Il redescendit, chercha à pied, par cercles concentriques. Enfin il la trouva. Elle s’était défendue jusqu’au bout, à coup de grenades. Six crabes écrasés, déchiquetés, par les explosions, l’entouraient. Son casque avait été broyé par une pince, mais la tête était intacte. Du sang avait jailli des oreilles et du nez. Il se pencha, l’enleva dans ses bras, et chargé de son fardeau funèbre, revint au 502. Successivement, il y rapporta les deux martiens. Puis, la rage au cœur et les yeux secs, il fonça à pleine vitesse, dans la direction des pylônes.
Il rentra à Anak tard dans la nuit. Prévenus de son retour, Anaena et Loi l’attendaient.
— Alors ? interrogea ce dernier.
— Regarde !
Des aviateurs étaient en train de sortir les cadavres de l’avion souterrain.
— Pauvre Louis, dit Anaena. Doit-on le prévenir ?
— Je m’en charge, dit Bernard.
Ils le mirent au courant des décisions du Conseil.
— Soit, j’accepte le commandement des brigades souterraines, mais je veux être libre d’agir.
— Tu as toute liberté, dit Loi doucement.
Bernard prit l’ascenseur, et pénétra dans la salle commune. À la lueur d’une veilleuse, Sig travaillait. Paul était absent, au labo. Ray et Louis dormaient. Louis avait un vague sourire sur les lèvres. Bernard le regarda avec pitié. Puis il toucha l’épaule de Sig, qui ne l’avait pas entendu entrer.
— J’ai retrouvé Hélène, morte. Mais elle s’est bien défendue. Elle et ses compagnons sont à la gare aérienne n° 2. Avertis les autres.
— Et toi ?
— Je gagne immédiatement mon poste de combat.
— J’ai fait démonter trois mitrailleuses du Jules Verne. Elles t’attendent, avec des affûts mobiles, à l’arsenal, avec trois de tes officiers.
— J’y vais.
— Tu ne veux pas voir Ingrid ? Elle était très inquiète de ne pas te voir revenir.
— Pas maintenant. Je n’aurais pas le courage de la laisser. À mon premier moment de repos. Je crois que la lutte va être dure. Quelles sont les nouvelles ?
— Mauvaises. Tu vas avoir du travail dans les souterrains. Eyl est pratiquement encerclée dans les fonds, si nous tenons encore la surface autour, trois nouveaux pylônes sont tombés, le 1, le 44 et le 77. Nous avons détruits aujourd’hui 214 crabes, mais nous avons perdu 61 kryoxi. C’est terrible, cette guerre de surface. Il y a peu de blessés…
— De combien de kryoxi disposons-nous ?
— Environ 2 600. Il en sort dix par jour. Les noirs ont des crabes innombrables. On en a dénombré plus de 12 000 dans le secteur nord ! Il y a cependant quelques bonnes nouvelles. Les rouges sont entrés en action, et ont envahi la cité noire de Kabaneb. Six de leurs ingénieurs sont arrivés ici en mission d’étude. Les premiers lance-fusées sortiront dans quelques jours. 42 avions du type Wells sont mis en chantier. Le Wells lui-même est réparé. 12 mécaniciens y ont travaillé onze heures. Nous avons encore 32 bombes de 100 kg. Et les premières bombes martiennes seront prêtes après-demain à midi. Mais sauf cas désespéré, il servira surtout pour l’instruction des pilotes.
— Bon. Je vais passer prendre les mitrailleuses. Combien de coups ?
— 10 000 par arme.
— C’est maigre ! À bientôt.
Chapitre III
La bataille souterraine
À l’arsenal Bernard trouva les trois martiens, chefs des brigades souterraines. Il leur expliqua le fonctionnement des mitrailleuses et se fit montrer sur le plan l’emplacement de la bataille. Le secteur le plus menacé était celui de Eyl. Les martiens jaunes ne tenaient plus que le grand tunnel aérien. Toutes les autres voies qui conduisaient à Eyl depuis Anak étaient aux mains des noirs, qui avaient réussi à s’infiltrer dans les usines de chrome de Bils, à proximité du grand tunnel. Le tunnel ordinaire était coupé entre Eyl et la petite ville de Abil, centre métallurgique. La perte de Bils et Abil aurait signifié une diminution de 30 % dans la production du chrome, et elle ne saurait tarder si Eyl tombait. Le pylône 34, tout proche, et qui défendait la région à la surface venait d’être pris.
