— « Je n’en crois pas un mot ! » déclara Hiram. « Nous avons affaire à une perfide conspiration et… »
La sonnerie du téléphone l’interrompit. Sherwood décrocha.
— « Brad, c’est encore Alf qui te demande, » dit-il en me tendant l’appareil.
Je traversai la pièce et empoignai l’écouteur.
— « Allô, Alf ? »
— « Je croyais que tu devais me rappeler ! »
— « Je suis désolé mais j’ai eu un empêchement. »
— « J’ai dû partir. On évacue tout le monde. Je suis actuellement dans un motel près de Coon Valley. Un établissement de dernier ordre. Je repars pour Elmore mais je voulais d’abord prendre contact avec toi. »
— « Tu as bien fait. J’ai un certain nombre de choses à te demander. À propos de Greenbriar. »
— « À ta disposition. Que veux-tu savoir ? »
— « De quel genre de problèmes as-tu eu à t’occuper là-bas ? »
— « Oh ! des problèmes de toutes sortes. »
— « Avaient-ils trait aux plantes ? »
— « Aux plantes ? »
— « Oui… Aux fleurs, aux herbes, aux légumes… »
— « Je vois. Laisse-moi réfléchir. Oui, j’ai effectivement eu à répondre à des questions relatives à la vie végétale. »
— « Par exemple ? »
— « Eh bien… Il m’a été demandé un jour si une plante peut être intelligente ? »
— « Et quelle a été ta conclusion ? »
— « Allons, Brad ! Tu es ridicule ! »
— « Réponds-moi, Alf. C’est important. »
— « Bon… Comme tu voudras. La seule conclusion admissible était que la chose est impossible. Une plante n’a pas de motivations. Pourquoi lui faudrait-il être intelligente ? D’ailleurs, elle n’en tirerait aucun avantage puisqu’elle ne pourrait utiliser ni son intelligence ni son savoir. En outre, la structure d’un végétal lui interdirait d’être intelligent. Il lui manque certains sens, la conscience de son environnement, un cerveau pour recueillir les informations, un mécanisme intellectuel… »
— « Et c’est là le seul problème de botanique qui t’ait été soumis ? »
— « Non, il y en a eu un autre. Comment développer une méthode sûre de destruction d’herbes nocives dont on sait qu’elles ont un coefficient d’adaptation élevé et la capacité d’acquérir en un laps de temps relativement court les moyens d’immunisation susceptibles de maintenir leur survivance ? »
— « Cela me paraît impossible. »
— « Il y a quand même un moyen, mais bien précaire. »
— « Lequel ? »
— « L’irradiation. »
— « Il est donc exclu que l’on puisse éliminer radicalement une espèce végétale opiniâtre ? »
— « Je ne sais pas. En tout cas, l’homme n’a pas ce pouvoir. Mais où veux-tu en venir, Brad ? »
— « Il se peut que nous nous trouvions en face d’une situation de ce type. » Et je lui fis un rapide petit topo sur les Fleurs.
