depuis qu’elle avait quitté la tente, Stella ne montrait aucun signe d’un retour à la normale. Enfant mélancolique, remarquable par sa docilité, elle n’avait rien de commun avec l’altière adolescente que Rillibee avait entrevue pour la première fois un jour de discorde.
— Êtes-vous passé la voir ? Elle est méconnaissable.
— Elle est charmante, corrigea Rillibee. Une charmante petite fille.
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