Bernard décida de se porter sur les lieux. Ils devaient aller en avion jusqu’au croisement de Floo, puis prendre le glisseur, jusqu’à proximité de la bataille. Il fit charger les mitrailleuses sur l’avion qui fonça à pleine allure vers Floo, distant de 250 km. Puis, ils prirent un glisseur. Bernard plaça les deux mitrailleuses à l’avant, et s’assit à côté d’elles, prêt à tirer. La route était cependant sûre. Les martiens jaunes étaient armés de légers fulgurants et d’une sorte de lance-grenades pneumatique.
Alors commença pour Bernard une période épuisante de quinze jours. Dès le début des sous-ordres s’opposèrent formellement à ce qu’il s’exposât personnellement. Il alla cependant aux avant-postes installer lui-même les mitrailleuses. Son plan consistait à dégager Bils où l’ennemi tenait âprement les galeries de mine, et attaquant de l’autre côté, à reprendre la maîtrise des tunnels. Ainsi la menace d’encerclement serait-elle conjurée. La deuxième partie du plan fut aisée, et deux jours après son arrivée, les tunnels étaient libres, ce qui simplifia la question des approvisionnements. Mais à Bils l’ennemi fit encore des progrès, et malgré les protestations de son état-major, Bernard résolut de prendre lui-même le commandement aux mines. À mesure que son glisseur se rapprochait, le vacarme du combat devenait de plus en plus fort. Les noirs utilisaient une sorte de mitrailleuse pneumatique dont le bruit rappelait le roulement des marteaux-piqueurs. La température était élevée, ce qui était dû à la chaleur dégagée par les fulgurants. Abandonnant son glisseur, Bernard pénétra dans les galeries. La bataille était confuse, sans gloire et féroce. Dans les tunnels étroits, elle avait la sauvagerie des guerres primitives, homme contre homme, presque main contre main. À cause des nombreux détours, l’usage des armes perfectionnées était quasi impossible. À peine les noirs pouvaient-ils se servir de leurs fusils pneumatiques, les jaunes de leur lance-grenades. Le plus souvent c’était le combat corps à corps, à l’arme blanche. La vigueur et l’adresse des jaunes étaient supérieures, les noirs l’emportaient par le nombre.
Au moment où Bernard parvint aux avant-postes, ils avaient l’offensive. L’enjeu de la bataille était un important carrefour qui commandait dix galeries. Il était brillamment illuminé, les adversaires, d’un accord tacite, n’ayant pas coupé l’éclairage. Les noirs arrivaient par six galeries, mais les Anakiens tenaient la place centrale. Derrière un rempart de wagonnets renversés, s’abritait une des mitrailleuses avec ses servants. Bernard arrivait au moment d’une accalmie. Utilisant les remblais des voies ferrées, il rampa jusqu’à la mitrailleuse. Elle était servie par deux hommes, un jeune garçon et une jeune fille, très belle. Six hommes armés de lance-grenades les défendaient.
La position des noirs était très forte. Ils avaient établi à l’entrée des galeries des barricades de moellons, de wagons renversés, et de minérales de chrome brut.
— Il faudrait un vrai canon, pensa-t-il. On ne peut employer le fulgurant ?
— Trop près, répondit la jeune fille.
Il réfléchissait à la manière de forcer ces abris. Soudain il se frappa le front :
— Suis-je bête ? Il faudrait un lance-flammes, pour cette guerre-là ! Essayez de tenir, dit-il en partant.
Rentré à son quartier général, il appela Sig au radiophone.
— D’urgence, débrouille-toi, fais-moi construire des lance-flammes. Trouve de l’essence. Il me les faudrait après-demain. Est-ce possible ?
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