Il siffla doucement. « Cela me fait penser à une autre question qui m’a été posée et ça concorde avec ton truc : comment opérer pour entrer en rapport avec une forme de vie étrangère ? Crois-tu que le projet Greenbriar… »
— « Aucun doute. Il est coiffé par les mêmes personnes qui ont organisé le réseau téléphonique. Mais qu’as-tu répondu à cette question ? »
— « Il y a une infinité de réponses. Tout dépend de la nature précise de la forme de vie qui se présente. Et il y aura toujours un certain coefficient de danger. »
— « Je vais couper, maintenant, Alf. Je ne suis pas seul. Tu repars pour Elmore ? »
— « Oui. Je te téléphonerai à mon arrivée. Tu seras là ? »
— « Où veux-tu que j’aille ? »
Dès que j’eus raccroché, Higgy se leva et déclara, l’air important : « Il faut nous préparer à recevoir le sénateur. Le mieux serait que je désigne un comité d’accueil. Vous tous, mesdames et messieurs. Et peut-être quelques autres notabilités, le Dr Fabian, par exemple… »
Sherwood l’interrompit dans son élan :
— « Monsieur le maire, il ne s’agit ni d’une affaire municipale ni d’une visite protocolaire. Gibbs a besoin de voir une seule personne : Brad. Brad seul est en possession des renseignements indispensables qui intéressent le sénateur… »
— « Mais je voulais seulement… »
— « Nous savons tous ce que vous vouliez, monsieur le maire. Si Brad désire qu’un comité d’accueil soit constitué, c’est à lui qu’il appartient de le désigner. »
— « Mais, représentant élu de Millville, j’ai officiellement le devoir… »
— « Dans les circonstances présentes, vous n’avez aucune responsabilité officielle. »
— « Monsieur le maire, » gronda Preston. « Il est inutile de jouer au plus fin. Autant dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas : il y a un complot. Brad en fait partie. Stiffy également et… »
— « Si complot il y a, » s’écria Sherwood, « eh bien, j’y suis impliqué également : c’est moi qui fabrique ces téléphones. »
Higgy avala péniblement sa salive. « Pardon ? »
— « C’est moi qui fabrique ces téléphones, » répéta Sherwood.
— « Alors, vous étiez au courant de tout ? »
Gerald Sherwood hocha la tête. « Je ne savais absolument rien. Je fabriquais les téléphones, c’est tout. »
Le maire s’affala au fond de son fauteuil en se tordant les mains. « Je ne comprends pas… Je ne comprends rien. »
Mais si, il comprenait ! Il comprenait enfin qu’il ne s’agissait pas d’événements peut-être inhabituels mais naturels qui se tasseraient avec le temps et feraient de Millville une curiosité touristique. Il comprenait enfin que la ville, que le monde entier étaient confrontés à un problème dont le règlement exigeait autre chose qu’un peu de chance et les bons offices de la Chambre de Commerce de Millville.
Je me tournai vers Higgy. « Il faut que vous me rendiez mon téléphone, le téléphone sans cadran. »
Le maire regarda Hiram.
— « Pas question, » s’écria ce dernier. « Cet individu a fait assez de mal comme ça ! »
— « Allons, messieurs, » fit le père Flanagan. « Nous avons tous tendance à nous conduire de façon déraisonnable. À mon sens, il serait bon que nous reprenions cette affaire point par point et que… »
Brusquement, il se tut, prenant soudain conscience d’un bruit que, jusqu’à présent, personne n’avait remarqué. Il semblait qu’un métronome géant se fût mis en branle, son tic-tac faisant vibrer la maison tout entière. Je réalisai que cela durait déjà depuis un certain temps et que je m’étais vaguement demandé ce qu’était ce cliquetis feutré que j’entendais sans très bien m’en rendre compte. Mais à présent, le son s’enflait de seconde en seconde et devenait un tumulte terrifiant.
Nous bondîmes tous sur nos pieds quand des éclairs illuminèrent les murs de la cuisine.
— « Je le savais ! » brailla Hiram en se ruant en avant. « Je savais que c’était dangereux ! »
Je m’élançai derrière lui. « Attention ! N’approchez pas ! »
La machine temporelle flottait au-dessus de la table.
J’empoignai Hiram par le bras pour le tirer en arrière mais il me repoussa et sortit son pistolet.
L’engin s’élevait doucement, dégageant des ondes d’énergie d’une intensité formidable.
— « Non ! » hurlai-je, épouvanté à l’idée que l’appareil pourrait se fracasser en heurtant le plafond.
Il ne se fracassa pas. Il traversa l’obstacle et, les yeux écarquillés, je contemplai avec effarement le trou parfaitement circulaire qu’il avait découpé dans le plâtre.
Derrière moi, j’entendis le bruit d’une bousculade. Une porte claqua. Je me retournai : il n’y avait plus que Nancy au salon.
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